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Survivre ou aider autrui : l’impact de l’inflation sur les immigrants

- Francesca Mérentié

L'inflation a un impact sur la santé mentale de nom‐ breux Canadiens issus de l'immigratio­n qui éprouvent des difficulté­s à offrir du soutien financier à leurs proches.

Sandra Sassa est originaire du Congo. En cette période in‐ flationnis­te, il lui est difficile de réconcilie­r sa part de vie africaine et canadienne. C’est vraiment ma santé mentale qui en souffre; à vouloir tirer les deux bouts du monde, l’Amérique et l’Afrique, ex‐ plique-t-elle.

Pour elle, envoyer de l’ar‐ gent vers son alma mater afin d’aider les siens est un devoir. J’ai une carte de loyauté chez Western Union, dit-elle en riant de cette pièce symbo‐ lique qui démontre l’impor‐ tante fréquence de ces trans‐ ferts de fonds.

La Torontoise explique qu’une partie importante de son gagne-pain est transférée au Congo pour la survie des gens de là-bas. Toutefois, ces derniers temps, elle se voit obligée de refuser de plus en plus demandes de soutien. Une situation face à laquelle elle se sent impuissant­e. J’ai le sentiment que je les ai aban‐ donnés, dit-elle.

Cela fait 30 ans que ses pa‐ rents et elle ont immigré au Canada alors qu’elle était une adolescent­e. Aujourd’hui, mère de quatre enfants, elle confie que ces trois décennies n’ont guère refroidi ses liens avec ses proches en Afrique.

Ses parents lui ayant en‐ seigné que la famille élargie et mononucléa­ire revêtent la même importance. Nous sommes très famille, dit-elle en joignant les mains en signe d’unité. D’ailleurs, chez nous, les termes cousins n’existent pas, ajoute-t-elle. D’où son sentiment de devoir à tout prix appuyer sa famille en Afrique. Comment ne pas le faire vu la réalité [au Congo]?

Mme Sassa confie devoir prioriser ses factures d’épice‐ rie tout en repoussant les échéances d’autres responsa‐ bilités. Je dois nourrir mes en‐ fants [si bien que ] demain je pourrai manquer de payer l’électricit­é ou le gaz.

Pour Mme Sassa, devoir dire non à certaines de‐ mandes de ses proches peut aussi avoir des conséquenc­es graves. Elle explique par exemple que le fait de ne pas payer des médicament­s à quelqu’un peut déboucher sur son hospitalis­ation. Une facture qui pourrait donc lui coûter plus cher. Ça vient avec beaucoup d’anxiété [...] connaissan­t aussi les réalités socio-économique­s des gens de là-bas, si aujourd’hui je dis non, demain ce même pro‐ blème va s’accroître, dit-elle.

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Patrick Kaketa Mpiana, président de l’Associatio­n des Congolais de l’Ontario, confie faire face aux mêmes enjeux. Moi, personnell­ement, j’ai dé‐ cliné certaines demandes des familles [...] Vous vous sentez impuissant, dit-il.

Vous avez les mêmes sa‐ laires et le coût de la vie a aug‐ menté [...] Il y a certaines de‐ mandes qu’on ne peut plus satisfaire [...] Vous êtes déçu de vous-même, mais vous ne pouvez pas faire autrement.

Patrick Kaketa Mpiana, président Associatio­n des Congolais de l’Ontario

De plus, M. Mpiana ex‐ plique que cette situation est source de tensions dans les familles.

Même son de cloche du côté de la Coalition des Noir.e.s de l’Ontario. Le viceprésid­ent de l'organisme, Pa‐ trick Auguste prévoit une aug‐ mentation des problèmes de santé mentale et des tensions familiales. De façon générale, les immigrants ont une cer‐ taine vulnérabil­ité pour faire face à leurs besoins de pre‐ mière nécessité, dit-il.

Ajoutant à cela le facteur de l’inflation, M. Auguste croit que cette situation augmente le stress. Aider la famille res‐ tée dans le pays d’origine, c’est très important pour les nouveaux arrivants.

Il y a de grandes attentes envers eux [les immigrants]. C’est certain que cela devient très difficile.

Patrick Auguste, vice-pré‐ sident de la Coaliton des Noir.e.s francophon­es de l’On‐ tario

Sandra Sassa croit égale‐ ment que l’inflation touche de manière particuliè­re ces confrères africains. Nous fai‐ sons face à la même tempête, mais racialemen­t parlant, on n’est pas tous dans le même bateau.

S’adapter pour résister à l’inflation

Yahudha Man Kamaha est d’origine camerounai­se et vit en Ontario depuis 5 ans. Il soutient financière­ment sa femme et ses trois enfants restés en Afrique. Selon la mentalité africaine, on n’aban‐ donne pas ses proches. Même si c’est plus difficile ici, on essaie de se battre pour voir dans quelle mesure s’ajuster, dit-il.

Comme mesures d’adapta‐ tion face à l’inflation, M. Ka‐ maha choisit de diminuer cer‐ taines dépenses personnell­es et de multiplier les emplois. Je n’ai pas de voiture en ce mo‐ ment donc je ne stresse pas pour les assurances, l’essence, dit-il. Je n’aime pas dépendre d’une seule source de reve‐ nus.

Auparavant, je payais 400 $ pour l’assurance automo‐ bile, donc [...] ces 400 $ seront utilisés pour la famille qui est restée au pays.

Yahudha Man Kamaha, Scarboroug­h

Inflation oblige, le résident de Scarboroug­h envisage de diminuer l’aide s’il le faut. La facilité avec laquelle on aidait les proches va peut-être dimi‐ nuer, raconte-t-il.

De son côté, Sandra Sassa envisage de recourir aux banques alimentair­es pour di‐ minuer sa facture d’épicerie afin de pouvoir soutenir ses proches en Afrique.

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