Radio-Canada Info

La maison et le mode de vie alternatif d’une famille menacés faute de permis de construire

- Andréane Williams

Lorsqu’ils ont commencé à construire leur maison en torchis au milieu d’un ter‐ rain vague au nord de To‐ ronto il y a 13 ans, les Murph’Ariens avaient un rêve : vivre de manière au‐ tosuffisan­te, loin de la ville. Ils étaient loin de se douter que plus d’une dé‐ cennie plus tard, ce rêve risquerait de partir en fu‐ mée pour une histoire de permis de constructi­on.

La vie ne s’arrête jamais sur la ferme de Misty et Bryce Murph’Ariens. Comme chaque jour, ces deux anciens chefs cuisiniers, qui ont décidé de combiner leurs noms de fa‐ mille respectifs, s’affairent à traire et nourrir leur vache tandis que leurs deux petites filles, Sage, 8 ans et Aurora, 5 ans, s’amusent pieds nus avec les poules et les chatons qui ont élu domicile sur la propriété.

En 13 ans, le couple a luimême construit une petite ferme qui lui permet de vivre de manière presque autosuf‐ fisante. Au milieu des pota‐ gers et des enclos des ani‐ maux trône leur demeure : une maison qui semble tout droit sortie d’un conte fantas‐ tique, construite en torchis, un matériau de constructi­on ancestral fait à base d'argile, de sable, d’eau et de paille.

Le style [de notre maison] est un mélange de hobbits, de fées et de princesses de Dis‐ ney, lance Bryce Murph’Ariens, devant l'esca‐ lier central de la maison, fait de branches d’arbres tor‐

On a l’impression qu’elle est vivante, ajoute Misty Murph’Ariens, dont les sculp‐ tures recouvrent les murs de la maison.

Du rêve au cauchemar

Depuis quatre ans, le couple vit cependant avec la peur de perdre son logis ainsi que son mode de vie.

Lorsqu’ils ont acheté leur terrain dans le canton de Sou‐ thgate, à environ 140 kilo‐ mètres au nord-ouest de To‐ ronto, Bryce et Misty Murph’Ariens ont commencé par construire une maison‐ nette de moins 10 m2 avec un étage.

Après s’être informé au‐ près des autorités du canton, le couple a décidé de ne pas obtenir de permis de constructi­on puisque cela n’est pas nécessaire pour une structure de cette grosseur, selon le code du bâtiment de l’Ontario.

La mère de famille se rap‐ pelle avoir reçu, à l’époque, la visite de l’officier en chef des bâtiments du canton, un homme appelé Doug Kopp selon elle, alors qu’elle était en train de travailler sur la mai‐ son.

Il a jeté un coup d'oeil ra‐ pide et a dit : "Non, je ne vois pas de maison ici". Et il est re‐ parti, raconte-t-elle.

Le problème est qu’au fil des ans, la maisonnett­e s’est transformé­e en une maison sur deux étages, comprenant deux chambres, une cuisine, une salle à manger et une salle de bain. Des agrandisse‐ ments pour lesquels le couple n’a pas obtenu de permis.

En 2018, les autorités du canton ont à nouveau rendu visite au couple, prétextant avoir reçu une plainte. Le can‐ ton exige maintenant que la famille obtienne un permis de constructi­on et a entamé une poursuite judiciaire contre eux.

La maison n’a pas été construite avec des matériaux traditionn­els et nous devons nous assurer qu’elle est sécu‐ ritaire. Si elle s’écroule, nous ne voulons pas être tenus res‐ ponsables, explique le direc‐ teur du comité exécutif du canton de Southgate, Dave

Milliner. Il ajoute que ne pas pouvoir commenter davan‐ tage en raison des procédures judiciaire­s en cours.

Les Muprh’Ariens, qui sub‐ viennent principale­ment à leurs besoins grâce à leur ferme à laquelle ils se consacrent à temps plein, disent ne pas avoir les moyens de payer pour un permis qui pourrait coûter des milliers de dollars.

Ils affirment avoir tenté de collaborer avec les autorités du canton pour trouver une solution, sans succès. Le couple ne comprend pas non plus pourquoi le canton n’est intervenu qu’au bout de 9 ans, alors que leur famille et leur mode de vie sont bien connus de la communauté.

Au début on se demandait si ce qu’on faisait était correct. Mais au fil des ans, à force de faire du bénévolat dans la communauté, de donner des présentati­ons [sur notre style de vie] - nous avons même fait partie d’une pièce de théâtre avec le maire et il est venu chez nous - on s’est dit que ce qu’on faisait était ac‐ ceptable, explique Misty Murph’Ariens.

La famille a également créé un site Internet [en anglais] sur lequel elle décrit son mode de vie.

Des documents apparte‐ nant au canton de Southgate obtenus grâce à une de‐ mande d’accès à l’informatio­n faite par les Murph’Ariens, mais dont Radio-Canada n’a pas pu vérifier l’authentici­té, suggèrent d’ailleurs que le canton était au courant de l'existence de leur maison avant 2018, mais n’est pas in‐ tervenue.

Le canton dans son droit?

Selon l’avocat spécialisé en droit municipal, John Masca‐ rin, les Murph’Ariens auraient dû obtenir un permis de constructi­on avant d’entamer quelconque­s travaux d’agran‐ dissement sur leur demeure.

Peut-être qu’au départ la structure n’avait pas besoin d’un permis selon les exi‐ gences du code du bâtiment, mais à partir du moment où on fait la découverte d’une structure qui requiert un per‐ mis en raison de sa grosseur, l’officier en chef des bâti‐ ments et les inspecteur­s en bâtiments doivent s’assurer qu’un permis soit obtenu afin de s’assurer que le bâtiment est sécuritair­e, explique-t-il.

Il ajoute que le canton pourrait décider d’annuler ou de réduire les frais liés à l’ap‐ plication pour le permis afin d’alléger le fardeau financier de la famille.

L’avocat précise toutefois que les Murph’Ariens pour‐ raient obtenir gain de cause s’ils réussissen­t à prouver que le canton était au courant de l’existence de leur maison et qu’il leur a permis de conti‐ nuer à l’occuper et de l’agran‐ dir.

Se battre pour son mode de vie

Quatre ans après le début des procédures judiciaire­s, les Murph’Ariens disent attendre le début de l’enquête prélimi‐ naire pour leur procès.

S’ils perdent, ils craignent de devoir payer les frais juri‐ diques du canton en plus des frais liés au permis de constructi­on.

Si les choses ne se ter‐ minent pas bien avec le can‐ ton, nous pourrions tout perdre.

Bryce Murph’Ariens Sa femme, Misty Murph’Ariens ajoute toutefois que sa famille n’hésitera pas à reconstrui­re une maison simi‐ laire si la leur devait être dé‐ truite.

Nous serions capables de surmonter ce défi, mais cela serait très difficile parce que toute notre vie tourne autour de cette propriété. C’est un grand test pour voir si notre style de vie est permis, ditelle.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada