Le boom d’exploration minière dans le sud-ouest québécois inquiète les municipalités
Les claims miniers ex‐ plosent dans Lanaudière, en Outaouais et dans les Laurentides alors que les prospecteurs affluent dans la région. La demande mondiale croissante pour les minéraux stratégiques y est pour beaucoup, mais aussi la volonté de Québec de les mettre en valeur.
Depuis 18 mois, le nombre de claims miniers – soit ces titres d'exploration qu’une en‐ treprise achète pour sonder une portion de territoire – a plus que doublé. Le sud-ouest du Québec en compte au‐ jourd'hui 15 413, dont 56 % ont été acquis depuis janvier 2021, selon la coalition Pour que le Québec ait meilleure mine. Une augmentation 4,9 fois plus rapide qu'ailleurs en province.
Je m'attendais peut-être à une augmentation quel‐ conque, mais pas de cette ampleur-là. [...] Ce sont des milieux récréotouristiques avec des milieux naturels sen‐ sibles, et ça nous préoccupe beaucoup, dit son co-porteparole Ugo Lapointe.
Hausse du nombre de claims miniers en 18 mois
Mauricie : 49 %
Laurentides : 71 % Outaouais : 211 % Lanaudière : 408 %
C'est quelque chose de préoccupant pour chacun des citoyens et [ils] ne sont pas au courant de ça. Ils n’ont au‐ cune information qu’il peut y avoir derrière chez eux quelques kilomètres de claims, ajoute Louis Saint-Hi‐ laire, qui milite pour le Re‐ groupement de protection des lacs de la Petite Nation, l'organisme qui a réalisé les nouvelles cartes en épluchant les données gouvernemen‐ tales.
On est en train d'entrer dans les minéraux d'avenir, mais avec des lois qui datent de 150 ans!
Louis Saint-Hilaire, du Re‐ groupement de protection des lacs de la Petite Nation
Une mine de graphite non loin du parc du MontTremblant
Les cartes élaborées par l’organisme permettent no‐ tamment de constater qu’un immense secteur, à la fron‐ tière Est du parc national du Mont-Tremblant, est désor‐ mais entièrement recouvert de claims.
C'est d’ailleurs dans cette zone, à Saint-Michel-desSaints, que se trouve le projet minier le plus avancé : la fu‐ ture mine de graphite de l'en‐ treprise Nouveau Monde Gra‐ phite.
Le projet a le feu vert de Québec et la fosse minière a commencé à être creusée.
Le graphite est un compo‐ sant essentiel dans la fabrica‐ tion des batteries électriques de véhicules, et l'entreprise a bon espoir de trouver un client majeur pour démarrer ses opérations en 2025.
C'est la fierté du Québec de dire : on a des ressources, puis on les développe de ma‐ nière responsable, fait valoir Julie Paquet, vice-présidente aux communications de Nou‐ veau Monde Graphite.
Je comprends qu'à certains égards il y a une approche du "pas dans ma cour". Dans notre cas, on a été capables de contrôler tous les impacts à l'intérieur d'un kilomètre du site minier, assure-t-elle.
Le projet de l'entreprise avait commencé par un claim minier. A priori, ce n'est pas extrêmement envahissant. Initialement, c'est un géo‐ logue avec sa pelle qui se pré‐ sente sur le site et qui s'en va vérifier ce que ça a l'air. De fil en aiguille, si les tests sont concluants, on fait une tran‐ chée, on va un peu plus loin, on fait un peu de forage...
Des municipalités quiètes
Nouveau Monde Graphite, dont le projet se réalise sur des terres publiques, n'a ex‐ proprié personne. Sauf que l'entreprise a dû s'entendre avec des propriétaires voisins pour leur acheter 25 terrains et 9 maisons.
Mais rien n’indique qu’il n’y aura pas d’expropriations dans d’autres cas. Au Québec, le sous-sol n'appartient pas aux propriétaires des terrains et le processus d'un claim peut aboutir à des expropria‐ tions lorsqu'un projet a le feu vert des autorités. De plus en plus de municipalités s'en in‐ quiètent.
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La loi sur les mines est audessus de toutes les autres lois! Le sous-sol ne fait pas partie de nos pouvoirs d'amé‐ nagement du territoire. Ce que ça veut dire, c'est qu'on n'a pas de contrôle, on n'a pas d'informations, déplore Isa‐ belle Perreault, mairesse de Saint-Alphonse-de-Rodriguez et préfète de la MRC de la Ma‐ tawini.
Dans le fond, on n'est pas contre l'activité minière, mais le problème est qu'il faudrait qu'elle se fasse en dehors des zones de villégiature, et proté‐ ger les lacs.
Marc L’Heureux, maire de la municipalité de Brébeuf et préfet de la MRC des Lauren‐ tides
Plusieurs MRC, comme celle des Laurentides, sont en discussion depuis plus d'un an avec Québec pour sous‐ traire certains secteurs de leur territoire d'une éventuelle ac‐ tivité minière, notamment les pourtours des lacs. Mais ils ne s'entendent pas encore.
Ils ont des orientations qui sont différentes, dit Marc L'Heureux. On a présenté des exclusions, mais c'est trop grand, ce qu'on a demandé.
Québec et l'industrie se veulent rassurants
Au cabinet du ministre de l'Énergie et des Ressources naturelles Jonatan Julien, on répond que l'existence d'un projet d'exploration est loin de signifier l'ouverture d'une mine. C'est très rare que des projets franchiront l'ensemble des étapes, puisque le Qué‐ bec dispose d'un cadre légal rigoureux bâti sur les prin‐ cipes de développement du‐ rable, écrit l'attachée de presse du ministre, Emma‐ nuelle Ducharme.
Selon la directrice générale de l'Association de l'explora‐ tion minière du Québec, Valé‐ rie Fillion, il faut effectivement relativiser l'impact de la pré‐ sence des nombreux claims dans le sud-ouest du Québec.
Dans cette région-là, il n'y a pas d'espace pour faire d'ex‐ pansion tant que ça parce qu'il y a tellement d'interdic‐ tions partout autour que c'est vraiment un enjeu.
Valerie Fillion, directrice gé‐ nérale de l'Association de l'ex‐ ploration minière du Québec. Un moratoire demandé N'empêche qu'à quelques semaines des élections qué‐ bécoises, de nombreux élus municipaux, militants et rési‐ dents espèrent que cet enjeu sera discuté en campagne.
Une vingtaine de munici‐ palités de l'Outaouais ont même dressé de grandes pan‐ cartes sur leur territoire pour afficher clairement qu'elles ne souhaitent pas accueillir de mines. Aussi, des maires se rencontrent mercredi pour demander un moratoire sur les claims.
Ce serait pertinent de mettre un moratoire mainte‐ nant, de prendre le temps de regarder la situation, de chan‐ ger les balises pour s'assurer que les milieux touristiques soient protégés, dit Ugo La‐ pointe de la coalition Pour que le Québec ait meilleure mine.
Si on attend, on ne va pas voir qu'est-ce qu'il y a en des‐ sous de nos pieds au Québec, ça va finir qu'on va importer la substance première, ré‐ pond Valérie Fillion.
En pleine course écono‐ mique mondiale pour électri‐ fier les transports, le Québec a donc un dilemme à ré‐ soudre.