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La sécheresse mène à une chute des feuilles plus rapide en automne

- Alain Labelle

Les épisodes de sécheresse de plus en plus nombreux, liés au dérèglemen­t clima‐ tique, pourraient mettre fin plus rapidement à la saison des couleurs.

En effet, des travaux réali‐ sés par des scientifiq­ues chi‐ nois et canadiens montrent que la sécheresse mène à une chute précoce des feuilles à l'automne. Publiée dans Na‐ ture Climate Change (en an‐ glais), cette étude rapporte des observatio­ns qui contre‐ carrent un autre phénomène attribuabl­e aux changement­s climatique­s : une saison chaude plus longue qui pro‐ longe la croissance des arbres feuillus... et retarde la tombée de leurs feuilles!

À la fin de l’été, lors de son changement de couleur, une feuille subit des modificati­ons morphologi­ques et métabo‐ liques, un processus appelé sénescence. Ce processus marque la fin de la période de l’année pendant laquelle la feuille absorbe le CO2 par la photosynth­èse.

L’effet sécheresse

Des observatio­ns au sol et par satellite menées des an‐ nées 1940 à 2015 analysées par le géographe Chaoyang Wu et ses collègues, dont le Canadien Rachhpal Jassal de l'Université de la ColombieBr­itannique, tendent ainsi à montrer que la précocité de la sénescence des feuilles peut être liée à la diminution des précipitat­ions associées au ré‐ chauffemen­t.

Selon le calcul des cher‐ cheurs, les arbres à feuilles ca‐ duques (érables, chênes, ormes, bouleaux) des hautes latitudes perdront leurs feuilles plus tôt d'ici la fin du siècle.

Cette étude est la deuxième en peu de temps qui arrive à des conclusion­s si‐ milaires, note l'ingénieure fo‐ restière Élise Bouchard de l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

La chercheuse, qui est aus‐ si associée au Centre d’étude de la forêt, explique que le dé‐ bourrement précoce des feuilles au printemps associé aux changement­s climatique­s fait consensus dans la littéra‐ ture scientifiq­ue. Par contre, les résultats des études me‐ nées à l'automne étaient moins clairs. Certaines obser‐ vations montraient que ça pouvait être devancé, alors que d’autres pouvaient être retardés, note la chercheuse.

La présente étude tend à montrer que des phéno‐ mènes climatique­s ponctuels, comme la sécheresse, peuvent aussi influer sur la phénologie des plantes, c’està-dire sur les phases de déve‐ loppements saisonnier­s telles que les feuillaiso­ns, la florai‐ son et la coloration autom‐ nale.

Un réchauffem­ent assez graduel durant l'été va retar‐ der la chute des feuilles à l’au‐ tomne, mais une sécheresse intense pourrait contrecarr­er cet effet. On pourrait être en présence de deux effets diffé‐ rents liés à deux phénomènes concurrent­s.

Élise Bouchard

Cette situation affecte aus‐ si la photosynth­èse. Si la sai‐ son de croissance est plus longue, les arbres vont assimi‐ ler plus de carbone grâce à la photosynth­èse, ce qui est une bonne nouvelle, explique Mme Bouchard.

Toutefois, des arbres stres‐ sés en raison d’une séche‐ resse vont limiter leurs activi‐ tés métaboliqu­es comme la photosynth­èse, mais ils vont quand même continuer de respirer. Et quand ils res‐ pirent, ils libèrent du carbone. Donc, ils en assimilent moins et en libèrent un peu plus. Élise Bouchard

L’effet bénéfique associé à une saison plus longue est donc moins là, ajoute la cher‐ cheuse.

L'absorption du carbone

La phénologie des plantes, soit l’étude de leur développe‐ ment au fil des saisons, est largement utilisée dans les modèles qui reconstitu­ent les changement­s historique­s de l'absorption du carbone dans les écosystème­s. Mais elle est aussi utile pour prévoir les va‐ riations qui viendront dans les prochaines décennies.

Les présents travaux mettent un bémol sur les bé‐ néfices d’une captation aug‐ mentée du carbone par les feuillus engendrés par un re‐ tard de la sénescence autom‐ nale. Ils permettent toutefois de mieux préciser l’absorption future du CO2 en tenant compte des épisodes de sé‐ cheresse, notamment.

Nos résultats limitent les incertitud­es concernant la fin de la croissance des plantes en lien avec le réchauffem­ent, ce qui facilite l'estimation de l'absorption de carbone par l'écosystème terrestre, notent les chercheurs.

Outre la sécheresse, d’autres phénomènes asso‐ ciés aux changement­s clima‐ tiques influeront sur la phé‐ nologie des plantes, notam‐ ment la chaleur extrême, les feux de forêt, les maladies ou la présence d’insectes rava‐ geurs.

Il faut aussi noter que des arbres fragilisés produisent des feuilles plus petites que la normale, ce qui les rend moins efficaces pour capter le carbone.

Le type de forêt en ques‐ tion

Mme Bouchard rappelle que certains types de forêts (tempérées ou boréales) sur‐ vivent mieux à la sécheresse.

Certaines forêts sont déjà adaptées et ont développé toutes sortes de stratégies pour résister aux sécheresse­s, alors que d’autres le sont moins et subiront les effets avec un grand impact, ajoutet-elle.

Repères

La forêt boréale est com‐ posée d’arbres résistants au froid, tels que des conifères (pins, épinettes, sapins) et cer‐ tains feuillus (peupliers et des bouleaux). La forêt tempérée contient également des coni‐ fères, mais beaucoup plus de feuillus (érables, chênes).

Bien que les forêts tempé‐ rées soient aussi affectées par les épisodes de sécheresse, elles le sont dans une moindre mesure. Les obser‐ vations tendent à montrer que les forêts boréales, de leur côté, s’adaptent moins bien aux effets des séche‐ resses intenses, et la situation risque d’empirer. Leur tempé‐ rature pourrait augmenter davantage que celle des fo‐ rêts tempérées sur une pé‐ riode de 50 ans.

Qu’elles soient tempérées ou boréales, les forêts sont des écosystème­s qui entre‐ posent énormément de car‐ bone, dans le sol, mais aussi dans les arbres. Tous ces fac‐ teurs mis ensemble peuvent être alarmants puisque, fina‐ lement, la captation du car‐ bone ne se fera pas comme on pensait, estime Mme Bou‐ chard.

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