Avec Résonances, Patrick Senécal considère l’horreur avec introspection
Dans son nouveau roman Résonances, paru jeudi en librairie, le maître québé‐ cois de l’horreur soumet une hypothèse à la fois ca‐ ractéristique de son oeuvre et formellement nova‐ trice : à quoi ressemblerait le monde s’il était régi par les règles contenues dans l’univers fictif de Patrick Senécal?
Comme l’auteur du livre dans lequel il est le protago‐ niste, Théodore Moisan est un Montréalais dans la cin‐ quantaine qui a publié des thrillers très noirs, mâtinés d’horreur et parfois de surna‐ turel, peut-on lire dans la page d’introduction. Il est ce‐ pendant décrit comme un écrivain au succès modeste, tout à l’opposé de son créa‐ teur, qui a vendu plus d’un million d'exemplaires au cours des trois dernières décennies.
L’élément déclencheur de l’intrigue est venu en tête à Patrick Senécal lorsqu’il a subi un test d'imagerie par réso‐ nance magnétique (IRM), peu de temps après la publication de son dernier roman, Flots. Il a été surpris par l'exiguïté de l’appareil médical, avant d’imaginer un personnage qui y vivrait une expérience parti‐ culièrement anxiogène.
J’ai eu l’idée d'un gars qui va passer un IRM : il capote ben raide, il hallucine même, et quand il sort de là, tout a changé, explique Patrick Se‐ nécal en entrevue à Radio-Ca‐ nada.
Métamorphose du réel
À la manière d’un héros in‐ volontaire typique, Théodore est rapidement dépassé par les événements. À sa sortie de l’hôpital, il ne reconnaît plus le comportement de ses proches, devient le témoin impuissant d’actes de vio‐ lence répétés, souffre d’accès d’amnésie et d’une perception temporelle décalée. Son quo‐ tidien s’est soudainement transformé en cauchemar éveillé.
Quelle est la cause de ces phénomènes étranges? Se‐ rait-elle d’ordre psycholo‐ gique, psychosomatique, pa‐ rapsychique? L’un des plaisirs du roman est que son auteur nous colle étroitement à la subjectivité de Théodore, inci‐ tant les lecteurs et lectrices à mener son enquête rocambo‐ lesque de concert avec lui.
Au fur et à mesure que le récit se déploie, l’on remarque de plus en plus les ficelles nar‐ ratives que Patrick Senécal agite sous notre nez, tel un marionnettiste qui ne prend plus la peine de se cacher. Il nous invite en quelque sorte dans les coulisses de son pro‐ cessus créatif, tout en étalant habilement un discours auto‐ référentiel.
Je sors un peu de ma zone de confort et, oui, ça va être plus exigeant pour mes lec‐ teurs, affirme l’auteur qui s’est lancé le défi d’explorer la mé‐ tafiction de front, tout en es‐ sayant de déconstruire le genre qui a fait sa marque et sa renommée.
Je continuais de me dire : "Sors de ton thriller tradition‐ nel, va ailleurs". Mais, plus que j'écrivais, plus que ça redeve‐ nait un thriller, ce qui dé‐ montre qu'on est ce qu'on est. On ne peut pas fuir com‐ plètement sa nature, ce qui n’est pas une mauvaise nou‐ velle en soi. C’est ma structure de pensée quand j’écris : je suis un storyteller.
Le cinéma comme pré‐ sage
Résonances est parsemé d’indices qui permettent de rationaliser la dislocation cog‐ nitive qu’éprouve notre héros en perte de repères. La lo‐ gique du monde parallèle dans lequel il se démène est mise en relief par de nom‐ breuses allusions à des films qui questionnent la notion de réalité.
Ainsi, le livre cite de ma‐ nière plus ou moins directe bon nombre d’oeuvres énig‐ matiques du 7e art comme Route perdue (Lost Highway), de David Lynch, La matrice (The Matrix), des Wachowski, 12 singes (12 Monkeys), de Terry Gilliam, Blow-Up, de Mi‐ chelangelo Antonioni, ou Per‐ sona, d’Ingmar Bergman
Si l'ancien enseignant de cinéma au cégep de Drum‐ mondville saura assurément stimuler l’imagination des ci‐ néphiles, la légion de fans de son oeuvre romanesque se plaira à décoder les références à ses propres livres.
Comme dans Aliss, Le vide ou Faims, Résonances se de‐ mande quelles seraient les conséquences d’un monde dans lequel les humains iraient au bout des pulsions les plus sombres qui som‐ meillent dans leur esprit.