La qualité du discours bilingue « inutilement en péril » au Parlement, selon l’AIIC
Les interprètes indépen‐ dants accrédités par le Bu‐ reau de traduction du Ca‐ nada « ont été mis sur la touche en raison de sys‐ tèmes administratifs ineffi‐ caces », déplore l’Associa‐ tion internationale des in‐ terprètes de conférence au Canada (AIIC Canada) qui publie un sondage à cet ef‐ fet, mercredi.
Le sondage révèle que la plupart des répondants (75 %) qui n’ont pas de ‘"contrat ouvert’’ ne se voient pas offrir des affectations par‐ lementaires, même si les deux tiers d’entre eux (65 %) se‐ raient disposés à accepter de tels contrats ponctuellement, sur approbation du Bureau de la traduction, indique l’as‐ sociation.
La porte-parole de la seule association nationale qui re‐ groupe les interprètes de conférence accrédités, Nicole Gagnon, invective la Chambre des communes, qui met inuti‐ lement en péril la qualité du discours bilingue de ses déli‐ bérations en ayant recours à des fournisseurs qui ne sont pas qualifiés selon les normes du Bureau de la traduction. Méthodologie
L’AIIC Canada a mené ce sondage en ligne, du 17 au 31 juillet, auprès des inter‐ prètes indépendants et accré‐ dités en langues officielles par le gouvernement du Canada.
En tout, 116 personnes ont été invitées à le remplir et 92 l’ont complété tandis que deux autres avaient commen‐ cé à le remplir, mais ont aban‐ donné en cours de route.
En publiant ces résultats, l’AIIC Canada dénonce une fois de plus le projet pilote de recrutement d’interprètes pi‐ gistes non accrédités. Selon elle, cela menace la qualité du bilinguisme au Parlement ca‐ nadien.
La grande majorité des ré‐ pondants (97 %) estime que le projet pilote va probablement réduire la qualité du service.
Aux termes de la Constitu‐ tion et de la Loi sur les langues officielles, la Chambre des communes a l’obligation particulière de veiller à ce que ses délibérations dans les deux langues officielles aient un statut et des droits et pri‐ vilèges égaux quant à leur uti‐ lisation, ajoute Nicole Ga‐ gnon.
Selon les résultats, 65 % des répondants qui n’ont pas de contrats ouverts, et qui veulent des contrats à la Chambre des communes, ne se font pas offrir d’affectation parlementaire.
Le sondage me surprend à certains égards, mais on se doutait qu’il n’y avait pas une pleine utilisation des inter‐ prètes accrédités, affirme-telle au micro de l'émission Les Matins d'ici, mercredi.
L’organisme s’explique bien mal qu’environ 60 % des ré‐ pondants disent avoir consa‐ cré moins de 25 % de leur temps aux affectations parle‐ mentaires. Étonnant, si on pense que le Bureau de la tra‐ duction est le plus grand consommateur de services d’interprétation au Canada.
Les élus et le public écopent
Cet enjeu est d’impor‐ tance, selon Nicole Gagnon, car le manque d’expertise des interprètes pourrait priver le public et les élus d’informa‐ tions importantes.
Les élus débattent sur des enjeux importants, comme la pandémie [de COVID-19] et les changements climatiques. Ils veulent le faire dans les deux langues officielles, dit la porte-parole.
Il est très important que les interprètes qui travaillent au coeur de notre démocratie soient qualifiés selon les normes du Bureau de la tra‐ duction.
Nicole Gagnon, porte-pa‐ role de l’AIIC Canada
La pénurie de maind'oeuvre qui sévit dans le do‐ maine ne risque pas de s’es‐ tomper. Selon les prévisions de l’AIIC Canada, tous ceux qui possèdent 20 ans d’expé‐ rience en la matière seront à la retraite en 2027.
Parmi 94 répondants de tous âges, 49 % d’entre eux prévoient tirer leur révérence dans les cinq prochaines an‐ nées.
Aussi, 68 % des sondés se disent prêts à identifier des interprètes prometteurs non accrédités afin d’aider au re‐ crutement. Par contre, seule‐ ment 35 % se disent prêts à agir comme mentor auprès des candidats qui comptent passer l’examen d’accrédita‐ tion fédérale.
De son côté, Nicole Ga‐ gnon encourage tous les in‐ terprètes non accrédités à passer ledit examen. S’il est talentueux, il n’a qu'à se pré‐ senter à son examen, et s’il réussit, on va l’accueillir à bras ouverts.
Au moment de publier cet article, le gouvernement de Justin Trudeau n’avait pas en‐ core réagi à la sortie de l’AIIC Canada.
Services publics et Ap‐ provisionnement Canada se défend d'offrir des ser‐ vices de qualité
Dans une déclaration écrite, Services publics et Ap‐ provisionnement Canada (SPAC) assure fournir des ser‐ vices d’interprétation de qua‐ lité à l’appui du Parlement et des ministères et organismes fédéraux.
Le ministère dit faire uni‐ quement appel à des inter‐ prètes accrédités et soutient qu'il sert le Parlement en prio‐ rité.
Par ailleurs, un examen d’accréditation est organisé chaque année afin d'élargir le bassin d’interprètes.
Parallèlement, tous les deux ans, Services publics et Approvisionnements Canada lance au nom du Bureau de la traduction un appel d’offres dans le but d’attribuer des contrats ouverts pour la pres‐ tation de services d’interpré‐ tation en langues officielles. [...] Le processus de contrat ouvert présente l’avantage de simplifier l’attribution des af‐ fectations d’interprétation, entre autres puisqu’il facilite l’accès à l’autorisation de sécu‐ rité requise pour travailler au Parlement. En 2021-2022, ce sont 88 interprètes qui ont ainsi reçu un contrat ouvert, dont 57 se sont dits prêts à travailler pour le Parlement, explique SPAC.
Le Bureau de la traduction offre le travail en priorité à ceux qui ont un contrat ou‐ vert. Par contre, pour se voir attribuer une affectation au Parlement, les interprètes pi‐ gistes accrédités doivent dé‐ tenir l’autorisation de sécurité requise, et être prêts à voya‐ ger s’ils se trouvent hors de la région de la capitale natio‐ nale.
Le ministère reconnaît toutefois que la demande peut fluctuer considérable‐ ment et que cela peut être contraignant pour les inter‐ prètes.
Afin d'encourager la relève à se diriger vers l'interpréta‐ tion, le Bureau de la traduc‐ tion dit collaborer étroite‐ ment avec les deux universi‐ tés canadiennes qui offrent le programme de maîtrise en in‐ terprétation, soit l'Université d'Ottawa et l'Université de York.