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Danielle Smith provoque une lutte pour l’âme du Parti conservate­ur uni

- Audrey Neveu

Le débat de mardi soir l’a confirmé : l’enjeu clé dans la course à la chefferie du Parti conservate­ur uni est le projet de loi sur la « sou‐ veraineté de l’Alberta » de Danielle Smith. D’ici le 6 oc‐ tobre, les membres du Par‐ ti conservate­ur uni doivent décider s’ils sont prêts à al‐ lumer la mèche du baril de poudre constituti­onnel en choisissan­t l’ancienne chef du Parti Wildrose pour les diriger, au risque de fractu‐ rer encore plus leur parti et de se placer en danger électoral.

Danielle Smith a beau ac‐ coler l’étiquette de souverai‐ neté à son projet de loi, elle ne vise pas à faire de l’Alberta un pays. Elle veut plutôt se donner le pouvoir d’ignorer des lois fédérales et des juge‐ ments de tribunaux qui ne font pas son affaire.

Illégal, scandaleux, inconsti‐ tutionnel, les adjectifs ne manquaient pas chez ses ad‐ versaires et les experts pour disqualifi­er la propositio­n phare de la meneuse de la course. Seul Todd Loewen n’a pas taillé l’idée en pièces.

Face à cette levée de bou‐ cliers, Danielle Smith a rétro‐ pédalé cet été : il ne s’agirait que de réitérer les pouvoirs constituti­onnels de l’Alberta face à Ottawa.

Danielle Smith veut ainsi assouvir l’envie des conserva‐ teurs d’envoyer promener Jus‐ tin Trudeau et Ottawa, perçus comme sources de nombreux malheurs, notamment la res‐ triction des libertés indivi‐ duelles pendant la pandémie de COVID-19.

Plus qu’un projet de loi sur la souveraine­té de l’Alberta, ce que Danielle Smith offre, c’est de se venger d’Ottawa.

Elle emploie le même dis‐ cours populiste que Pierre Poilievre, puisque tous deux disent vouloir protéger Cana‐ diens et Albertains contre l’in‐ gérence du fédéral dans leur vie.

Pour l’ancien ministre des Finances, Travis Toews, son adversaire principal, les diffé‐ rentes versions du projet de loi de Danielle Smith sont trompeuses. L’une causerait une grave crise politique, l’autre ne serait qu’un coup d’épée dans l’eau.

Des écueils de tous cô‐ tés pour Smith

Peu importe la version adoptée, Danielle Smith joue gros avec sa loi sur la souve‐ raineté. Si elle ne va pas de l’avant avec celle-ci ou le fait avec une version édulcorée, elle s’expose aux mêmes cri‐ tiques que Jason Kenney, ac‐ cusé de ne pas avoir suffisam‐ ment défendu l’Alberta contre Ottawa.

Les libertarie­ns qu’elle courtise pourraient de nou‐ veau lui accoler l’étiquette de traîtresse, comme lorsqu’elle avait rejoint les rangs du gou‐ vernement de Jim Prentice en 2014 alors qu’elle était chef de l’opposition.

Si elle exécute son plan, elle ouvrirait la boîte de Pan‐ dore constituti­onnelle, un geste aux conséquenc­es im‐ prévisible­s. Bien sûr, elle satis‐ ferait sa base bien campée à droite, mais les modérés pourraient quitter le navire. Difficile de voir une Rajan Sawhney ou une Rebecca Schulz, des candidates ur‐ baines et plus progressis­tes, implanter l’agenda d’une pre‐ mière ministre Smith.

Déjà, Rebecca Schulz et Travis Toews refusent de dire s’ils intégrerai­ent Danielle Smith dans leur cabinet s’il sont couronnés. Plus encore, l’ancien ministre des Finances ne veut pas s’engager à rester en politique s’il perd la course.

C’est loin d’être une main ten‐ due à l’aile la plus à droite du parti.

Une menace pour l'ave‐ nir du parti

Cette aile, héritière du Par‐ ti Wildrose, a eu l’impression d’avoir été mise de côté par Jason Kenney après la fusion avec les progressis­tes-conser‐ vateurs. Si, grâce à Danielle Smith, cette frange reprend le pouvoir au sein du parti elle le protégera jalousemen­t. Les modérés pourraient ne plus s’y sentir les bienvenus et quitter le parti.

Cette course à la chefferie était censée unifier les conser‐ vateurs albertains, profondé‐ ment divisés après deux an‐ nées de pandémie et le style de leadership abrasif de Jason Kenney. Au lendemain de l’an‐ nonce du départ de celui-ci, un rapprochem­ent semblait possible. La propositio­n ex‐ plosive de Danielle Smith rend illusoire cette réconcilia­tion. Elle a transformé la course en une lutte pour l’âme du parti.

Elle serait par ailleurs un cadeau inespéré offert à Ra‐ chel Notley, qui a été portée au pouvoir en 2015 grâce aux divisions dans la famille conservatr­ice. Pour répéter l’exploit en mai 2023, Rachel Notley pourrait capitalise­r sur le fait que rien n’indique qu’une majorité d’électeurs a de l’appétit pour une idée aussi clivante que celle propo‐ sée par Danielle Smith. Les bleus mécontents pourraient décider de rester chez eux ou voter orange.

À trop vouloir se venger d’Ottawa, les conservate­urs albertains pourraient provo‐ quer l’effet inverse, soit un gouverneme­nt provincial beaucoup plus aligné avec les libéraux de Justin Trudeau.

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