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« Les jeunes Iraniens ne supportent pas les contrainte­s qu’on leur impose »

- James-Patrick Cannon

Dix jours après la mort d’une femme de 22 ans aux mains de la police des moeurs iranienne pour « port inappropri­é » du fou‐ lard islamique, un nouveau symbole de révolte voit le jour en Iran, attisant la co‐ lère des manifestan­ts confrontés à une répres‐ sion étatique grandissan­te.

Sortie dans les rues du pays, comme des milliers d’autres pour manifester contre la mort brutale de Mahsa Amini, Hadis Najafi, 20 ans, a été atteinte de six balles à la tête, au cou et à la poitrine, dans la petite ville de Karaj, à l'ouest de Téhéran.

Survenue jeudi dernier, sa mort n’a été annoncée que di‐ manche par la journalist­e d’origine iranienne, Masih Ali‐ nejad.

Une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux montre la jeune femme en train de nouer ses cheveux blonds avant de rejoindre une foule d’autres manifestan­ts.

Selon Mahnaz Shirali, so‐ ciologue et politologu­e, Hadis Najafi symbolise le courage des femmes iraniennes. De par leur résistance à la répres‐ sion religieuse et à un État particuliè­rement violent avec les femmes, elles sont deve‐ nues un exemple pour toutes les femmes du monde, ajoute la spécialist­e de l'Iran en en‐ trevue à Tout un matin.

L’experte estime aussi fort révélatric­es des vidéos deve‐ nues virales montrant des femmes iraniennes se cou‐ pant les cheveux en soutien au mouvement de manifesta‐ tion.

Ça représente l'empiéte‐ ment des valeurs tradition‐ nelles d’une société patriar‐ cale qui apprécie les cheveux longs, explique Mahnaz Shira‐ li.

Ces jeunes femmes, en coupant leurs cheveux, veulent empiéter sur les va‐ leurs patriarcal­es qui ont tou‐ jours étouffé les femmes et qui, aujourd’hui, ont tué Mah‐ sa Amini et Hadis Najafi.

Mahnaz Shirali, profes‐ seure à Sciences Po, spécia‐ liste de l'Iran

Mme Shirali se réjouit éga‐ lement que les manifestan­tes iraniennes soient appuyées par plusieurs de leurs homo‐ logues masculins, un signe, selon elle, de la vitalité de la société civile iranienne.

Pour la première fois en 43 ans, on voit que les hommes iraniens à leur tour soutiennen­t les femmes et sont devenus à leur tour les défenseurs de la cause fémi‐ nine, note la sociologue. Ça montre que la société ira‐ nienne est une société vi‐ vante malgré 43 années de ré‐ pression massive de la part d’un État dictatoria­l.

Selon elle, le mouvement actuel est signe que la jeu‐ nesse iranienne n’adhère pas aux valeurs de la République islamique d’Iran, établie en 1979.

Bien qu’ils n’aient connu aucun autre régime politique, les jeunes Iraniens, observe-telle, ont grandi avec les ré‐ seaux sociaux. C’est cette vi‐ trine qui leur permet de voir un autre mode de vie, plus libre.

Ils ne supportent pas les contrainte­s que la République islamique leur impose et du coup ils sont complèteme­nt en révolte, parce qu’ils as‐ pirent à vivre comme les autres jeunes de leur âge, ajoute-t-elle.

Ce sont ces mêmes ré‐ seaux, note la spécialist­e, qui offrent un grand potentiel de création de mouvements so‐ ciaux, en permettant aux jeunes de s’organiser et de faire du recrutemen­t.

Téhéran intraitabl­e face aux manifestan­ts

Les autorités iraniennes sont bien au fait du pouvoir des réseaux sociaux comme outil de mobilisati­on. C’est ce qui explique pourquoi elles ont décidé de bloquer l’accès aux applicatio­ns Instagram et WhatsApp dans la foulée des récentes manifestat­ions (les sites Facebook et Twitter étant déjà bannis depuis long‐ temps en Iran).

Ce verrouilla­ge numérique s’ajoute à des méthodes ré‐ pressives plus traditionn­elles.

Des groupes de défense des droits de la personne rap‐ portent que les forces de sé‐ curité ont tiré des plombs et à balles réelles sur des partici‐ pants qui ont lancé des pierres, incendié des voitures de police et mis le feu à des bâtiments publics.

Lundi, les autorités ont in‐ diqué avoir arrêté plus de 450 émeutiers dans la seule province de Mazandara, dans le nord du pays. Deux jours auparavant, les autorités avaient annoncé l'arrestatio­n de plus de 700 personnes dans la province voisine de Gi‐ lan.

Le Comité de protection des journalist­es et l’organisme Reporters sans frontières rap‐ portent et dénoncent pour leur part l’arrestatio­n de 18 journalist­es depuis le dé‐ but du soulèvemen­t, dont plusieurs lors de descentes nocturnes à leur domicile et sans mandat d'arrêt ou expli‐ cation des accusation­s.

Nilufar Hamedi, qui s'était rendue dans l'hôpital où Mah‐ sa Amini se trouvait dans le coma et a contribué à alerter l'opinion mondiale sur son sort, fait partie des 18 journa‐ listes détenus.

Selon le dernier bilan offi‐ ciel iranien, au moins 41 per‐ sonnes, dont des manifes‐ tants et des membres des forces de l’ordre, ont été tuées depuis le début des manifes‐ tations, le 17 septembre.

Mais d’après l'ONGIran Hu‐ man Rights, le bilan pourrait être beaucoup plus lourd. L’organisme basé à Oslo, en Norvège, fait état de 57 mani‐ festants tués.

Et tout indique que la ré‐ pression va s’accentuer. Di‐ manche, le premier ministre ultraconse­rvateur Ebrahim Raïssi a promis d’agir de ma‐ nière décisive avec les mani‐ festants.

Un appel auquel a fait écho le chef de l’Autorité judi‐ ciaire iranienne, Gholamhos‐ sein Mohseni Ejeï. Ce dernier a menacé de ne faire preuve d'aucune indulgence à l’égard des manifestan­ts et a appelé les forces de l'ordre à agir fer‐ mement contre ceux qui portent atteinte à la sécurité [publique].

Regain des avec l’Occident tensions

La réponse du régime ira‐ nien au mouvement de contestati­on ajoute aux ten‐ sions entre Téhéran et les ca‐ pitales occidental­es.

Lors d’un point de presse, le premier ministre du Cana‐ da, Justin Trudeau, a critiqué le régime iranien pour son mépris des droits de la per‐ sonne et annoncé des sanc‐ tions contre des douzaines de personnes et d’entités ira‐ niennes, incluant la soi-disant police de la moralité.

Plus tôt, lundi, le gouver‐ nement allemand a convoqué l'ambassadeu­r iranien à Berlin pour une discussion sur la ré‐ pression des protestati­ons, au lendemain des condamna‐ tions du chef de la diplomatie de l’Union européenne. Josep Borrell, a dénoncé dimanche l'usage généralisé et dispro‐ portionné de la force par les autorités iraniennes contre des manifestan­ts non vio‐ lents.

Deux jours avant, le pré‐ sident américain, Joe Biden, s'est dit solidaire des femmes courageuse­s d'Iran et a dé‐ noncé la répression violente des manifestat­ions à la tri‐

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