Marchés fermiers : des produits pas si locaux que ça
Le week-end, vous faites peut-être partie des mil‐ liers de personnes qui se rendent dans un marché fermier pour acheter des fruits et des légumes. En Al‐ berta, ils sont plus de trois millions à l'avoir fait l'an‐ née dernière. Des produits locaux et frais, c'est ce que les consommateurs croient venir chercher.
Je viens ici parce que la ma‐ jorité des produits sont lo‐ caux, frais et, même, parfois moins chers qu'à l'épicerie, dit Kevin Singh, sa fille dans la main gauche et une caisse de bluets dans la main droite.
Ce samedi matin, les habi‐ tués comme lui se pressent au marché fermier du sud de Calgary, un des 150 lieux au‐ torisés par le gouvernement albertain qui doit respecter la règle suivante : 80 % des pro‐ duits vendus ont poussé loca‐ lement, 20 % viennent d'ailleurs.
Une exigence que la pro‐ vince a instaurée en 1974 pour soutenir l’agriculture. Des pommes... et des mangues
Local, ça veut dire que ça vient de l'ouest du Canada, surtout de l'Alberta et de la Colombie-Britannique, assure Mikayla Jayne, porte-parole du marché. Le discours est le même du côté de Robin Mousso, employé du stand Cherry Pit.
Pourtant, selon l'Associa‐ tion des marchés fermiers de l’Alberta et le gouvernement, un produit est local seule‐ ment lorsqu'il vient de l'Alber‐ ta.
Dans les allées du marché fermier du sud de Calgary, beaucoup de fruits et de lé‐ gumes viennent de ColombieBritannique, comme des pommes ou des choux de Bruxelles.
Certains étals de Panora‐ ma Orchards, dont la proprié‐ taire détient aussi Cherry Pit, comptent même des mangues ou des bananes qui ont voyagé des milliers de ki‐ lomètres.
Mikayla Jayne, la porte-pa‐ role, s’explique : On autorise ces produits pour offrir le choix le plus large possible aux consommateurs, pour qu'ils puissent faire tous leurs achats au même endroit du‐ rant toute l'année. Sur l'en‐ semble de tous nos vendeurs, nous respectons les règles.
Les produits exotiques n’ont pas leur place dans un marché fermier, selon Nicola Irving, présidente de l'Associa‐ tion des marchés fermiers de l’Alberta. Il faut soutenir les petits fermiers. Il n’y en a pas assez dans les marchés, avoue-t-elle. Où sont les vrais fer‐ miers ?
Le choix de Francis Ethier est restreint. Le responsable du stand Tomato Man ne vend que des produits pous‐ sant dans des serres en Alber‐ ta. Il avoue que produire local est un défi : Il n'y a pas assez de producteurs pour nourrir toute la population. La météo rend les récoltes plus lentes et plus chères.
Un marché fermier peut donc offrir à ses clients des fruits de l’étranger, d’une autre province canadienne et de la région toute proche. L’in‐ formation n’est pas assez claire pour le consommateur, concède Nicola Irving.
Elle rappelle que certains marchés fermiers sont en réa‐ lité privés. Ils ne sont donc pas soumis à la règle 80 % d’Alberta, 20 % d'ailleurs. C'est le cas des célèbres Cross‐ roads à Calgary et Bountiful à Edmonton. Peu de gens le savent, avoue-t-elle.
Il y a de plus en plus de marchés, mais de moins en moins de fermiers y sont
Chris Souto, propriétaire de l’entreprise Souto Farms
Chris Souto vend les pro‐ duits de ses fermes dans 17 différents marchés fer‐ miers. Après six ans de colla‐ boration, il est parti du mar‐ ché fermier du sud de Calgary à cause de la concurrence dé‐ loyale.
Trop de vendeurs se four‐ nissaient auprès de gros‐ sistes. Ils achetaient à des prix bas sur lesquels on ne pou‐ vait pas s’aligner, se rappelle
Chris Souto. C’est injuste pour les clients et les fermiers lo‐ caux. Comment améliorer le système?
Selon lui, près de la moitié des vendeurs n’ont même pas de fermes. Pour s’assurer de la provenance des produits, Chris Souto voudrait que les responsables des marchés vi‐ sitent les exploitations avant d'accepter un vendeur.
Dans un monde idéal, peut-être [que c’est une bonne idée], mais ce n’est pas faisable, rétorque Nicola Ir‐ ving. Les marchés sont tous à but non lucratif et ils n'ont ni l’argent ni le temps de visiter les fermes.
Pour plus de transparence auprès des clients, faut-il faire des compartiments regrou‐ pant les produits d'Alberta d'un côté et ceux d'une autre province ou de l'étranger dans un autre? Ce ne serait pas une mauvaise idée, dit Robin Mousso.
Le ministère de l’Agricul‐ ture confirme qu’il n’y a ja‐ mais eu d’inspections et que, par conséquent, aucun mar‐ ché s’est vu enlever son accré‐ ditation.
Pour acheter le plus local possible, Nicola Irving conseille de privilégier les marchés fermiers approuvés répertoriés sur le site du gou‐ vernement et arborant le logo Sunnygirl.
L'association du secteur et les fermiers conseillent aux consommateurs de se rensei‐ gner directement auprès des commerçants avant d’acheter des produits de saison pour avoir le plus de chance d'ob‐ tenir des produits d'origine lo‐ cale.