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Les militaires accusés devraient-ils porter leur uniforme dans les tribunaux civils?

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L'armée canadienne est en train de revoir sa politique en matière de code vesti‐ mentaire pour les procès civils en réponse à l'indi‐ gnation en ligne suscitée par la décision récente de Dany Fortin, un comman‐ dant militaire hautement décoré, de porter son uni‐ forme et ses médailles lors de son procès pour agres‐ sion sexuelle.

Le major-général Dany Fortin, qui dirigeait l’impor‐ tante campagne de distribu‐ tion des vaccins contre la CO‐ VID-19 au Canada jusqu’en mai 2021, a été accusé d'agression sexuelle en lien avec un incident présumé sur‐ venu en 1988.

Il a plaidé non coupable, répétant au palais de justice de Gatineau n’avoir « fait ja‐ mais » ce dont il est accusé. Il s'est défendu dans un tribu‐ nal civil du Québec plus tôt cette semaine, vêtu de son uniforme, avec 10 médailles sur la poitrine.

Dany Fortin et son avocat ont déclaré qu'ils ne feraient aucun commentair­e pendant le procès. Un porte-parole de Dany Fortin, qui n'a pas voulu être nommé par crainte de re‐ présailles en ligne, a déclaré que le major-général est pré‐ sumé innocent et qu'il est ap‐ proprié pour lui, en tant qu'of‐ ficier en service, de porter son uniforme au tribunal.

Le ministère de la Défense nationale a affirmé que les mi‐ litaires sont autorisés à porter leur uniforme lors de procès criminels civils, mais qu'il s'agit d'un choix personnel dont les individus sont res‐ ponsables.

Le ministère a ajouté que l’armée canadienne allait maintenant examiner ses po‐ litiques relatives à la participa‐ tion des membres des FAC aux procédures judiciaire­s ci‐ viles, y compris le sujet de la tenue militaire, afin d'évaluer si des changement­s devraient être apportés.

Plusieurs défenseurs des traumatism­es sexuels mili‐ taires ont mentionné que le fait de porter l'uniforme com‐ plet au tribunal lors d'un pro‐ cès pour agression sexuelle est un jeu de pouvoir qui inti‐ mide les plaignants et qui peut avoir un effet déclen‐ cheur auprès des victimes.

La majore à la retraite Donna Riguidel a manifesté le souhait que l'armée interdise à ses membres de porter leur uniforme au tribunal lorsqu'ils sont en procès, ou du moins qu'elle le déconseill­e.

Au mieux, c'est un

manque de tonalité. Au pire, c'est de l'intimidati­on et de l'intimidati­on ... et cela aura un effet de silencieux sur les survivants, a résumé celle qui est directrice du Survivor Perspectiv­es Consulting Group.

Donna Riguidel a été enga‐ gée par l’armée pour mener des sessions de formation vi‐ sant à améliorer la façon dont les militaires répondent aux révélation­s d’inconduite sexuelle.

Selon elle, l’uniforme est un puissant symbole de l'ins‐ titution et le fait de le porter pourrait donner l'impression à un plaignant qu'il affronte l'ensemble des Forces armées canadienne­s.

Il est inacceptab­le, dans une organisati­on qui essaie de mieux tenir compte des traumatism­es et de se concentrer sur le changement de culture, de permettre que de telles choses se produisent [surtout] à un tel niveau de leadership.

D’autres scandales avec des hauts gradés

L'armée tente de se re‐ mettre d'une crise d'incon‐ duite sexuelle qui a ébranlé l'établissem­ent de défense jusqu'à ses fondations. De‐ puis 2021, de multiples hauts gradés de l'armée ont été écartés de postes puissants à la suite d'allégation­s d'incon‐ duite sexuelle. Outre Dany Fortin, il a également été question de l’amiral Art McDo‐ nald et du général à la retraite Jonathan Vance.

L'armée a accepté, l'année dernière, une directive du gouverneme­nt visant à trans‐ férer temporaire­ment tous les cas d'agression sexuelle à la police civile pour enquête et aux tribunaux civils pour poursuites.

Dans un rapport cinglant publié en mai, l'ancienne juge de la Cour suprême Louise Ar‐ bour a recommandé que les forces abandonnen­t définiti‐ vement tout contrôle des af‐ faires d'agression sexuelle.

Au cours de la dernière an‐ née, la Défense s'est engagée à utiliser des approches inté‐ grées, transparen­tes et axées sur les traumatism­es dans le cadre de ses initiative­s de croissance culturelle, a détaillé un porte-parole du ministère de la Défense, Daniel Le Bou‐ thillier, dans une déclaratio­n à CBC News.

Le Ministère a ajouté que les militaires qui compa‐ raissent devant une cour mar‐ tiale ou un procès sommaire dans le cadre du système judi‐ ciaire militaire doivent porter leur tenue de service numéro trois, à moins qu'un juge n'en décide autrement.

La politique sur les mé‐ dailles militaires stipule que les médailles peuvent être portées, lorsque cela est ap‐ proprié, par le personnel habi‐ lité. Mais dans un procès civil, les membres actifs ne sont pas tenus de porter un uni‐ forme, selon le ministère de la Défense.

Le porte-parole de Dany Fortin a déclaré que son uni‐ forme et ses décoration­s sont l'expression de ses 37 années de service envers le Canada et qu'il est déçu que certains jugent inappropri­é le fait de porter l'uniforme lors d'une comparutio­n devant le tribu‐ nal.

Le groupe de pairs sur les traumatism­es sexuels mili‐ taires, It's Just Not 20K, a rap‐ porté que certaines survi‐ vantes ont dit à l'organisati­on qu'elles avaient été déclen‐ chées en voyant Fortin en uniforme au tribunal.

Certaines survivante­s d'in‐ conduite sexuelle militaire disent qu'elles ne peuvent plus porter ou regarder l'uni‐ forme parce qu'elles ont le sentiment que l'institutio­n les a trahies en ne les croyant pas lorsqu'elles ont signalé leurs allégation­s.

La question des uniformes et de la dynamique du pou‐ voir était à l'avant-plan lors de la commission sur les victimes de masse d’avril 2020 en Nou‐ velle-Écosse le mois dernier. La commissair­e de la GRC, Brenda Lucki, a témoigné en tenue civile.

Selon la GRC, la commis‐ sion lui avait demandé de ne pas porter son uniforme, car celui-ci pourrait déclencher des réactions chez certaines personnes assistant à la pro‐ cédure. Le tireur dans cette affaire portait un uniforme de police.

D’autres profession­nels portent l’uniforme

L'avocat de la défense d'Ottawa, Lawrence Greens‐ pon, a précisé que d'autres profession­nels, comme les agents de police, les médecins et les ambulancie­rs, té‐ moignent devant les tribu‐ naux en uniforme. Selon lui, les militaires devraient être autorisés à faire de même.

Je ne pense pas que l'ar‐ mée devrait commencer à en‐ courager un code vestimen‐ taire pour les personnes qui sont accusées d'agression sexuelle, a soutenu Me Greenspon, qui ne représente pas Dany Fortin.

Je ne pense pas que cela ait un impact sur les juges qui entendent les cas. Le juge doit évaluer la crédibilit­é de l’accu‐ sé, pas les médailles sur la poi‐ trine de leur uniforme, a pour‐ suivi celui qui a déjà représen‐ té le premier Canadien accusé en vertu de la Loi antiterro‐ riste du Canada, Mohammad Momin Khawaja.

Lawrence Greenspon a aussi été l’avocat de l'ancien sénateur Mike Duffy et, plus récemment, de l’une des pro‐ tagonistes du convoi des ca‐ mionneurs qui a paralysé le centre-ville d’Ottawa pendant trois semaines l’hiver dernier, Tamara Lich.

Un militaire accusé de‐ vrait perdre ce droit

La titulaire de la chaire Si‐ mons en droit internatio­nal et en sécurité humaine à l'Uni‐ versité Simon Fraser, Megan MacKenzie, estime que lors‐ qu’un militaire est accusé, il devrait perdre le droit de por‐ ter l'uniforme au tribunal.

L'uniforme militaire ne res‐ semble à aucun autre uni‐ forme, car il s'agit d'un sym‐ bole très puissant de statut dans une institutio­n hiérar‐ chique, a-t-elle expliqué. La politique de l'armée ellemême indique clairement que l'uniforme est un symbole de l'éthique militaire, de la confiance du public et de la fierté canadienne, a-t-elle ajouté.

Selon elle, le public trouve‐ rait étrange de voir un juge accusé d'une infraction crimi‐ nelle porter sa robe au tribu‐ nal en raison du statut qu'elle symbolise, a-t-elle imagé.

Tout le monde est censé être égal devant la loi. À la mi‐ nute où quelqu'un entre en portant un uniforme militaire, et en particulie­r un uniforme avec des médailles qui sym‐ bolisent des accolades et des déploiemen­ts, je pense vrai‐ ment que cela élève le statut de cette personne d'une ma‐ nière qui pourrait avoir un im‐ pact sur le procès. Je pense que ce n'est pas approprié.

La capitaine à la retraite Annalise Schamuhn n’est pas restée insensible devant la dé‐ cision de Dany Fortin de por‐ ter son uniforme. Ça m'a rap‐ pelé du moment où les offi‐ ciers supérieurs de l'armée ont écrit des lettres, avec le papier à en-tête militaire et ré‐ gimentaire, pour influencer le tribunal en faveur du délin‐ quant sexuel condamné pour m'avoir agressée.

Comme présumée victime, j'aurais trouvé incroyable‐ ment pénible, lors de mon té‐ moignage au tribunal, que mon agresseur soit autorisé à y assister en tenue complète, a ajouté Annalise Schamuhn, qui a effectué quelques tra‐ vaux de consultati­on rémuné‐ rés pour la marine.

À la suite de la couverture de l'affaire Schamuhn par CBC, l'armée a interdit à ses membres d'utiliser le papier à en-tête des Forces armées ca‐ nadiennes pour venir en aide à des membres accusés de crimes.

Avec les informatio­ns d’Ashley Burke, de CBC News

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