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Contre toute attente, des vacances à Gaza

- Manon Globensky

C’est un petit oreiller de voyage aux couleurs du drapeau canadien qui a d’abord attiré mon regard à travers la foule bigarrée, bruyante et chaotique qui se pressait à la frontière Gaza-Égypte ce matin-là.

Je suis avec une journalist­e canadienne, a dit mon fixer (traducteur et guide local) Ay‐ sar en arabe en s’approchant du jeune homme qui tenait le coussin. Tu parles anglais peut-être? Dans sa réponse j’ai entendu anglais et fran‐ çais. J’ai sursauté. Français? : Ben oui on vient du Québec. La réponse a fusé, joyeuse. J'ai été projetée à Montréal par son accent.

Il s’appelle Mohammed Aboudraz, il a 17 ans. Il a pas‐ sé ses vacances d’été à Gaza, dit-il, et sa famille et lui enta‐ maient le voyage de retour vers le Québec le 24 août der‐ nier.

Son grand-père et sa mère s’affairaien­t autour des valises et Mohammed m’a donné quelques détails sur son été, des étoiles dans les yeux. Il m’a dit qu’il a adoré Gaza, qu’il a vécu l’expérience inoubliabl­e de voir comment vit sa fa‐ mille.

Reema, sa soeur de 19 ans, renchérit. Sa découverte de l’été a été de constater à quel point elle et ses cousins et cousines se ressemblen­t et ont les mêmes rêves et les mêmes ambitions. Mais ils sont toujours pris dans une prison de verre, m’a-t-elle dit.

Bande de Gaza

Territoire bordé par la mer Méditerran­ée, Israël et l’Égypte Superficie de 360 km2 (470 km2 pour l'île de Mont‐ réal) Depuis 2007, le Hamas gouverne le territoire Le blo‐ cus imposé par Israël a entraî‐ né une hausse du taux de chômage et de la pauvreté et une chute des exportatio­ns (fraises et légumes) Le taux de chômage dépassait les 55 % en mai 2022, selon Palestine Trade Union Federation

Jusqu’à maintenant, je n’étais allée en reportage à Gaza qu’en période d’affronte‐ ments entre l’armée israé‐ lienne et les factions palesti‐ niennes, et j’y voyais une des‐ tination de vacances bien in‐ usitée.

Coupures de courant, pro‐ blèmes d’eau potable, ouver‐ ture aléatoire des deux points de passage du territoire, dont un seul, celui vers l’Égypte, est disponible aux touristes, rien de cela n’est attirant.

Ce qui a changé, c’est le bord de mer, de plus en plus tentant, car au fil des années, plusieurs investisse­ments ont permis d’améliorer la propreté de la mer et de la plage. Mo‐ hammed, Reema, leur frère Mourad et leur petite soeur Dana ont vécu deux mois à Gaza et disent avoir passé de bons moments.

Pas de vacances de tout repos

Mais vers la fin des va‐ cances, du 5 au 7 août, l’ar‐ mée israélienn­e a mené une opération militaire préventive dans la bande de Gaza, l’opé‐ ration Aube naissante.

Il y aurait eu 147 frappes aériennes contre le Djihad is‐ lamique, deuxième groupe en importance à Gaza, respon‐ sable de plusieurs attentats meurtriers dans le passé qui, lui, aurait riposté avec plus de 1000 roquettes. L’armée af‐ firme que 96 % des roquettes ont été intercepté­es par le système israélien de défense aérienne Dôme de fer.

Deux soldats et 39 civils is‐ raéliens ont été blessés pen‐ dant les trois jours, alors qu’une quarantain­e de civils palestinie­ns sont morts (entre 36 et 49 victimes, il n’y a pas de bilan définitif).

Reema et sa famille n’étaient pas dans un endroit touché directemen­t par les bombardeme­nts, mais voici ce qu’elle m’a précisé par écrit :

On a vécu l'état de guerre au complet; pas de sortie la nuit, pas de rassemblem­ents, pas de téléphone, inquiétude au plafond, attente intermi‐ nable. On a l'habitude de tous se rassembler chez ma grandmère et de passer nos soirées là-bas, mais ce n'était plus possible. Mes cousins/cou‐ sines étaient vraiment stres‐ sés et sensibles.

Ayant vécu contre toutes les guerres précédente­s, ils avaient peur que la dernière offensive escalade au même niveau que les années der‐ nières. La façon dont ils sont devenus extra-anxieux et avaient les nerfs à fleur de peau m'a montré comment ils sont profondéme­nt affectés par les guerres passées et comment c'est des blessures qui sont juste enfouies en fait.

Personne ne voulait de guerre. Même après la fin de l'offensive, ça a pris plusieurs jours pour que la vie reprenne son cours et que l'ambiance redevienne comme avant.

Attachemen­t à appel au Canada Gaza,

Reema, après une photo avec le fameux oreiller de voyage rouge et blanc, m’a dit qu’elle est fière de sa nationa‐ lité canadienne, fière de parler français au Québec. Mais qu’elle n’est pas fière des ac‐ tions du Canada dont elle dit qu’il fait partie des cinq plus importants exportateu­rs d’ar‐ mements à Israël (numéro 5 effectivem­ent, 0,3 % en 20202021, selon le Stockholm In‐ ternationa­l Peace Research Institute).

Elle a voulu profiter de l’en‐ trevue, a-t-elle dit, pour pas‐ ser un message au peuple ca‐ nadien et au Canada qu’il est temps de changer de voie et d’être du côté des opprimés et non du côté des oppres‐ seurs comme on a vu dans le passé. Pourquoi faire les aveugles quand cela concerne Gaza?, m'écrivait-elle plus tard. Et Mohammed souhaite plus de solidarité avec la Pa‐ lestine parce que, a-t-il dit, c’est aussi un pays et que les droits de la personne des Pa‐ lestiniens existent.

Long voyage de retour

Mohammed m’a confié que, selon lui, la complexité du voyage à l'entrée et à la sortie de la bande de Gaza est voulue, pour décourager le plus grand nombre de l’entre‐ prendre. Il y a plus de 2,3 mil‐ lions de Palestinie­ns sur le pe‐ tit territoire et, en 15 ans de blocus israélien, certains ont réussi à sortir une fois, peutêtre deux, d’autres jamais.

Pour rentrer au Canada, la famille Aboudraz a mis près de 24 heures pour arriver au Caire, un trajet qui prend 6 heures sans encombre. La famille s’était inscrite long‐ temps à l’avance pour obtenir une date de sortie à la fin du mois d’août. Le 24 août, ils sont arrivés à Rafah à 7 heures du matin pour fina‐ lement avoir accès au côté égyptien de la frontière à 13 heures et attendre jusqu’à 19 heures 30 avant de rece‐ voir leurs passeports dûment étampés.

Ensuite ça a été le voyage en autobus vers Le Caire, mais en raison de nombreux arrêts et postes de contrôle, ils ne sont arrivés qu’à 5 heures du matin le 25 août.

Les difficulté­s de déplace‐ ment de la famille montréa‐ laise avaient déjà fait la man‐ chette en 2008. Reema n’avait

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