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« Maison de la conscience » : une solution pour loger les statues mal-aimées?

- Mirna Djukic

Des entrepôts, sous-sols, et même des rivières : ce sont les nouvelles maisons de plusieurs statues et monu‐ ments de personnage­s à l’héritage controvers­é, au Canada et ailleurs dans le monde. La planificat­rice de musée Gail Lord propose de créer une « maison de la conscience » qui pourrait leur donner une seconde vie plus utile.

La statue du premier des premiers ministres du Cana‐ da, John A. MacDonald, qui trônait devant l'Assemblée lé‐ gislative de l’Ontario est ca‐ chée dans une boîte en bois depuis deux ans, son sort en suspens.

Celle appartenan­t à King‐ ston est dans les limbes aussi, depuis que la Ville l’a retirée de son parc pour tenter de l’envoyer à un cimetière histo‐ rique qui n’en veut pas.

Bien d’autres statues de personnage­s historique­s controvers­és, incluant Eger‐ ton Ryerson et des membres de la Royauté, ont fini ca‐ chées ou simplement en mor‐ ceaux dans les dernières an‐ nées.

Gail Lord, planificat­rice de musée et présidente de la firme de conseils Lord Cultu‐ ral Resources, croit qu’elle pourrait leur trouver un nou‐ veau destin.

Elle propose une nouvelle sorte de musée pour loger toutes ces statues malme‐ nées, les remettre en contexte, et les utiliser comme points de départ pour des conversati­ons sur nos his‐ toires difficiles.

Elle appelle cela une mai‐ son de la conscience.

Pas pour les excuser, mais pour comprendre l'Histoire

Il faut imaginer un grand espace comme un hangar [d’avion], et dans cet espace on peut trouver des statues, en bonne condition ou dégra‐ dées, explique-t-elle.

La chose la plus impor‐ tante c’est de présenter les statues dans leur contexte. Peut-être en employant un code QR, peut-être avec une vidéo, peut-être avec une ex‐ périence immersive [...] la poé‐ sie, le théâtre.

Gail Lord, présidente de Lord Cultural Resources

Elle imagine ces endroits comme des lieux où ceux qui voient en Egerton Ryerson et John A. MacDonald des archi‐ tectes de l’oppression des Au‐ tochtones, et ceux qui les considèren­t comme des pion‐ niers de la création du Canada et de l’éducation au pays pourraient se rencontrer, et se comprendre.

Je ne peux trop insister sur l’importance d’amener de la compréhens­ion. Non pas pour excuser [ces person‐ nages] mais pour comprendre que l’Histoire change. Nos va‐ leurs changent, dit-elle.

Une idée attrayante?

Le principe plaît au chef de la Première Nation d’Alder‐ ville, Dave Mowat.

On n’apprend rien en reti‐ rant des statues, affirme-t-il.

L’historien de formation préside un groupe de travail qui conseille la Ville de King‐ ston sur le sort de la statue et du reste de l’héritage de John A.MacDonald.

S’il a lui-même conseillé à la Municipali­té de retirer sa statue du parc, c’est parce qu’il était convaincu que si‐ non, des manifestan­ts s’en oc‐ cuperaient moins cérémo‐ nieusement.

Il trouve que c’est dom‐ mage, mais reconnaît qu’il y avait un besoin de recadrer le message envoyé par le monu‐ ment.

Le groupe de travail avait discuté de plusieurs solutions, comme celle d’ériger une se‐ conde statue à ses côtés, de l’accompagne­r d’une plaque explicativ­e, ou encore de la descendre de son piédestal.

Si ce que ça prend, c’est construire une maison de la conscience, faisons-le, et peut-être que ça permettra aux gens d’apprendre à connaître MacDonald et ses collègues de l’époque sous un autre jour, conclut-il.

L’historien veut cependant que cela se fasse à Kingston, afin que l’héritage de l'ancien premier ministre reste acces‐ sible, dans la ville où il est en‐ terré.

Une mémoire collective en constante renégocia‐ tion

Martin Pâquet, professeur d’histoire à l’Université Laval qui se spécialise dans le do‐ maine de la commémorat­ion, explique que le dilemme sur l’avenir de nos statues n’a rien d’unique à notre pays ni à notre époque.

Il cite en exemples les mo‐ numents à Lénine et Marx qui sont tombés de leurs piédes‐ taux après la chute du com‐ munisme en Europe, la statue de Staline dont il ne reste plus que les bottes à Budapest, ou encore celle de Léopold II à Anvers, qui a été accompa‐ gnée d’une plaque explicativ­e mentionnan­t les horreurs que l'ancien roi des Belges a cau‐ sées au Congo, puis carré‐ ment enlevée de la place pu‐ blique.

Il y a une constante rené‐ gociation, explique l’historien, de notre mémoire collective et des rapports de pouvoirs symbolisés par ces monu‐ ments.

L’idée proposée par Gail Lord n’est d'ailleurs pas entiè‐ rement sans précédent.

En Bulgarie, par exemple, le Musée d’art socialiste de Sofia accueille des statues, bustes et autres reliques de l’époque soviétique qui n’étaient plus bienvenus sur la place publique.

Comprendre sans l’idéaliser l’Histoire

Martin Pâquet estime que changer l'emplacemen­t d’une statue, c’est souvent changer son but.

Dans la rue, on veut vous séduire, vous rattacher à un symbole et vous faire adhérer à des valeurs communes, ditil.

C’est une manière d’impo‐ ser cette adhésion, alors que si vous allez dans un musée, cette adhésion n’est pas im‐ posée, parce que c’est un lieu où on tente en premier de vous faire comprendre quelque chose.

France Picotte, citoyenne de la Nation métisse de l’On‐ tario établie à Timmins, aime le concept des maisons de la conscience.

J’aime le fait que [ces sta‐ tues] peuvent être utilisées pour de l'éducation [sur] la vraie histoire, pas juste l’his‐ toire de l’homme européen, là. La vraie histoire qui est ar‐ rivée au Canada et [...] à nous autres comme peuple autoch‐ tone.

France Picotte, citoyenne de la Nation métisse de l’On‐

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