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Scrutin du 3 octobre : Que pourrait-il advenir de l’opposition?

- Jean-François Thériault

Le Québec se trouve dans une situation politique in‐ édite dans son histoire. Du moins, à en croire les son‐ deurs.

D'un côté, un gouverne‐ ment sortant, qui trône seul au sommet des projection­s, et de l'autre, quatre partis concurrent­s — le Parti libéral du Québec (PLQ), Québec so‐ lidaire (QS), le Parti québécois (PQ) et le Parti conservate­ur du Québec (PCQ) — qui forment une opposition frag‐ mentée et qui sont, de sur‐ croît, pratiqueme­nt au nez à nez dans les intentions de vote.

Prêtons-nous à un exer‐ cice de politique-fiction.

Nous sommes le 4 octobre 2022. Les projection­s les plus optimistes (pour le gouverne‐ ment sortant, du moins) se sont réalisées : les caquistes l'ont emporté haut la main, en raflant une centaine des 125 sièges que compte l'As‐ semblée nationale. Les quatre autres partis d'opposition se partagent les restes. Que pré‐ voit alors notre système par‐ lementaire dans une telle si‐ tuation?

Qu'arrive-t-il si aucun groupe d'opposition n'est officielle­ment reconnu?

Selon les règles de l'Assem‐ blée nationale, un parti doit faire élire 12 députés, ou ré‐ colter 20 % au suffrage univer‐ sel pour être reconnu comme groupe parlementa­ire officiel et avoir droit aux avantages qui sont associés à ce statut (temps de parole, budget de recherche, employés poli‐ tiques, etc.). Une barre qui pa‐ raît difficile à franchir pour plusieurs des partis d’opposi‐ tion.

Mais qu’arrive-t-il si aucun d’entre eux ne parvient à ce seuil? Le gouverneme­nt de François Legault pourrait-il alors régner en maître et roi, sans opposition reconnue et organisée?

J'ai bien du mal à me l'ima‐ giner dit d'emblée Patrick Taillon, professeur et spécia‐ liste en droit constituti­onnel à l'Université Laval. Il y a bien sûr des règles écrites [à l'As‐ semblée nationale], mais la règle numéro 1 est non écrite : quand tous les leaders des partis s'entendent sur quelque chose, cette entente finit par s'imposer.

À l'Assemblée nationale, tout se négocie toujours. Et tout le monde sait que les avantages d'une entente sont toujours plus grands que ceux d'un désaccord.

Patrick Taillon, professeur en droit à l'Université Laval

Il souligne qu'il y a eu, de tout temps, des formations politiques qui n'ont pas at‐ teint ces critères, mais qui se sont vues accorder, par consensus de l'Assemblée, le statut de groupe parlemen‐ taire officiel. C'était notam‐ ment le cas du Parti québé‐ cois et de Québec solidaire lors de la dernière législatur­e, mais aussi de l'Action démo‐ cratique du Québec en 2008.

Mais quel avantage aurait un parti avec une telle majori‐ té à permettre à ses rivaux de s'organiser? Si le gouverne‐ ment décide de faire la vie dure aux opposition­s, les op‐ positions peuvent aussi faire la vie dure au gouverneme­nt, répond Patrick Taillon, en s'opposant systématiq­ue‐ ment à toute motion qui re‐ quiert l'unanimité en chambre, ce qui ralentirai­t grandement les travaux parle‐ mentaires.

Les autres groupes pour‐ raient ainsi décider de mener une véritable guérilla parle‐ mentaire, ce qui créerait selon lui un climat d'une tension ex‐ trême qui ne [pourrait] pas durer très longtemps. Le gou‐ vernement a donc tout avan‐ tage, selon M. Taillon, à jouer donnant-donnant avec les opposition­s, pour éviter qu'elles ne viennent saboter sa législatur­e.

Qu'arrive-t-il si l'on ne parvient pas à départager l'opposition officielle?

Et si les résultats du scru‐ tin ne permettaie­nt pas de départager lequel des partis d'opposition­s formerait l'op‐ position officielle, dans un scénario où deux formations obtiendrai­ent le même nombre de sièges?

Je n'ai pas la réponse, avoue Patrick Taillon, qui juge néanmoins l'hypothèse peu envisageab­le. Selon lui, dans le cas d'une égalité, il n'y a pas une tonne de principes pour départager la chose.

Et le guide de La procé‐ dure parlementa­ire du Qué‐ bec, qui régit le fonctionne‐ ment de l'Assemblée natio‐ nale, tend à lui donner raison. Nulle part dans les règles est-il indiqué la marche à suivre claire en cas d'égalité mathé‐ matique, mais on évoque une possibilit­é. En cas d’égalité du nombre de députés qu’ont fait élire deux formations poli‐ tiques, le nombre de voix ob‐ tenues peut alors servir à dé‐ terminer laquelle des deux devrait être reconnue comme deuxième groupe d’opposi‐ tion, peut-on y lire.

La Procédure cite en cela un exemple récent. Au lende‐ main de la dernière élection, Québec solidaire et le Parti québécois ont tous deux ré‐ colté 10 sièges, ex aequo pour le titre de deuxième groupe d'opposition. Après discus‐ sion, il en a été convenu que le PQ hériterait du titre, puisque le parti avait obtenu un plus grand pourcentag­e du vote populaire. Un titre que le parti a plus tard dû cé‐ der à Québec solidaire suite au départ de sa députée Ca‐ therine Fournier.

Mais Patrick Taillon croit qu'une autre règle non écrite pourrait entrer en ligne de compte.

À l'Assemblée nationale, l'ancienneté a souvent pré‐ séance, explique-t-il, ajoutant qu'il faut bien souvent des ré‐ sultats clairs pour déloger un groupe de sa place. Une convention qui, en cas d'égali‐ té avec un autre parti, pour‐ rait avantager le Parti libéral et Dominique Anglade, elle qui occupait le rôle de cheffe de l'opposition officielle à la dissolutio­n de la Chambre en août.

Un détour par l'His‐ toire : la super majorité de Robert Bourassa

Le scénario d'une majorité écrasante, lui, ne serait pas in‐ édit dans l'histoire de la pro‐ vince. Le record de sièges ap‐ partient au second gouverne‐ ment de Robert Bourassa qui est parvenu, en 1973, à faire élire 102 députés... sur une possibilit­é de 110.

Le Parti québécois avait alors hérité du rôle d'opposi‐ tion officielle, avec une équipe composée de six députés seulement.

Une opposition d'une effi‐ cacité remarquabl­e, très com‐ bative en chambre, se remé‐ more l'ancien député libéral Yvon Vallières, qui avait 24 ans lorsqu'il a obtenu son premier mandat pour repré‐ senter les électeurs de la cir‐ conscripti­on de Richmond en étant porté par ce raz-de-ma‐ rée.

Il se souvient que l’opposi‐ tion péquiste, aussi petite soit-elle, avait réussi à attirer beaucoup de sympathie, et avait réussi à avoir l'écoute at‐ tentive des médias. Tout ce que faisait l'opposition était très suivi.

Il ne manque pas d'éloges pour ses adversaire­s de l'époque, qui étaient de tous les combats malgré leur petit nombre. Ils ont shaké le pom‐ mier. Ça brassait pas mal.

On était dans un climat so‐ cial particulie­r. Si vous me de‐ mandez, vaut mieux avoir une opposition à l'Assemblée nationale qu'une opposition dans la rue.

Yvon Vallières, ancien dé‐ puté libéral.

Mais, de l'aveu même de l'ancien député de Richmond, une majorité aussi écrasante est une arme à double tran‐ chant. Avec un caucus aussi énorme et un nombre res‐ treint de ministères, les dé‐ ceptions sont nombreuses dans les rangs. Le problème, pour le premier ministre, [c'était] de trouver du travail valorisant pour tout le monde à l'Assemblée nationale, se souvient M. Vallières. À l'époque, il n'y avait pas beau‐ coup de choses pour occuper les députés.

Bien sûr, la victoire était spectacula­ire, mais les gens ont vite déchanté, selon Yvon Vallières. Au-dessus de 100 députés, les attentes de la population étaient très fortes, dit-il, en ajoutant que c'est ra‐ pidement devenu difficile à mener, à diriger comme gou‐ vernement.

Et la suite de l’histoire lui donne raison. Malgré son écrasante majorité, Robert Bourassa perd l'élection quelque trois ans plus tard aux mains de René Lévesque, qui prend la tête, en 1976, du premier gouverneme­nt pé‐ quiste de l'histoire de la pro‐ vince. M. Bourassa est même défait dans sa circonscri­ption de Mercier, ce qui marquera le début d'un exil politique de sept ans.

Yvon Vallières a lui aussi été emporté par cette vague péquiste, avant de réussir à regagner son siège en 1981. Et il est catégoriqu­e : Si notre gouverneme­nt n’avait pas été si fort en 1973, la chute aurait été moins sévère en 1976, analyse-t-il.

La proportion­nelle et le retour du refoulé

Mais Yvon Vallières croit qu’il faut se garder de jouer le jeu des comparaiso­ns. Le scé‐ nario d’aujourd’hui est très différent, dit-il, rappelant qu’il n’y avait à l'époque que deux partis d’opposition qui sié‐ geaient au Salon bleu.

Or, il est possible qu’il y ait, pour la première fois, quatre chefs pour donner la réplique à François Legault en chambre. Or, selon lui, plus l’opposition se diversifie, plus apparaisse­nt les limites de notre système électoral.

Quatre tiers partis, qui se séparent tous 15 % du vote, ça veut dire qu’il y a plus de gens qui vont s’être exprimés pour les opposition­s que pour le gouverneme­nt, lancet-il. Ça soulève l’aspect de la proportion­nelle. À un mo‐ ment ou un autre, tous les partis vont devoir regarder ça sérieuseme­nt, pour tenir compte davantage de l’ex‐ pression du vote populaire.

Un avis que partage le pro‐ fesseur de droit et ancien dé‐ puté péquiste Daniel Turp. Dans les scénarios évoqués, avance-t-il, l’opposition n’est pas seulement fragmentée. Elle est diminuée, [et ce] mal‐ gré les résultats du vote. Tout ça en raison d’une distorsion de notre système électoral.

Cette distorsion est le ré‐ sultat, selon lui, du gouverne‐ ment caquiste qui a violé cette promesse solennelle de revoir le mode de scrutin dans son premier mandat.

Ces nouvelles dynamiques à l’Assemblée nationale suffi‐ rait-elle à rouvrir le débat sur un mode de scrutin propor‐ tionnel? Je l’espère, répond Daniel Turp. Ça n’a pas de bon sens. On aurait l’illustrati­on la plus complète de l'iniquité fondamenta­le de notre sys‐ tème électoral.

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