L’industrie du déneigement résidentiel en pleine tempête
Pénurie de main-d'oeuvre, rareté des pièces, hausse des coûts, territoires non desservis : le monde du dé‐ neigement résidentiel su‐ bit d'importants change‐ ments à Québec. Les clients devront s'y adapter, sans quoi ils pourraient de‐ voir déneiger eux-mêmes leur entrée dans les pro‐ chaines années, ou payer plus cher.
Simon Jourdain évolue dans l'industrie du déneige‐ ment à Québec depuis 32 ans. Au cours des dernières an‐ nées, le co-propriétaire du groupe ESSA, qui dessert 25 000 clients, a assisté à la fer‐ meture de nombreuses pe‐ tites entreprises de déneige‐ ment au profit des plus grosses.
Le marché devient mature, laisse tomber M. Jourdain. La pire année, ç’a été 2008. À par‐ tir de ce moment, on a eu des coupures de prix. Des petits joueurs qui sont entrés dans le marché avec des prix ridicu‐ lement bas. [Actuellement], la main-d'oeuvre, l'inflation, ça ne fait que mettre du sérieux dans le marché.
Des règles de financement plus strictes dans l'industrie des tracteurs, les frais d'entre‐ posage obligatoire et des primes d'assurances plus éle‐ vées pour les nouveaux chauffeurs forcent certaines petites entreprises à délaisser l'industrie, entre autres. Les gens respectent les règles, ils n'ont pas le choix.
De bons gestionnaires avant tout
Ces bouleversements forcent les entreprises de dé‐ neigement à être à leur af‐ faire. Ils n'ont d'autres choix que d'augmenter considéra‐ blement les prix pour espérer survivre.
Vous savez, l'industrie du déneigement résidentiel, les gars s'assoyaient et disaient : "Je vais vous faire ça pour 250 $ par entrée", témoigne Annie Roy, directrice générale de l'Association des proprié‐ taires de machinerie lourde du Québec. Lorsqu'on fait le calcul , au bout de la ligne, de tout ce que ça coûte, on s'aperçoit que ce n’est pas as‐ sez. Il y a une conscientisa‐ tion. Il y a des gens qui aban‐ donnent parce qu'ils n'ont pas calculé.
Un sondage mené auprès des membres de l'Association démontre que les coûts asso‐ ciés à l'offre de service sont constamment en augmenta‐ tion. Des pièces et équipe‐ ments neufs vivent des aug‐ mentations de 30 %, alors que la difficulté de location tire les coûts à la hausse, selon l'APMLQ.
La pénurie de mécaniciens et la hausse de leur salaire (in‐ duite par la croissance des sa‐ laires des chauffeurs) ral‐ longent les réparations et en font augmenter les coûts. Les pneus subissent aussi des augmentations pouvant aller jusqu’à 41 %. Les huiles et lu‐ brifiants suivent aussi les cours du pétrole.
En alignant l’ensemble des chiffres ci-dessus, nous sommes en mesure d’affirmer que les équipements ont subi des augmentations d’au moins 25 %, et ce, en demeu‐ rant quand même plutôt conservateurs, estime L'APMLQ.
Les primes d'assurances ont également augmenté de l’ordre de 35 % depuis les trois dernières années.
Pénurie Offre modifiée
Résultat : des petits joueurs doivent quitter le mi‐ lieu et abandonnent malgré eux des clients. D'autres ar‐ rivent à conserver leurs clients, mais sont dans l'im‐ possibilité d'en prendre d'autres, faute de maind'oeuvre.
Pour pouvoir offrir le même service à nos clients, on a pris la décision de ne pas prendre de nouveaux contrats cette année. C'est sûr que ça met un enjeu sur la croissance de l'entreprise, pré‐ vient André-Êve Côté, direc‐ trice adjointe chez groupe GCH. L'entreprise offre des services de déneigements en Haute-Ville de Québec.
GCH réussit à conserver la plupart de ses employés, mais doit absolument offrir des sa‐ laires à la hausse. La maind'oeuvre ne coûte pas le même taux horaire. Ceux qui reviennent chaque hiver, ce n'est pas au même salaire. Chez GCH, le nombre de ma‐ chines est supérieur au nombre d'employés dispo‐ nibles.
Les entreprises doivent changer leur offre de service pour accueillir de nouveaux clients.
Cette année, il y a de nou‐ veaux secteurs. Une grosse vague, indique Simon Jour‐ dain du groupe ESSA. L'entre‐ prise est en réflexion à savoir si elle développe de nouveaux secteurs, mais avec une offre différente, notamment avec un nombre de visites peutêtre en dessous de ce que les nouveaux clients étaient habi‐ tués.
Les gens sont avisés. On les met en garde parce que ces gens-là, ça fait longtemps qu'ils faisaient affaires avec leur petit déneigeur. Là, ils doivent s'en venir dans une entreprise qui offre un service de masse et doivent se conformer à ce service.
Simon Jourdain, co-pro‐ priétaire, Groupe ESSA
Simon Jourdain prévient que dans ce contexte, il est difficile d'offrir six visites par jour.
Pour permettre de garan‐ tir des heures à l'année aux employés, Groupe ESSA offre un service d'aménagement extérieur. Quatre-vingt-dix pour cent de nos opérateurs, on les a l'année. On ne repart pas à zéro chaque hiver, ex‐ plique M. Jourdain. Au‐ jourd'hui, quelqu'un qui re‐ part toujours à zéro chaque hiver, c'est suicidaire.
Retour des retraités et disponibilité des chômeurs
L'industrie du déneige‐ ment compte énormément sur le retour des retraités sur le marché du travail pour atti‐ rer des employés.
Il y a une chose qui nous aiderait vraiment, c'est Si on était capable d'aller chercher les retraités et diminuer leur niveau d'imposition sur le tra‐ vail qu'ils font en déneige‐ ment. On va faire des repré‐ sentations pour ça, explique Annie Roy. Ces gens, souvent, ont des disponibilités qui peuvent répondre au besoin d'une météo imprévisible.
Les retraités, c'est une main-d'oeuvre hyper compé‐ tente et hyperdisponible. L'as‐ pect : je conduis un tracteur et j'aime ça, ç'a quelque chose de "cute".
Annie Roy, directrice géné‐ rale de l'Association des pro‐ priétaires de machinerie lourde du Québec
Si les chômeurs étaient ca‐ pables d'avoir 10 h, 15 h ou 20 h où ils ne seront pas pé‐ nalisés sur le chômage, ça ai‐ derait énormément, conclutelle.