Pénurie de main-d’oeuvre : des salaires plus élevés pour les nouveaux employés?
Dans le contexte de pénu‐ rie de main-d'oeuvre, des experts indiquent que plu‐ sieurs entreprises doivent augmenter leur offre sala‐ riale pour attirer des candi‐ dats externes. Mais dans certains cas, cette pra‐ tique peut mener à une différence importante de salaires entre les nou‐ veaux employés et les em‐ ployés actuels d’expérience égale.
Dans les bureaux de la compagnie énergétique Peak Power à Toronto, les em‐ ployés sont tous à leur poste, en train de travailler.
Plus loin, une partie du bu‐ reau reste déserte, sans postes de travail : c’est là que vont s’installer les nouveaux employés, une fois que l’en‐ treprise les aura trouvés.
Nous cherchons à pour‐ voir 15 postes au sein de l’en‐ treprise, affirme Leigh Billing‐ hurst, la directrice du person‐ nel et de la culture d’entre‐ prise.
Peak Power prend donc de l’expansion. En tout, la com‐ pagnie compte actuellement 67 employés, incluant les cadres.
Mais pourvoir ces postes n’est pas toujours facile.
Nous devons être concur‐ rentiels, mais nous ne pou‐ vons pas nous permettre d’of‐ frir des salaires qui ne corres‐ pondent pas à ceux de nos employés.
Leigh Billinghurst, direc‐ trice du personnel et de la culture d’entreprise, Peak Po‐ wer C’est très compétitif. C’est difficile de trouver des candi‐ dats, surtout à l’étape de l’offre finale. Certains ont plu‐ sieurs offres en même temps et peuvent donc choisir à la dernière minute, explique Mme Billinghurst.
Une façon d’attirer des re‐ crues, selon elle, c’est d’aug‐ menter l’offre salariale. Peak Power ne peut cependant pas se permettre d’offrir des sa‐ laires exorbitants, afin de maintenir une certaine équité entre ses employés actuels et les nouveaux.
La rétention de nos em‐ ployés actuels est tout aussi importante que le recrute‐ ment de nouveaux tra‐ vailleurs, constate-t-elle.
D’autres entreprises peuvent pourtant se trouver dans des situations difficiles si elles décident de trop aug‐ menter leurs offres salariales pendant le processus d’em‐ bauche, selon des experts.
Les salaires peuvent at‐ tirer des travailleurs
Le salaire devient un élé‐ ment très important. Bien que ce ne soit pas le seul, le salaire peut être l’élément qui fait pencher la balance et dé‐ terminer si quelqu’un change d’emploi ou non, explique la cheffe de pratique en rému‐ nération, Anna Potvin.
Mme Potvin travaille pour la firme de ressources hu‐ maines canadienne Norman‐ din Beaudry.
En septembre 2022, cette entreprise a publié des don‐ nées qui démontrent que les budgets moyens d’augmenta‐ tion salariale prévus au Cana‐ da sont plus élevés que les tendances historiques.*
Les entreprises cana‐ diennes sondées comptent donc allouer une somme plus importante aux salaires de leurs employés, pour les aug‐ mentations salariales géné‐ rales et les augmentations sa‐ lariales liées au rendement ou à la performance des indivi‐ dus.
Ce qui explique cette ten‐ dance, selon le rapport, ce sont les conditions difficiles du marché du travail, comme la pénurie de personnel et le faible taux de chômage. Il cite également les répercussions du contexte économique ac‐ tuel, surtout en ce qui concerne l’inflation et une possible récession.
Selon Anna Potvin, ces données indiquent que l’aug‐ mentation des offres sala‐ riales aux nouveaux em‐ ployés crée également une pression sur les salaires à l’in‐ terne.
La pression des salaires, c’est aussi une pression à l’in‐ terne. Pour embaucher quel‐ qu’un de l’extérieur, je dois verser un salaire X qui est peut-être plus élevé que ce que je paie déjà quelqu’un à l’interne avec un bagage équi‐ valent, dit-elle.
Même son de cloche du côté de Michael O’Leary, viceprésident de la firme de res‐ sources humaines Robert Half.
On le sent – il y a beau‐ coup plus de pression sur les salaires actuellement.
Michael O’Leary, vice-pré‐ sident, Robert Half
La majorité des nouveaux employés qui commencent aujourd’hui touchent des sa‐ laires plus élevés, donc les en‐ treprises doivent être plus créatives pour donner des augmentations à l’interne, constate-t-il.
Cette différence de salaires peut ensuite devenir difficile à gérer pour les entreprises qui, comme le fait valoir Leigh Billinghurst de Peak Power, veulent aussi s’assurer de gar‐ der leurs employés actuels.
Embaucher pour éviter l'épuisement professionnel
Mais Michael O’Leary in‐ dique qu’offrir un salaire plus élevé à un nouvel employé est parfois une stratégie qui vise justement à retenir un
employé loyal.
En tant qu’entreprise, j’ai peut-être beaucoup de travail qui rentre, ce qui fait que la charge de travail de mon em‐ ployé actuel augmente. Mais moi, je ne veux pas qu’il parte parce qu'il est en épuisement professionnel, donc je dois trouver quelqu’un d’autre qui pourra prendre une partie du travail, explique le vice-pré‐ sident de Robert Half.
Comme entreprise, je vais peut-être un peu payer plus cher pour m’assurer de trou‐ ver quelqu’un pour ne pas perdre mon employé. C’est comme ça que la surenchère se fait.
Michael O’Leary, vice-pré‐ sident, Robert Half
Pour plusieurs compa‐ gnies, le but de l’embauche est donc d’alléger la charge de travail des employés qui res‐ tent. Mais cela peut accroître la différence de compensation entre les nouveaux et les em‐ ployés actuels qui ont la même expérience, ce qui peut ensuite pousser les anciens à quitter leur emploi de toute façon.
C'est une chose que les en‐ treprises voulaient éviter en premier lieu.
L’importance de l’offre d’emploi globale
Comment les entreprises peuvent-elles garder leurs employés tout en attirant de nouveaux travailleurs?
Selon les experts, la clé, c’est de bonifier l’offre d’em‐ ploi globale et de bien com‐ muniquer avec ses employés, surtout pendant des périodes de recrutement.
Les entreprises qui tra‐ vaillent sur leur offre globale et leur culture organisation‐ nelle depuis longtemps sont aujourd’hui beaucoup mieux équipées pour faire face à la situation actuelle.
Anna Potvin, cheffe de pra‐ tique en rémunération, Nor‐ mandin Beaudry
J’encourage les entreprises à avoir une bonne planifica‐ tion des ressources. Quand on investit du temps avec nos employés, c’est là qu’on crée une culture du travail in‐ croyable. C’est à ce moment-là que les gens vont rester, et surtout vont comprendre la stratégie de l’entreprise, lance Michael O’Leary.
Et c’est justement ce que compte faire Peak Power.
Nous sommes en train de mettre en place un cadre de compensation pour nos em‐ ployés ainsi qu’une stratégie de rétention ancrée dans des sondages d’employés, ex‐ plique Leigh Billinghurst.
Nous voulons bien com‐ muniquer avec nos employés et avoir leur avis sur ce qu’ils veulent et ce qui est impor‐ tant pour eux au travail.
Leigh Billinghurst, direc‐ trice du personnel et de la culture d’entreprise, Peak Po‐ wer
Le but de Peak Power, et de plusieurs entreprises, est simple : donner une raison à leurs employés de rester… tout en attirant de nouveaux employés pour continuer à grandir.
*Le rapport de Normandin Beaudry a été publié le 8 sep‐ tembre 2022. L'entreprise a sondé plus de 750 entreprises à travers le Canada qui repré‐ sente près de 1,8 million d'em‐ ployés.