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La perturbati­on des tribunaux, une tactique du groupe des « citoyens souverains »

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La comparutio­n devant le tribunal d'Ottawa d'un homme - connu comme « le camionneur qui n'est jamais parti » - a dérapé, cette semaine, lorsqu'il a déclaré que Dieu était son avocat. C'est le dernier exemple de ce que certains observateu­rs qualifient de regroupeme­nts « anti-gou‐ vernementa­ux » tentant de contester les conven‐ tions juridiques.

Walter Derksen, également nommé Brian par ses parti‐ sans, a continuell­ement sem‐ blé vouloir interrompr­e les procédures judiciaire­s, mer‐ credi, avec des déclaratio­ns selon lesquelles il était la Cou‐ ronne.

Bien que ces affirmatio­ns puissent ressembler à de simples fanfaronna­des, Chris‐ tine Sarteschi estime qu’il s’agit plutôt de la progressio­n de ce qu'on appelle le mouve‐ ment des "citoyens souve‐ rains".

La professeur­e agrégée en travail social et criminolog­ie à l'Université Chatham, à Pitts‐ burgh, étudie le phénomène. Elle raconte en avoir suivi la croissance dans 27 pays, dont le Canada.

Les citoyens souverains sont des gens qui ne croient pas que la loi s'applique à eux, explique-t-elle, ajoutant que le concept existe sous diffé‐ rentes formes depuis les an‐ nées 1950.

[Ils pensent qu’]il n’est pas nécessaire de faire les choses qu’on n'aime pas faire. Mais ce n’est pas comme ça que ça marche.

M. Derksen est accusé d’obstructio­n à un agent de la paix et de troubles à l’ordre public en étant ivre.

Après des interrupti­ons ré‐ pétées lors de sa comparu‐ tion devant le tribunal mer‐ credi, le juge a ordonné son expulsion. Il sera de retour au tribunal plus tard ce mois-ci.

Des arguments voués à l'échec, selon un avocat

Ces perturbati­ons sont le dernier épisode d'une série d'approches juridiques non convention­nelles adoptées à Ottawa qui, selon un autre ex‐ pert, retardent au mieux le processus judiciaire, au pire, causent des troubles sociaux et peut-être même des dom‐ mages corporels.

Cela peut entraîner des dé‐ lais, estime Me Stephanie Di‐ Giuseppe, associée du cabinet d'avocats torontois Ruby Shil‐ ler Enenajor DiGiuseppe et di‐ rectrice de la Criminal Lawyers 'Associatio­n.

Lorsque les affaires prennent plus de temps et qu'une personne est détenue, elle passera plus de temps en détention provisoire et cela fait mauvais effet.

M. Derksen fait référence aux citoyens souverains dans des vidéos publiées sur les ré‐ seaux sociaux, dont une pu‐ bliée sur YouTube le 2 juin, où il dit que les gens sont censés suivre sous la loi de Dieu.

Nous sommes des ci‐ toyens souverains, dit-il à un moment donné, ajoutant, tout ce qui se passe dans ces salles d'audience, c’est de la fiction, peu de temps après.

Dans une vidéo en direct partagée sur Facebook le même jour, il mentionne avoir donné à la police son discours sur les droits souverains.

Malgré les déclaratio­ns de M. Derksen, Me DiGiuseppe juge que les arguments des ci‐ toyens souverains ne fonc‐ tionnent pas devant les tribu‐ naux.

Les arguments selon les‐ quels les tribunaux canadiens n'ont pas compétence sur une personne au Canada ne vont tout simplement nulle part.

Me Stephanie DiGiuseppe, associée du cabinet d'avocats torontois Ruby Shiller Enena‐ jor DiGiuseppe et directrice de la Criminal Lawyers 'Associa‐ tion

Mme Sarteschi explique que le mouvement, au Cana‐ da, est apparu sur son radar lors des différents convois des camionneur­s, l'hiver dernier. Elle a alors vu des vidéos de personnes tentant de prendre la place et les fonc‐ tions d'agents de la paix.

Elle mentionne également le Peuple uni du Canada (TUPC), un groupe controver‐ sé lié au convoi des camion‐ neurs et à la manifestat­ion qui a perturbé une partie du centre-ville d'Ottawa pendant des semaines.

Alors que le TUPC publie souvent des articles sur l'état de droit et les poursuites pri‐ vées, il a également créé ce qu'il appelle la Force de sécu‐ rité du peuple et a procédé à ce que le groupe a appelé une arrestatio­n citoyenne pour ré‐ cupérer un pistolet à eau.

L'approche de ce groupe est toutefois légèrement diffé‐ rente, selon Mme Sarteschi.

Chaque fois que quelqu'un tente d'interpréte­r la loi à sa manière - d’une façon incom‐ patible avec celle dont les pro‐ fessionnel­s du droit inter‐ prètent la loi - et essaie d’im‐ poser sa propre conception des choses, que personne ne trouve valable, je pense qu’il s’agit d’un mouvement antigouver­nemental par nature.

Les conviction­s de ces ci‐ toyens souverains incluent souvent le fait de ne pas payer d'impôts ou de ne pas immatricul­er son véhicule et de contester la légitimité du tribunal - des tactiques que la professeur­e dit n'avoir jamais vues réussir dans aucun pays.

Vers une société incivile

Mais s'il peut être tentant de considérer ceux qui font partie de ce mouvement comme des clowns, Mme Sar‐ teschi juge qu'il y a un danger à ne pas les prendre au sé‐ rieux.

Un groupe de personnes qui suivent un théoricien du complot QAnon, qui prétend être la reine du Canada, s'est récemment réuni à Peterbo‐ rough pour tenter d'arrêter des policiers.

Plusieurs membres du groupe ont fini par être arrê‐ tés à la place, y compris un homme qui avait précédem‐ ment déclaré à CBC qu'ils ten‐ taient de procéder à une ar‐ restation citoyenne pacifique et légale, car nous en avons assez de la tyrannie au sein de la société canadienne.

Mme Sarteschi indique que les personnes qui sous‐ crivent aux idées des citoyens souverains y croient vraiment et peuvent être surprises et même s'indigner lorsqu'on s’y oppose.

Cela peut conduire à des situations potentiell­ement dangereuse­s et violentes, à la fois pour les personnes qui partagent ces opinions et pour la police, poursuit-elle.

Je les décris comme des personnes égoïstes qui cherchent à faire quelque chose qui ne profite [qu’à eux], dit Mme Sarteschi. Peu importe que ce soit irrespon‐ sable ou que cela puisse nuire à d'autres personnes dans la société.

La professeur­e juge que le développem­ent de la pensée critique et la remise en ques‐ tion des théories du complot sont deux façons d'affronter ce mouvement. Elle pense également que les citoyens souverains devraient faire face à des conséquenc­es lors‐ qu'ils enfreignen­t la loi afin qu'ils ne s’enhardisse­nt pas .

Vous avez tous ces petits

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