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L’heure est à la retraite pour le créateur de la page L’Actualité en mèmes

- Stéphanie Dupuis

Maxime, le créateur ano‐ nyme de L’Actualité en mèmes, une page Face‐ book et Instagram dans la‐ quelle il analyse avec hu‐ mour les nouvelles québé‐ coises, tire sa révérence. Le maître du mème (meme‐ lord) laisse derrière lui une communauté très engagée de quelque 25 000 inter‐ nautes.

Qui est derrière L’Actua‐ lité en mèmes?

Juste Maxime, ça va. J’aime travailler dans l’ombre. Je n’ai jamais aimé avoir les projec‐ teurs rivés sur moi. Plus jeune, je faisais le son et l’éclai‐ rage pour des pièces de théâtre, donc je ne montais pas sur scène, je restais tou‐ jours à l’arrière-plan. J’aime que l’accent ne soit pas mis sur ma personne, mais bien sur ce que je fais.

Je suis naturellem­ent drôle, et j’ai toujours aimé faire rire. J’ai aussi un fort inté‐ rêt pour l’actualité. Il y en a qui ne prennent pas les mèmes au sérieux. Moi, j’ai vraiment une démarche der‐ rière ça.

Pourquoi la retraite?

Il y a beaucoup d’éléments qui motivent mon départ, à commencer par Facebook. C’est rendu compliqué de faire des mèmes critiquant l’actua‐ lité sur ce réseau social. Par exemple, les mèmes que je fais sur le Parti conservate­ur du Québec (PCQ) sont sou‐ vent signalés massivemen­t à Facebook. C’est arrivé plu‐ sieurs fois que Facebook m’a bloqué et m’envoyait dans leur prison [suspendait ma page] pour un certain temps.

La qualité de ma page est descendue à À risque. Ça ré‐ duit de presque 100 fois la portée des publicatio­ns. Pen‐ dant deux ans, j’ai fait des ef‐ forts pour monter à 25 000 personnes abonnées. Et Face‐ book a réduit le tout comme si j’avais seulement 500 abon‐ nements.

L’Actualité en mèmes est devenu comme un deuxième travail à temps plein pour moi. J’ai perdu mon plaisir sur Facebook. Il y a de la gestion de communauté, de la modé‐ ration qui vient avec ça. Sur Instagram, ça se gère tout seul, c’est moins toxique.

Sinon, ce qui a aussi moti‐ vé mon choix d’arrêter est que j’ai changé d’emploi. J’étais travailleu­r autonome ces deux dernières années. J’avais donc le temps de réfléchir. J’ai besoin de me concentrer sur ma nouvelle vocation, qui est celle de professeur de cégep.

Je sens également que j’ai fait le tour de ce que j’avais à faire. L’actualité tourne en rond, avec des sujets sem‐ blables. Je suis arrivé au bout de quelque chose, et je vais laisser d’autres maîtres du mème émerger, parce qu’il y en a de très bons.

Est-ce que les mèmes auront leur place dans votre classe de cégep?

C'est sûr et certain que je vais inclure des mèmes dans mes présentati­ons.

Qu’est-ce qui vous a inci‐ té à vous lancer dans l’uni‐ vers du mème?

Ma page, je l’ai partie en 2012. À l’époque, les mèmes commençaie­nt à percer. J’étu‐ diais à l’époque à l'Université du Québec à Montréal (UQAM) en communicat­ion média interactif. J’ai vu dans les mèmes un médium inté‐ ressant, un bon canal de com‐ munication, surtout dans le contexte de la crise étudiante.

Puis, j’ai eu une phase plus difficile vers 2016, qui m’a me‐ né à carrément fermer ma page en 2018. Les mèmes ne me faisaient plus rire. C’est vraiment avec la pandémie [de COVID-19] que j’ai décidé de recommence­r à faire des mèmes. J’ai rouvert la page L'Actualité en mèmes à ce mo‐ ment-là.

Ça m’a aidé à traverser la pandémie. Au début, je me di‐ sais que je voulais divertir les gens pour un petit trois mois. Finalement, ça va avoir duré plus de deux ans.

C’est quoi, une journée typique dans la peau d’un maître du mème?

Je me levais vers 6 h du matin, je commençais ma re‐ vue de presse et ma re‐ cherche d’images. Le but était de trouver la photo qui allait mettre en contexte, être per‐ cutante, que l’on pouvait dé‐ couper et mettre dans des montages complexes, et y ajouter du texte.

En lisant les articles, en re‐ gardant ce qui se passait, ça me venait à l’esprit, je notais les idées, puis je réalisais celles que j’aimais le plus.

Avez-vous déjà regretté d’avoir mis un mème en ligne?

Je ne regrette rien de ce que j’ai fait avec ma page. J’au‐ rais fait des choses différem‐ ment, certes, et souvent. Mais ça ne sert à rien de regretter quoi que ce soit.

Il y a des mèmes que j’ai faits où j’ai manqué de sensi‐ bilité, ça, c’est certain. Par exemple, j’ai dû retirer un mème à l’époque où on ve‐ nait de découvrir les tombes des pensionnat­s pour Au‐ tochtones. Au même mo‐ ment, le gouverneme­nt lan‐ çait les « gratteux » basés sur la météo.

Dans mon mème, c’était le loto-pensionnat où tu grattais le Canada et tu découvrais le nombre de tombes. Ça a moyennemen­t bien passé. Bi‐ zarrement, ce sont des social justice warriors, des gens qui défendent les Autochtone­s et qui ne sont pas impliqués dans le mème, qui l’ont beau‐ coup critiqué. Mais des Au‐ tochtones à qui j’ai parlé – car j’en consulte toujours trois sur les mèmes que je fais qui les inclut – avaient trouvé ça [dur], mais pas insultant.

Est-ce un métier dange‐ reux?

Je suis [baveux] et je peux être méchant dans les mèmes que je fais, et ça peut se re‐ tourner contre moi. C’est dan‐ gereux d'avoir des opinions.

Ça m’est déjà arrivé, par le passé, que des gens ont cher‐ ché à me trouver. C’est surve‐ nu notamment pendant les convois pour la liberté. Une fois, plusieurs se sont mis sur mon cas à essayer de trouver qui j’étais. Je n’ai jamais eu peur pour ma sécurité; j’en ai vu d’autres.

J’ai reçu souvent des in‐ sultes en privé, ça peut être quelques fois par semaine. Mais moi, ça me fait toujours rire; je prends bien la critique et je ne prends pas à la dure les insultes.

Votre meilleur coup?

Le camion dauphin qui sautait, disant merci Camion, mais écrit mersi kemion, est un moment fort pour moi. In‐ foman l’a même sélectionn­é pour la galerie Jean-Tal.

J’aime aussi beaucoup ce mème [créé pendant le convoi de la liberté].

J’avais même fait une vidéo en direct lors de sa création.

Qu’est-ce que vous reti‐ rez de cette expérience?

Je n’ai pas encore beau‐ coup de recul par rapport à ce que j’ai fait. J’ai toujours tra‐ vaillé en me foutant un peu de la réaction des gens pen‐ dant ces deux dernières an‐ nées intensives [de création de mèmes].

Mais je peux dire que j’ai retrouvé une désinvoltu­re que j’avais perdue. Quand j’étais plus jeune, j’étais beau‐ coup plus désinvolte sur mes propos, sur ma manière de faire. J’ai renoué avec ça d’une manière plus mature, diffé‐ rente.

J’ai aussi appris à être un peu plus confronté à des opi‐ nions qui ne sont pas dans ma chambre d’écho, et à mieux savoir comment dealer socialemen­t avec ça.

J’ai vraiment abordé les mèmes d’une manière ré‐ flexive, intellectu­elle. J’ai ap‐ pris beaucoup de choses en faisant ça, par exemple com‐ ment faire des tournures de phrases pour que ça fonc‐ tionne bien, comment syn‐ thétiser et raconter une his‐

toire avec le moins de mots et d’images possibles.

Qu’auriez-vous à dire à quelqu’un qui veut se lan‐ cer dans l’univers du mème?

Il faut que t’en fasses beaucoup, car tu dois com‐ prendre la mécanique, com‐ prendre ce qui est drôle et ce qui est moins drôle. Il faut es‐ sayer des choses, faire de la recherche sur les mots, les images, essayer de sortir des sentiers battus, un peu. Si‐ non, ce sont toujours les mêmes gabarits qu’on voit.

Il faut aussi prendre le temps de réfléchir avant de faire un mème : quel message veux-tu passer, qu’est-ce que tu veux dénoncer? Que veuxtu raconter comme histoire?

J’ai lancé le groupe Dollora‐ mème sur Facebook, une sous-page de L’Actualité en mèmes. N’importe qui peut s’essayer et y publier des mèmes. Je donne des trucs, je fournis de nouveaux gabarits et incite les gens à se l’appro‐ prier. C’est un véritable labo‐ ratoire pour les internaute­s. De là, quelques pages de mèmes ont été lancées, et je reçois l’aide de deux autres personnes pour administre­r le groupe.

Comment réagissezv­ous à la vague d’amour qui déferle sur votre page Facebook depuis l’annonce de votre retraite?

Je suis très touché par ça. J’ai reçu beaucoup de témoi‐ gnages hors de cette an‐ nonce, aussi. J’étais un peu leur sauveur de la pandémie, leur sauveur du quotidien, le highlight de leur journée. C’est beaucoup, pour moi, car je n’aime pas recevoir des re‐ merciement­s, et j’ai énormé‐ ment de misère à les recevoir.

C’est quand même un gros deuil, parce que tu reçois beaucoup d'amour chaque jour, par le simple geste de la mention J’aime.

C'est une machine qui roule tout le temps dans ta tête, les mèmes. Tu vois les si‐ tuations à travers un prisme, pour aller chercher les para‐ digmes que les gens vont connaître, tu mélanges tout ça ensemble.

Les élections s’en viennent, allez-vous résis‐ ter à la tentation de mè‐ méfier l’actualité?

Ça fait deux semaines maintenant que j’ai vraiment décroché de l’actualité en gé‐ néral. Je ne dis pas que je n’au‐ rai pas une bonne idée et ne la publierai pas. C’est sur que je vais les écouter, les débats.

Je vais y aller selon comment je me sens le moment venu.

Quel legs pour L’Actuali‐ té en mèmes?

Je pense, honnêtemen­t, que j’ai élevé le niveau du mème, au Québec. J’ai forcé les autres pages à être plus créatives. Mon gros dada était d’essayer de créer du mème québécois, des références propres à ici, et des équiva‐ lents locaux de mèmes inter‐ nationaux.

Je laisse peut-être un petit héritage comme ça.

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