Derrière Giorgia Meloni, la droite radicale aux portes du pouvoir en Italie
ROME - Jeudi soir, des mil‐ liers de militants de la droite italienne s’étaient donné rendez-vous, dra‐ peaux en main, sur la Piaz‐ za del Popolo, au coeur de Rome.
À quelques jours du scru‐ tin, les candidats des partis de la coalition conservatrice ont défilé les uns après les autres sur scène.
D’abord, l’ancien premier ministre Silvio Berlusconi, au‐ jourd’hui âgé de 85 ans. Puis Matteo Salvini, le chef de La Ligue et ancien ministre controversé de l’Intérieur.
Mais c’est surtout la der‐ nière des oratrices qui a sou‐ levé l’enthousiasme de la foule : Giorgia Meloni, 45 ans, cheffe de Fratelli d’Italia, les Frères d’Italie.
Son débit est rapide. En fin de campagne, elle a plusieurs messages à adresser à ses électeurs. Parmi ceux-ci, une envolée contre les journa‐ listes et les commentateurs. Ce qui nous intéresse, c’est ce que pensent les Italiens, lance-t-elle.
Un parti post-fasciste
En tête dans les sondages, avec environ 30 % des inten‐ tions de vote, Giorgia Meloni dirige un parti décrit comme étant post-fasciste. Sur les drapeaux brandis par ses par‐ tisans, on voit d’ailleurs la flamme vert, blanc et rouge, héritée de formations qui ont suivi la fin de la Deuxième Guerre mondiale et la chute de Benito Mussolini.
Meloni elle-même a déjà fait part de son admiration pour l’ancien dictateur. Dans un reportage du réseau France 3, diffusé il y a plus de 25 ans, une jeune Giorgia Me‐ loni, déjà impliquée en poli‐ tique, déclarait qu’à son avis Mussolini est un bon politi‐ cien. C'est-à-dire que tout ce qu’il a fait, il l’a fait pour l’Italie.
Des années plus tard, la meneuse de la campagne tente de se distancier de cet héritage et de polir son image.
Dans une vidéo enregis‐ trée en plusieurs langues et diffusée pendant la cam‐ pagne, on aperçoit Giorgia Meloni, derrière son bureau, déclarer que la droite ita‐ lienne a relégué le fascisme à l’histoire.
J’ai lu qu’une victoire de Fratelli d’Italia aux élections de septembre conduirait à un désastre, à un tournant auto‐ ritaire, à la sortie de l’Italie de l’euro et à d’autres absurdités de ce genre. Rien de tout cela n’est vrai.
Giorgia Meloni, candidate de Fratelli d’Italia
Le racisme est mort, Mus‐ solini est mort, ajoute Guido Crosetto, cofondateur avec Meloni des Frères d’Italie, que nous avons rencontré dans son bureau romain.
Des enjeux avec la base
N’empêche, selon Frances‐ co Maselli, correspondant pour l’Opinion et observateur de la vie politique italienne, si les dirigeants tentent de pré‐ senter une image différente de leur parti, certains membres de la base rap‐ pellent quelles sont les ra‐ cines de la formation poli‐ tique.
Il donne l’exemple d’un événement survenu en toute fin de campagne.
Il y a un cadre de parti, un militant de parti, qui a fait le salut romain, donc le salut fasciste, pendant des funé‐ railles, en pleine campagne électorale. Donc ça, ça se voit. Ils ont de la difficulté à cacher ça, lance-t-il.
Francesco Maselli juge néanmoins que l’impact de tels gestes est limité dans un pays où on a déjà banalisé les post-fascistes.
En 1994, Silvio Berlusconi a formé un gouvernement avec les post-fascistes. Donc en fait, c’est déjà normalisé, on n'est pas dans une nouveau‐ té.
Francesco Maselli, corres‐ pondant pour l’Opinion
Giorgia Meloni elle-même n’est pas une figure inconnue des Italiens. Élue en 2006, elle a été la plus jeune vice-prési‐ dente du Parlement et a fait partie d’un gouvernement de Silvio Berlusconi en tant que ministre déléguée à la Jeu‐ nesse.
Pendant sa campagne, la candidate des Frères d’Italie a surtout misé sur les enjeux prioritaires de l’électorat, comme l’inflation et les prix de l’énergie. Giorgia Meloni a aussi martelé des thèmes chers à l’extrême droite, comme l’immigration et la sé‐ curité.
La candidate a d’ailleurs été critiquée par ses adver‐ saires de gauche pour avoir partagé sur les réseaux so‐ ciaux la vidéo d’un viol com‐ mis par un demandeur d’asile, pour justement aborder les enjeux liés à la sécurité.
Partisane d’une politique nataliste, Giorgia Meloni a aussi dû répéter à plusieurs reprises que si elle souhaitait élargir les options pour éviter les avortements, elle n'enten‐ dait pas abolir ou modifier la loi qui garantit l’accès à la pro‐ cédure.
Quel genre de coalition à la tête de l’Italie?
Il y a un mélange d’inexpé‐ rience et d’une identité très radicale, affirme le député du Parti démocrate Filippo Sensi à propos des troupes de Me‐ loni.
Guido Crosetto, allié de la dirigeante des Frères d’Italie, assure de son côté que Gior‐ gia Meloni est différente d’autres figures de la droite radicale européenne, comme Marine Le Pen.
Meloni est en faveur de l’OTAN et de l’alliance occiden‐ tale, assure-t-il. Il ajoute qu’elle dirige un groupe d'élus au sein de l’Union euro‐ péenne (UE), une institution qu’elle souhaite néanmoins réformer en réclamant une plus grande souveraineté pour les États membres.
L’élu de gauche Filippo Sensi croit qu’il n’y a pas que Giorgia Meloni dont les Ita‐ liens et les Européens doivent se méfier.
Vu le système politique d’Italie, si la cheffe des Frères d’Italie est nommée prési‐ dente du Conseil, l’équivalent de première ministre, elle de‐ vra diriger avec d’autres par‐ tis, dont certains ont des posi‐ tions très différentes de la sienne sur des enjeux euro‐ péens et internationaux.
Sur le dossier ukrainien, par exemple, Filippo Sensi souligne que la coalition a des positions très contrastées. Giorgia Meloni critique l’inva‐ sion russe de l’Ukraine, comme elle l’a répété dans son discours jeudi. Mais ses alliés Matteo Salvini et Silvio Berlusconi ont montré une grande proximité avec Vladi‐ mir Poutine dans le passé.
Face à une gauche et un centre divisés, la coalition de droite demeure le groupe qui est en meilleure position pour
former le prochain gouverne‐ ment à Rome.
Giorgia Meloni, qui a été l’une des principales figures d’opposition ces dernières an‐ nées alors que tous les autres grands partis ont participé aux derniers gouvernements d’union nationale, est mainte‐ nant aux portes du pouvoir.