Urgences débordées en Estrie : « la sécurité des soins est compromise »
« La journée de mardi était le summum de ce que j'ai vécu en termes occupa‐ tion, en termes d'épuise‐ ment de mes collègues qui sont découragés de voir ça, qui se sentent impuissants et ont l'impression de tra‐ vailler dans des quasiconditions de médecine de brousse dans un centre universitaire. »
C'est sur un ton découragé que le Dr Benoît Heppell, mé‐ decin de famille et chef du Dé‐ partement de médecine géné‐ rale au CHUS, s'est rappelé sa journée de travail de mardi, à Sherbrooke. Le Titanic... là, le bateau est incliné et il coule. J'ai cette impression que cer‐ tains musiciens sont sur le pont pour jouer de la belle musique pour mettre de l'am‐ biance pendant que ça coule, et on est là.
À Magog, le taux d'occupa‐ tion à l'urgence est grimpé jusqu'à 258 % mardi. Aux hô‐ pitaux de Granby et de Brome-Missisquoi-Perkins, ce‐ lui-ci s'élevait à 156 % mercre‐ di après-midi et à Sherbrooke, ils étaient respectivement de 132 % et 123 % à l'Hôpital Fleurimont et à l'Hôtel-Dieu.
On voit rarement nos salles d'urgence aussi pleine partout. C'est un phénomène incroyable, les gens sont ma‐ lades. Les patients qui consultent sont sur des ci‐ vières, explique-t-il. Une ur‐ gence, ça sert à traiter des cas graves qu'il faut prendre en charge immédiatement. Pour cela, il faut de la place. Mais ce qu'on voit de plus en plus, ce sont des filées d'ambulance, des filées de civières, des pa‐ tients qui doivent attendre parce qu'on n'a pas les lits.
Quand on a des urgences à 258 % de taux d'occupation, c'est carrément la sécurité des soins qui est compromise. [...] Si vous arrivez avec un infarc‐ tus aigu et qu'on doit faire du réaménagement pour vous trouver un lit, ou sortir un pa‐ tient, ce sont de précieuses minutes qu'on perd.
Dr Benoît Heppell, méde‐ cin de famille et chef du Dé‐ partement de la médecine gé‐ nérale au CHUS
Des choix devront être faits
Récemment, des données de Québec révélaient qu'un patient sur cinq hospitalisé au CIUSSS de l'Estrie - CHUS ne devait pas s'y trouver. Ces pa‐ tients nécessitant un niveau de soins alternatifs (NSA) ne pouvaient tout simplement pas être déménagés dans un CHSLD, par manque de places.
Or, une grande partie des patients qui arrivent aux ur‐ gences proviennent des rési‐ dences privées pour aînés (RPA). Avant d'être hospitali‐ sés, ils passent par les ur‐ gences [...] Nos urgences sont inondées de cette clientèle-là, explique le médecin.
Le Dr Heppell estime que la décision de Québec d'aug‐ menter le nombre de patients par chambre dans les CHSLD est une solution qui permettra aussi de désengor‐ ger les hôpitaux. Il croit ce‐ pendant que Québec doit complètement revoir la façon d'offrir ses services, car on ne peut plus tout se permettre comme avant.
Est-ce qu'on
peut
par exemple encore se permettre une quatrième ligne de chi‐ miothérapie, qui va coûter des dizaines de milliers de dol‐ lars, qui va amener le patient pendant des semaines à l'hô‐ pital pour une espérance de vie de deux mois? [...] Ce sont des questions éthiques qu'il faudra un jour se poser, car la population vieillit. Clairement, si on veut continuer à tout se permettre, on va continuer à se mettre la tête dans le sable, mais on ne pourra pas tout se permettre.
Le Québec est à l'heure des choix sur le plan du ré‐ seau de la santé. On a moins les moyens de nos ambitions.
Dr Benoît Heppell, méde‐ cin de famille et chef du Dé‐ partement de la médecine gé‐ nérale au CHUS
Édouard, moins que la Nou‐ velle-Écosse, ça c’est un pro‐ blème, déplore-t-il.
D’autres initiatives pour‐ raient, selon David Coon, ré‐ pondre davantage aux be‐ soins de la population. Les cli‐ niques pour les soins pri‐ maires n’existent pas, les cli‐ niques de Vitalité ou Horizon n’existent pas, parce que le premier ministre n’avait pas le courage d’assurer un budget pour les réseaux afin de créer des cliniques de santé pri‐ maire.