Radio-Canada Info

Un musée pour combattre le tabou des menstruati­ons à Taïwan

- Philippe Leblanc

Dans de nombreux pays d’Asie, il est tabou de par‐ ler de menstruati­ons pour plusieurs raisons, qu’elles soient religieuse­s ou so‐ ciales. Beaucoup de femmes subissent la stig‐ matisation menstruell­e ou n’ont pas accès à des pro‐ duits d’hygiène féminine. Une jeune femme, Vivi Lin, a créé un musée à Taipei pour s’attaquer aux ta‐ bous.

La BBC l’a nommée parmi ses 100 personnes les plus in‐ fluentes de la planète, il y a deux ans, après qu’elle eut in‐ terpellé le président de l'Orga‐ nisation mondiale de la santé sur les réseaux sociaux.

À seulement 24 ans et tout juste sortie de l’université, Vivi Lin est devenue une cheffe de file de la lutte contre l’iniquité et la stigmatisa­tion mens‐ truelles à Taïwan.

C’est difficile, encore au‐ jourd’hui, pour beaucoup de gens, de mentionner l’expres‐ sion "avoir ses règles". Ça fait partie du problème, expose-telle. Quand j’ai eu mes pre‐ mières règles, je ne savais même pas ce que c’était! J’ai bien vu que ma mère était mal à l'aise et qu’elle ne vou‐ lait pas trop m’en parler.

Vivi Lin a fondé l’orga‐ nisme sans but lucratif With Red il y a trois ans pour com‐ battre ces problèmes. With Red a ouvert plus tôt cette année un musée consacré aux menstruati­ons et à tout ce qui entoure les règles. Des ateliers y sont offerts. Jeunes filles et grands-parents y par‐ ticipent sans gêne afin de dé‐ mystifier le sujet.

Des représenta­nts de With Red sont même allés nettoyer un temple, le 28 mai dernier, lors de la Journée internatio‐ nale de la santé menstruell­e. Ils ont aussi créé un portebonhe­ur avec les respon‐ sables du temple dans le but d’essayer de lever les tabous.

Plusieurs personnes ne croient pas que les femmes menstruées peuvent aller au temple pour prier ni même participer à des activités reli‐ gieuses, explique Vivi Lin. Les pharmacies donnent même un sac en papier à celles qui achètent des serviettes hygié‐ niques afin de les cacher.

Changer les perception­s des gens et les amener à en parler librement est un travail de longue haleine. With Red offre aussi des ateliers dans des université­s. Dans le sys‐ tème scolaire taïwanais, le su‐ jet est souvent vu en vitesse et dans certaines classes, seules les filles reçoivent de l’informatio­n sur les mens‐ truations.

En travaillan­t en groupe, je peux changer la perception des gens sur ce phénomène naturel. Nous collaboron­s avec les différents gouverne‐ ments pour combattre l’ini‐ quité menstruell­e aussi. Le but est que ce musée ne serve plus à éduquer les gens, mais qu’ils puissent témoi‐ gner de ce que nous avons réussi à accomplir.

Favoriser l'équité mens‐ truelle

Car la jeune fondatrice de With Red milite d’abord et avant tout pour l’équité menstruell­e, soit favoriser l’ac‐ cès aux produits d’hygiène fé‐ minine à celles qui sont moins fortunées et qui en ont le plus besoin. Le problème est criant dans plusieurs pays d’Asie, particuliè­rement les plus pauvres.

Selon les données re‐ cueillies par l’organisme With Red, une femme sur dix à Taï‐ wan, un des pays asiatiques les plus développés et ou‐ verts, n’aurait pas accès à des produits hygiénique­s quand elle en a besoin.

C’est surtout un problème lié à la pauvreté, précise Ruby Huang, qui donne le cours Règles : théories, réflexions et actions à l’Université natio‐ nale de Taïwan.

Quand vous vivez sous le seuil de la pauvreté, vous de‐ vez prioriser encore plus vos dépenses familiales, dit-elle. La grande priorité est évidem‐ ment le logement et la nourri‐ ture. Dans beaucoup de cas, les produits d’hygiène fémi‐ nine sont au bas de la liste.

Dépression chronique et problèmes de santé peuvent découler de ce manque d’ac‐ cès aux serviettes hygié‐ niques et tampons. With Red encourage le gouverneme­nt taïwanais à fournir de tels produits dans les toilettes de certains endroits publics.

Un problème mondial

Le problème n’est pas ob‐ servé seulement en Asie ou dans les pays pauvres, il est présent partout sur la pla‐ nète.

À Ottawa, le dernier bud‐ get Trudeau s'y attaquait. Dans le cadre d’un projet pi‐ lote de deux ans, le gouverne‐ ment canadien allouera 25 millions de dollars pour combattre l'iniquité mens‐ truelle au Canada. L'Écosse vient pour sa part d'annoncer qu'elle fournira tampons et serviettes hygiénique­s gratui‐ tement à toutes femmes et filles qui en ont besoin.

C’est l’éléphant dans la pièce, selon Vivi Lin. L’iniquité menstruell­e est là, bien en évi‐ dence à travers le monde, mais on en parle peu. Le fait qu’on n’en parle pas rend le problème invisible. Il faut commencer par ne pas avoir peur de parler des menstrua‐ tions.

Dans la salle peinte en rouge et rose au deuxième étage du musée de With Red, quelques jeunes filles, qui ont entre 8 et 11 ans, apprennent à manipuler des serviettes hy‐ giéniques. Elles sont toutes accompagné­es de leurs pa‐ rents.

Assise au fond, la petite Ariel, 9 ans, est heureuse de pouvoir lever le voile sur les menstruati­ons avec sa maman lors de cet atelier. Elle apprend à manipuler des pro‐ duits d’hygiène féminine et à calculer le calendrier des menstruati­ons.

Je n’aurai pas honte d’en parler quand mes règles vien‐ dront. J’espère que plus de jeunes filles se sentiront comme ça. On nous a dit au‐ jourd’hui que beaucoup de filles sont gênées. Il ne faut pas.

Les jumelles de 10 ans, Do‐ ra et Sophie, elles, sont ve‐ nues avec leur papa. Elles ont la chance d’apprendre à deux et pourront échanger sur leurs expérience­s à la maison. Leur papa tenait à être avec elles.

Les hommes aussi doivent en savoir plus pour oser en parler, croit David Yeh. Mes filles vivront bientôt la puber‐ té et elles ont appris beau‐ coup de choses utiles au‐ jourd’hui pour y faire face.

Lever les tabous n’est que le premier pas vers une solu‐ tion à l’iniquité menstruell­e.

Notre correspond­ant en Asie Philippe Leblanc sera basé à Taïwan pour les pro‐ chains mois, afin de nous faire découvrir cette île de près de 24 millions d'habi‐ tants, sa société et les défis qui l'animent. Et aussi afin de couvrir les enjeux d'actualité de toute la région Asie-Paci‐ fique.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada