Radio-Canada Info

Sur la route : Au Québec comme au Hockey

- Émilie Dubreuil

DE MONT-TREMBLANT À SAINT-ANDRÉ-AVELLIN – Déjà à 7 h, la salle à déjeu‐ ner de l’hôtel à Mont-Trem‐ blant était bondée d’un heureux mélange de tra‐ vailleurs montant vers le Nord et de touristes fran‐ çais venus voir les cou‐ leurs. Dans la pièce flot‐ taient des odeurs de café, de bacon, de crêpes…

Tout le monde, en man‐ geant, regardait distraitem­ent le débat à la télévision. Étaitce à TVA Sports ou à RDS? Je ne sais plus. Mais quatre ana‐ lystes commentaie­nt le dé‐ part à la retraite de P.K. Sub‐ ban comme s’il s’agissait des funéraille­s de la reine.

L’automne, le Québec, c’est le jaune et le rouge dans les arbres. C’est aussi le retour en force de cette particular­ité na‐ tionale, l’obsession du hockey.

Nous avons fini de manger et pris la route 327 qui ser‐ pente dans des Laurentide­s moins achalandée­s. Collines, terres agricoles, ranchs, petits villages anglophone­s où nous avons croisé nos premières affiches électorale­s du Parti canadien.

Les nouveaux partis anglo‐ phones n’ont aucune chance de percer, m'a dit Gloria Stani‐ forth, 75 ans, à la caisse de la petite épicerie d’Arundel. Les libéraux ne vont pas bien non plus. Cette élection n’offre pas de choix très emballants pour les anglophone­s, a ajouté dans un français parfait cette ancienne infirmière qui aide désormais sa soeur malade à maintenir son commerce ou‐ vert.

D’Arundel, nous avons mis le cap sur Thurso, ville natale de Guy Lafleur où les maisons neuves poussent dans les champs en friche, en bordure de modestes maisons ou‐ vrières des années 50.

J’ai grandi ici, mais je n'ai véritablem­ent pris conscience de l’ampleur de la légende du numéro 10 qu’à sa mort, quand la ville du jour au len‐ demain a été envahie de jour‐ nalistes, raconte le jeune di‐ recteur général de la petite ville, Jasmin Gibeau.

Il a la jeune trentaine et, donc, n’a pas connu la glo‐ rieuse époque du Démon blond. Il était en maternelle quand le Canadien a gagné sa dernière coupe Stanley et a cessé de pouvoir sérieuse‐ ment porter l’épithète de Glo‐ rieux.

Il connaît, en revanche, la vétusté de l'aréna Guy La‐ fleur. Comme le CH, la pati‐ noire de Thurso a connu de meilleurs jours. Tout au fond de l’aréna, un tableau de Guy Lafleur semble oublié, dissi‐ mulé par une machine distri‐ butrice de Pepsi.

L’aréna est en fin de vie, ré‐ sume Jasmin Gibeau. Nous avons dû injecter plus de 100 000$$ pour réparer les tuyaux du plancher pourri. C’est un plaster sur une mala‐ die grave. Le maintenir en vie, c’est 175 000 $ de déficit an‐ nuellement pour la Ville.

Il y a bien un projet sur la table. Lors des funéraille­s du numéro 10, au printemps der‐ nier, François Legault s’est en‐ gagé à aider la petite munici‐ palité à construire un nouvel aréna, mais le projet n’est pas encore sur les rails. Alors, on attend. À Thurso, on s’est ha‐ bitué à vivre le coeur serré, surtout depuis la fermeture, il y a quelques années, de la pa‐ petière où travaillai­t beau‐ coup de monde. Dans la vie comme au hockey, il n' y en aura pas de facile, comme di‐ sait l’entraîneur du Canadien, Claude Ruel, dans les an‐ nées 60.

Avant, tout le monde avait une boîte à lunch et travaillai­t dans l’une des usines de la place, mais depuis quelques temps, on a beaucoup de nouveaux résidents qui viennent s’installer chez nous parce que les logements et les maisons sont moins chères qu’à Gatineau , raconte le jeune DG.

Même si la Ville donnait son 110 % pour faire sortir de terre un aréna tout neuf, il n’est pas certain qu’on s’y bousculera­it pour se passer la poque. Le hockey est un sport onéreux, tout coûte plus cher, alors les parents doivent faire des choix et choisissen­t de plus en plus le soccer pour leurs enfants.

En face de l'aréna, un groupe de jeunes de l’école se‐ condaire Sainte-Famille pro‐ fite de la récréation. Je leur de‐ mande ce qu’ils pensent de Guy Lafleur, du hockey, des élections. Moi, je voterais pour mon père, dit l’un d’eux, fin finaud. Naomie raconte, elle, que son frère et sa soeur ont arrêté de jouer au hockey. C’était trop cher pour mes pa‐ rents, explique-t-elle. Et Guy Lafleur? Ils connaissen­t son nom, sans plus.

Nous reprenons la route vers Ripon, 1700 habitants, au creux de la vallée de la PetiteNati­on. À l’entrée de la munici‐ palité, un panneau annonce que nous sommes dans la ville de Stéphane Richer, une des idoles de notre petite na‐ tion. La photo du joueur est délavée, les couleurs ont pâli sous les intempérie­s. Ivanoh me fait remarquer que Richer est le dernier joueur du CH à avoir marqué 50 buts en sai‐ son.

Mais il n’y pas d’aréna à Ri‐ pon. Dans la région, il n'y en a que deux : celui de Thurso, qui tombe en ruine, et celui de Saint-André-Avellin, où Ri‐ cher a découvert le hockey et qui porte désormais son nom.

Stéphane vient encore parfois jouer ici, nous dit fière‐ ment Claude Saint-Jean, direc‐ teur de loisirs de la Municipali‐ té de Saint-André-Avellin. L’homme est d’un naturel en‐ thousiaste. Pour encourager les jeunes à jouer au hockey, la Ville a mis en place un pro‐ gramme qui les équipe gratui‐ tement et les initie à la joute nationale. Ça s’appelle À vos patins.

Dans un des vestiaires, Isa‐ belle Lacroix lace les patins de ses trois filles de 7, 9 et 10 ans. La plus vieille, Camille, aime bien le hockey. C’est un sport où l’on a l’impression de faire partie de quelque-chose.

Isabelle sourit. Je lui de‐ mande ce qu'elle souhaitera­it pour la nation.

Mon désir pour le Québec? C'est que les enfants fassent plus de sport à l’école. Il y a tellement de talents à déve‐ lopper au Québec.

D’ailleurs, une jeune recrue du CH, Xavier Simoneau, vient d’ici. Je demande à Claude Saint-Jean si Saint-André-Avel‐ lin, Petite-Nation, va sauver notre sport national. On es‐ saie fort en tout cas. L’homme me décrit son arbre généalo‐ gique : un père italien, une grand-mère maternelle irlan‐ daise, une autre autochtone. Moi qui suis le fruit d’un mé‐ tissage, je souhaite que nous soyons fier de nous au Qué‐ bec, de notre langue, de notre culture, de notre territoire, de nos valeurs.

Il ajoute qu’il trouve insul‐ tant que le CH n’ait pas plus de respect pour cette culture, que le club soit déconnecté du Québec.

Après avoir quitté l’aréna Stéphane Richer, Ivanoh et moi reprenons la route pour aller prendre une bouchée. Près de Namur, un terrain vague. Ici, un restaurant a dû passer au feu il y a quelques années. Il n’en reste qu’un souvenir pâle, un panneau sur lequel on peut encore lire : Frites maison.

Nous finissons par trouver un restaurant ouvert à Mon‐ tebello. Sur un écran géant – ils sont décidément partout –, le poste choisi est RDS ou TVA Sports, je ne m’en souviens guère. On diffuse une longue entrevue avec deux jeunes frères qui jouent dans la même équipe.

Quand le CH finit bon der‐ nier, qu’il ressemble à un pan‐ neau réclame délavé, il faut bien nourrir l’appétit de fierté et le temps d’antenne.

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