Radio-Canada Info

Obtenir une remise en liberté précoce grâce à la clause obsolète de la dernière chance

- Jean-Philippe Nadeau

Le nombre de meurtriers qui peuvent encore se pré‐ valoir de la clause de la der‐ nière chance diminue au Canada, si bien qu'elle sera bientôt un vestige du pas‐ sé. Cette procédure per‐ met à un meurtrier de ten‐ ter d'être libéré plus tôt que prévu après avoir pur‐ gé au moins 15 ans de sa peine. Deux causes sem‐ blables ont été entendues en Ontario.

Les meurtriers Avol Robin‐ son et Delroy McFarlane ont récemment tenté d'obtenir une libération conditionn­elle précoce en vertu d'une dispo‐ sition rare qui n'existe plus aujourd'hui au Canada.

Le premier a gagné son pa‐ ri devant le tribunal de Brampton au début juillet, le second l'a perdu devant le tri‐ bunal de Newmarket à la fin du mois de la même année.

La dispositio­n dite de la dernière chance permet à cer‐ tains condamnés à la perpé‐ tuité de présenter à un jury une requête pour obtenir une libération conditionn­elle plus tôt que prévu.

Cette dispositio­n inusitée est entrée en vigueur en 1976 lorsque le Canada a aboli la peine de mort dans le but d'encourager la réinsertio­n sociale de certains meurtriers, à l'exception des traîtres à la nation et des tueurs en série.

Elle a toutefois été abolie en 2010 par le gouverneme­nt Harper, si bien que les délin‐ quants qui ont commis un meurtre depuis cette date sont aujourd'hui inadmis‐ sibles à une libération condi‐ tionnelle anticipée.

Une clause d'antériorit­é unique

Il existe toutefois une ex‐ ception pour tous les condamnés à perpétuité dont le crime a été commis avant le 2 décembre 2011, date à la‐ quelle le projet de loi des conservate­urs a été adopté.

L'Associatio­n canadienne de justice pénale affirme que cette clause a été retirée du Code criminel dans le cadre de la politique du gouverne‐ ment Harper en matière de crime.

Sévir contre les criminels est un mantra qui plaît à une base populiste, mais les chiffres montrent que les actes criminels n'ont pas dimi‐ nué au Canada sous le régime des conservate­urs, explique son vice-président Howard

Bebbington.

Je me demande toutefois si la société devrait plutôt sé‐ vir de façon intelligen­te contre les délinquant­s dans la mesure où nous devrions poursuivre l'objectif louable de réduire la criminalit­é et de permettre la réhabilita­tion des prisonnier­s, qui finiront tôt ou tard par être libérés.

Howard Bebbington de l'Associatio­n canadienne de justice pénale

Au dernier recensemen­t du Service correction­nel du Canada, ils sont 191 meur‐ triers à pouvoir encore se pré‐ valoir de la dispositio­n. C'était le cas pour Robinson et Mc‐ Farlane en Ontario.

Delroy McFarlane, qui a été condamné à la perpétuité, n'était en principe admissible à la libération conditionn­elle qu'en 2028 pour le meurtre d'un jeune Torontois de 20 ans, Josh Julien, en 2003.

Une dette relative à une af‐ faire de drogue était le mobile du meurtre prémédité perpé‐ tré dans la région de York.

McFarlane a été reconnu coupable à l'issue de son pro‐ cès en octobre 2008. Il avait été condamné à la prison à vie sans droit de libération conditionn­elle avant 25 ans.

L'audience de la dernière chance de McFarlane a révélé que sa défense avait tenté en vain de persuader le jury qu'il avait beaucoup changé en pri‐ son durant ses 19 années de détention et qu'il méritait une seconde chance pour son bon comporteme­nt [la peine de 25 ans ferme a débuté à son arrestatio­n en 2003 et non à la tombée du verdict en 2008, NDLR].

La défense de McFarlane n'a jamais répondu à notre demande d'entrevue.

Avol Robinson a quant à lui été condamné pour meurtre prémédité en 2004 à l'âge de 19 ans. Après 15 ans en détention, il a soumis une requête de la dernière chance, qui s'est avérée cette fois concluante.

Son procès avait démon‐ tré qu'il avait fourni l'arme du crime à un complice qui l'avait utilisée pour commettre le meurtre.

Dans ce cas-ci, le jury a ac‐ cepté la requête, si bien que Robinson pourra solliciter la Commission des libération­s conditionn­elles pour être libé‐ ré plus tôt que prévu.

Son avocate, Breana Van‐ debeek, explique que son client était très jeune à l'époque, qu'il avait participé au meurtre sans avoir tiré sur la gâchette, qu'il s'est tou‐ jours très bien comporté en prison depuis 17 ans.

Je ne vois pas comment une société peut bénéficier d'avoir mon client en prison durant 7 ans supplément­aires ou plus, simplement parce que le législateu­r a choisi le nombre arbitraire de 25 ans pour fixer la période d'inad‐ missibilit­é à la libération conditionn­elle.

Breana Vandebeek, de l'As‐ sociation des avocats crimi‐ nels

Les agents correction­nels du pénitencie­r de Beaver Creek disent qu'il est un mo‐ dèle pour les prisonnier­s et qu'il a gagné le respect de la direction, du personnel et des autres détenus, explique-telle en ajoutant que son client a suivi tous les programmes de réhabilita­tion de l'établis‐ sement carcéral.

Avol a aujourd'hui 38 ans, il a fait d'énormes progrès et il a acquis beaucoup de capaci‐ té d'introspect­ion avec les an‐ nées, poursuit l'avocate qui dirige la section torontoise de l'Associatio­n des avocats cri‐ minels.

Véritable parcours du combattant

Dans un courriel, le Service correction­nel écrit que 243 délinquant­s ont fait l’objet d’au moins une décision judi‐ ciaire au sujet de cette procé‐ dure et que 184 d'entre eux ont obtenu depuis 1987 une réduction du délai préalable à l’admissibil­ité à la libération conditionn­elle.

Selon l'Associatio­n cana‐ dienne de justice pénale, les statistiqu­es démontrent que cette dispositio­n telle qu’elle a été appliquée ne constituai­t donc pas une menace indue à la sécurité des Canadiens.

Le maître de conférence à la Faculté de droit de l'Univer‐ sité de Toronto Andrew Fur‐ giuele rappelle que ce procé‐ dé est toutefois jalonné d'obstacles. La procédure est longue et son dénouement, le plus souvent infructueu­x.

La clause s'intitule en an‐ glais faint hope [faible espoir, NDLR], parce que la possibilit­é d'obtenir une libération conditionn­elle précoce est ex‐ trêmement improbable, dit-il.

Le gouverneme­nt conser‐ vateur de l'époque a ignoré la réalité entourant cette clause, et dont la plupart des Cana‐ diens ignoraient l'existence de toute façon, parce qu'il s'agit d'une procédure très rare qui doit être soumise à plusieurs contrôles.

Andrew Furgiuele, spécia‐ liste en droit criminel

Un juge d'une Cour supé‐ rieure doit ainsi au préalable peser le bien-fondé de la de‐ mande et croire qu'il est fort probable qu'un jury accepte‐ rait de réduire le délai d'inad‐ missibilit­é à la libération conditionn­elle du deman‐ deur.

Advenant le feu vert du juge, un jury de 12 personnes est alors composé pour en‐ tendre la requête du meur‐ trier, qui reste en détention durant toute la procédure sauf durant les audiences.

La Couronne présente ses arguments [le plus souvent défavorabl­es, NDLR] et la dé‐ fense, les siens, comme dans un procès convention­nel, à la différence que dans ce cas-ci, la présomptio­n d'innocence n'existe plus.

Si le jury accepte la de‐ mande du meurtrier, le condamné pourra présenter une requête à une date ulté‐ rieure devant la Commission des libération­s condition‐ nelles du Canada. Son verdict doit toutefois être unanime.

Il reviendra en définitive à la Commission d’établir à l’is‐ sue d’une autre audience si le meurtrier peut réintégrer la communauté.

Elle devra évaluer le risque que représente un délinquant pour la communauté. Elle possède l'ensemble de son dossier qui lui permet de faire un examen approfondi de sa demande de libération avant de prendre une décision éclai‐ rée, ajoute Me Vandebeek.

La possibilit­é d'une ré‐ demption

L'Associatio­n des avocats criminels juge regrettabl­e que cette clause n'existe plus. Cer‐ tains individus méritent une seconde chance et la plupart des Canadiens sont d'accord avec le principe selon lequel certains meurtriers peuvent changer en prison, explique Me Vandebeek.

Me Vandebeek rappelle que la réinsertio­n sociale des prisonnier­s est l'une des com‐ posantes fondamenta­les du système de justice canadien.

Elle fait valoir qu'un indivi‐ du condamné à perpétuité qui obtiendrai­t une libération serait de toute façon surveillé pour le reste de sa vie et qu'il serait emprisonné à nouveau dès le moindre écart de conduite.

Selon l'Associatio­n cana‐ dienne de justice pénale, les condamnés à perpétuité qui présentent un faible risque de récidive devraient se voir of‐ frir l’occasion de contribuer à la société plutôt que de finir de purger leur peine.

Il serait préférable d'es‐ sayer de leur offrir de l'espoir et des mesures incitative­s pour faciliter leur réinsertio­n sociale pour qu'ils puissent re‐ prendre leur vie, trouver éventuelle­ment un emploi, subvenir aux besoins de leur famille, payer des impôts et contribuer à l'améliorati­on de la société au lieu de les laisser ruminer leur rage en prison, explique M. Bebbington.

Il croit aussi que la disposi‐ tion n'aurait jamais dû être supprimée, parce qu'elle prouvait que certains meur‐ triers ont droit à la rédemp‐ tion et qu'elle leur offrait un infime espoir d'obtenir une li‐ bération conditionn­elle pré‐ coce, en les encouragea­nt à bien se comporter en déten‐ tion.

Il confirme d'ailleurs que cette procédure fonctionne à la lumière des causes de New‐ market de Brampton, parce qu'un jury a réussi à faire la part des choses et à mesurer les différents degrés de culpa‐ bilité d'un meurtrier.

La définition de meurtre est très large dans le Code cri‐ minel, parce qu'il existe une nuance entre perpétrer un meurtre et participer à la commission d'un meurtre; au‐ cun meurtrier ne se res‐ semble et aucun meurtre n'est semblable, déclare-t-il.

M. Bebbington souligne que la procédure permettait en outre de responsabi­liser les membres de la société qui seraient choisis pour siéger à l'audience d'un meurtrier qui demande à être libéré plus tôt que prévu avant le terme de sa peine.

Ce ne sont pas des juges, des policiers, des agents cor‐ rectionnel­s ou des agents de probation, mais de simples ci‐ toyens qui sont appelés à se prononcer sur la demande de libération précoce d'un délin‐ quant, précise-t-il.

M. Furgiuele ajoute que la mesure donnait aussi la possi‐ bilité au public de com‐ prendre notre système de jus‐ tice pénale.

Ce type d'audience repré‐ sente une fenêtre sur la vie d'un meurtrier en milieu car‐ céral et sur ce que les détenus peuvent ou doivent faire pour changer leur comporteme­nt dans le but de réintégrer un jour la société, dit-il.

Il précise que ces au‐ diences qui sont publiques permettent par ailleurs d'atté‐ nuer la colère du public, lors‐ qu'un tribunal accepte d'en‐ tendre la requête d'un meur‐ trier ou lorsque la Commis‐ sion accepte de le libérer plus tôt que prévu.

L'indignatio­n du public face à une libération précoce controvers­ée se produit lors‐ qu'il est tenu dans l'igno‐ rance; il est trop facile de criti‐ quer une décision sans es‐ sayer d'abord de la com‐ prendre, souligne-t-il.

Sans les nommer, M. Beb‐ bington rassure le public que les meurtriers notoires au pays ne seront jamais libérés à cause de la nature et l'hor‐ reur des crimes qu'ils ont commis.

Dans un courriel, le minis‐ tère du Procureur général de l'Ontario n'a pas accepté que ses procureurs impliqués dans ces deux affaires ré‐ pondent à nos questions.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada