La nouvelle agriculture : défier la gravité
Ça nous a permis de sauver 80 % du coût de chauffage l’hiver dernier!
André Saint-Denis, produc‐ teur maraîcher
Lors de notre passage, le producteur était en plein chantier d’agrandissement de ses serres, dans le but de dou‐ bler sa production. Mais dans un climat comme le nôtre, An‐ dré Saint-Denis, coproprié‐ taire des Serres Vaudreuil, sait très bien que l’énergie, c'est le nerf de la guerre dans le domaine serricole.
C’est une des plus grosses dépenses qu'on a en serre. C’est l'énergie, c’est le chauf‐ fage. Regardez le beau calibre de laitues qu’on a produit grâce à la chaleur qu'on a ré‐ cupérée des fraises.
André Saint-Denis, produc‐ teur maraîcher
Une chaufferette natu‐ relle
Depuis l’automne 2021, André Denis a un nouveau partenaire : Yves Daoust, exproducteur maraîcher et ingé‐ nieur de formation, qui a aménagé dans la serre exis‐ tante un bâtiment fermé qu’il appelle sa ferme d’hiver. À l’in‐ térieur, on découvre une véri‐ table usine à végétaux : des murailles de plants de fraises déployées sur plus de cinq mètres de hauteur.
Ce que je dis aux produc‐ teurs maraîchers, c’est instal‐ lons une ferme d'hiver à côté de la production en serre, qui devient du même coup la fournaise de vos serres.
Yves Daoust, fondateur et chef des technologies chez Ferme d’hiver
Grâce à un système de thermopompe, André SaintDenis peut récupérer la cha‐ leur produite par cette usine à fraises, qui peut produire chaque année jusqu’à 90 000 kilos de petits fruits dans un environnement hy‐ per contrôlé.
On va vouloir aider la ren‐ tabilité, pas juste des fraises, mais aussi des tomates, des concombres, des poivrons et tout ce qui se fait à côté, dans la serre, fait valoir Yves Daoust. Ce partenariat a no‐ tamment permis à André Saint-Denis de cultiver de la salade à l'année. Donc lui, il est content, et moi, le produc‐ teur maraîcher, j’en sors aussi gagnant.
Simuler les conditions de production au champ
Ici, le soleil est sur le côté et les plantes visent vers le so‐ leil. On est donc capable de mettre plusieurs étages. Ici, on a quatorze étages de haut.
Yves Daoust, fondateur de Ferme d’hiver
Le système est en mesure de simuler le lever du jour, et aussi la brise estivale. Les bourdons ont même été inté‐ grés à cet écosystème artifi‐ ciel. On fait de la technologie pour produire des denrées, nous dit Yves Daoust, luimême issu d’une famille de producteurs maraîchers.
J'ai vu mon père en arra‐ cher, ma mère en arracher. C'est pour ça que je com‐ prends comment la technolo‐ gie doit être orchestrée pour servir l'agronomie, pour ré‐ pondre à l'état de croissance de la plante.
Yves Daoust, fondateur de Ferme d’hiver
Pour assurer la viabilité de son système de culture, Yves Daoust mise sur le partenariat avec des producteurs maraî‐ chers, comme André Saint-De‐ nis. Les deux nouveaux asso‐ ciés se partagent les revenus générés par la vente des fraises, et le producteur en serre profite des bénéfices énergétiques réalisés grâce à son nouveau locataire.
Les roues de culture
Devant nous, quatre im‐ menses tambours rotatifs aménagés au beau milieu de la serre laboratoire de la cher‐ cheuse Martine Dorais, à l’Uni‐ versité Laval. Ces systèmes de culture sur roue sont munis d’une régie lumineuse cen‐ trale et peuvent s’empiler pour une production à grande échelle.
Une surface de culture comme celle-ci, nous explique la chercheuse, ç'a environ 18 mètres carrés, et ça occupe à peu près une surface de 8 mètres carrés. Déjà en serre, on vient de doubler notre sur‐ face de culture, donc notre productivité.
Qu'on soit dans le désert, qu'on soit à -60 degrés Cel‐ sius. On peut parler de 4 à 6 fois plus de rendement faci‐ lement, juste avec une roue comme ça sur un étage.
Martine Dorais, phytolo‐ giste des cultures en serre et en environnement contrôlé, Université Laval
Ces installations circulaires peuvent contenir des fines herbes et des légumes en feuilles, mais aussi des fraises, des minitomates, des poi‐ vrons et des concombres, in‐ siste la professeure en sciences de l'agriculture.
Des systèmes de culture éprouvés par des cher‐ cheurs
Cette technologie, c’est aussi l’affaire d’un groupe de chercheurs en sciences de l’agriculture de l’Université La‐ val. En 2020, une chaire de re‐ cherche a été créée pour tes‐ ter et développer des sys‐ tèmes de culture en environ‐ nement contrôlé. Martine Do‐ rais en est la responsable. Elle souhaite permettre aux en‐ treprises québécoises d’amé‐ liorer leur performance agro‐ nomique.
Que ce soit un système vertical, que ce soit un sys‐ tème rotatif, le secret est dans l'automatisation, puis dans le fait de cultiver à l'intérieur et sur plus d'un étage.
Martine Dorais, phytolo‐ giste des cultures en serre et en environnement contrôlé, Université Laval
Dès le début de ses re‐ cherches, la chercheuse a été étonnée de la performance. Ma crainte première, c’était l’effet de la rotation au niveau de l’égouttement des eaux d'irrigation, parce que c’est du sol vivant. Mais on n'a vrai‐ ment pas de problème. Tout est très bien contrôlé.
Dans ses travaux de re‐ cherche, Martine Dorais tra‐ vaille directement avec des producteurs. Les résultats de ces analyses sont directement transférables à l'entreprise partenaire. Par exemple, les roues de culture testées dans son laboratoire ont été four‐ nies par l’entreprise Technolo‐ gies Virgo, qui prévoit déve‐ lopper ces systèmes à grande échelle.
Une autre vision
S’ils se démarquent de la production conventionnelle en serre, ces systèmes de culture intérieurs ont un prix. C'est 10 fois plus élevé qu’un coût de construction de serres. Les serres, on est ren‐ du à peu près à 500 ou 600 dollars du mètre carré. Lorsqu'on parle de système vertical à l'intérieur par exemple, on va facilement multiplier par 10. Au niveau de la productivité, c'est quand même compétitif.
Pour les chercheurs, comme pour leurs parte‐ naires de l’industrie, ce mo‐ dèle de production maraî‐ chère ne sera donc viable que s’il est développé en partena‐ riat, ou par la mise en com‐ mun des ressources. Le sur‐ plus énergétique que j'ai ici, je vais l'utiliser pour aller chauf‐ fer une serre, donc le bilan des deux va s'équilibrer en fait, évoque Yves Daoust, fon‐ dateur de Ferme d’hiver.
L'écosystème économique agricole et sa réglementation devront aussi suivre la ca‐ dence. À ce jour, les cultures verticales en environnement fermé et contrôlé ne peuvent obtenir la certification bio. L’accès au soleil est requis, nous explique Yves Daoust. En plus, on considère nos cultures ici comme des arbres à fruits et, donc, il y a un vo‐ lume minimum de terreau re‐ quis qui est représenté pour l'extérieur, mais pas pour une production comme la nôtre, à l'intérieur.
Selon Martine Dorais, des systèmes intérieurs per‐ mettent pourtant de garder le CO2 à l'intérieur et d’aller re‐ chercher l'énergie qu'on re‐ trouve dans la vapeur d'eau, donc dans la chaleur latente. On peut produire avec zéro empreinte carbone, j'en suis convaincue.
Actuellement, près de 70 % de nos produits biologiques, ou fruits et légumes pro‐ viennent de l'extérieur, donc on se doit de les produire ici!
Martine Dorais, phytolo‐ giste des cultures en serre et en environnement contrôlé, Université Laval
Quant à savoir si Québec atteindra l’objectif fixé en 2020, de doubler en 5 ans le volume de cultures en serre, Yves Daoust est catégorique : En combinant les différentes techniques de production in‐ térieure, pour rendre plus ren‐ table la production globale, la réponse est… absolument! Et même beaucoup plus!
Le reportage de Claude Labbé et de Michel Syl‐ vestre est diffusé à l'émis‐ sion La semaine vertece sa‐ medi à 17 h et dimanche à 12 h 30 sur ICI TÉLÉ. À ICI RDI, ce sera dimanche à 20 h.