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Situation préoccupan­te à Postes Canada

- Hugo Prévost

Les temps sont durs à Postes Canada. Non seule‐ ment cette société d'État indique, dans son plus ré‐ cent rapport annuel, avoir encaissé une perte de près d’un demi-milliard de dol‐ lars pour l’année 2021, mais chez plusieurs facteurs et factrices, la colère monte. Portrait d’une situation complexe.

Recevoir un avis de livrai‐ son manquée alors qu’on était chez soi et que personne n’a sonné à la porte peut sem‐ bler anodin. Toutefois, à force de se reproduire, ce petit tra‐ cas peut causer de la frustra‐ tion.

Et avec la frustratio­n viennent les interrogat­ions.

Qu’est-ce qui peut bien ex‐ pliquer une telle situation? Poser des questions à Postes Canada et à ses employés permet de découvrir que cette société d’État se trouve dans une situation financière complexe et que les condi‐ tions de travail difficiles créent de graves problèmes de rétention.

Comme dans bien d’autres secteurs, celui des postes a été grandement affecté par la pandémie, notamment en rai‐ son des coûteuses mesures de protection qui ont été adoptées.

À cela s’ajoutent, lit-on dans le dernier rapport an‐ nuel de la société d'État, des hausses salariales ainsi que des investisse­ments de 635 millions de dollars dans la mise en oeuvre de solutions pour améliorer notre capacité opérationn­elle afin de s’adap‐ ter à la hausse du commerce en ligne.

Sans compter l’ajout d’en‐ viron 226 000 nouvelles adresses au pays, ce qui im‐ plique des frais supplémen‐ taires pour assurer la livraison du courrier et des colis.

En 2021, les pertes de Postes Canada ont donc at‐ teint 490 millions de dollars avant impôts, et ce, malgré la hausse de 407 millions des re‐ venus tirés de la livraison des lettres et des colis. Cette hausse est attribuabl­e à l’aug‐ mentation du nombre colis expédiés puisque l'envoi de lettres continue de diminuer année après année.

Une situation qui date d’avant la pandémie

Selon Alain Robitaille, pré‐ sident de la section montréa‐ laise du Syndicat des tra‐ vailleurs et travailleu­ses des postes (STTP), les problèmes de Postes Canada ne datent pas d’hier. Il y a énormément de roulement de personnel chez Postes Canada et ça date de bien avant la pandémie, dit-il lors d'un entretien télé‐ phonique.

La nature du travail fait en sorte que c’est [...] difficile. Il y a depuis longtemps un pro‐ blème de rétention, alors Postes Canada embauche constammen­t, et il y a une grosse proportion de ces gens-là qui ne restent pas, qui partent.

Au dire de M. Robitaille, cette situation peut s’expli‐ quer par la lourde charge de travail qui est confiée aux em‐ ployés.

C’est un travail difficile, qui est soumis aux intempérie­s. Et contrairem­ent à la livraison de colis, on livre un peu de tout. […] Nous sommes vrai‐ ment exposés pendant de longs moments à l’extérieur des véhicules pour faire des li‐ vraisons, alors c’est quelque chose de difficile.

Le responsabl­e syndical déplore aussi la gestion assez serrée à Postes Canada, no‐ tamment du côté du temps supplément­aire. Il affirme que l’employeur tente de s'immis‐ cer lorsque des travailleu­rs veulent signaler des accidents du travail.

Toujours selon M. Robi‐ taille, un climat toxique peut s’installer entre l’employeur et les travailleu­rs.

Ce climat est aussi évoqué par des employés lorsque vient le temps d’annoncer leur départ.

L’actuelle convention col‐ lective du STTP arrivera à échéance à la fin de jan‐ vier 2024 et Alain Robitaille n’est pas très optimiste pour la suite. Il craint l’impossibil­ité de véritablem­ent négocier avec Postes Canada puisque le gouverneme­nt, affirme-t-il, a tendance à adopter rapide‐ ment une loi spéciale pour ra‐ mener les employés au tra‐ vail.

Je pense qu’on pellette [les problèmes] vers l'avant, lâche-t-il au bout du fil.

Deux réalités

Sur le terrain, les condi‐ tions de travail parfois diffi‐ ciles provoquent une frustra‐ tion qui s’exprime différem‐ ment en fonction de l’endroit où les facteurs et les factrices exercent leur métier.

Dans la grande région de Montréal, d’ailleurs, la réalité n’est pas la même si on tra‐ vaille en région périurbain­e et rurale ou si on livre du cour‐ rier et des colis en zone plus urbaine.

Employée depuis 18 ans à Postes Canada, Sophie Gre‐ nier a marché dans les pas de sa mère, qui a passé sa vie au sein de l’entreprise.

Assignée en périphérie de ce qu’elle appelle le cercle d’acier, soit à l’extérieur de la métropole et des villes avoisi‐ nantes, elle a la responsabi­lité de tout livrer, non seulement le courrier mais aussi les circu‐ laires, les petits colis et les ob‐ jets de grande taille. À Mont‐ réal, les grands colis sont confiés à des contractue­ls.

Postes Canada ne fournit pas nos véhicules. Nous de‐ vons fournir un véhicule avec un espace de chargement de 100 pieds cubes [ environ 2800 litres ou 2,8 mètres cubes, NDLR]. On parle d’un gros VUS ou d’une minifour‐ gonnette.

Sophie Grenier

La capacité exigée pour les véhicules de livraison aurait ainsi doublé depuis une ving‐ taine d’années, affirme Mme Grenier.

Autre sujet de frustratio­n : le prix de l’essence. Si Postes

Canada verse une compensa‐ tion à ses facteurs ruraux et périurbain­s pour payer le car‐ burant, le STTP précise sur son site Internet que le taux de cette indemnité n’a pas été révisé depuis le début de 2022, soit bien avant la hausse soudaine du prix de l’essence.

La réalité, c’est qu’on a beaucoup de colis en plus de la charge de circulaire­s et de courrier, mentionne Mme Grenier.

Elle a d’ailleurs l’obligation de livrer la totalité des colis destinés à sa route (son trajet, NDLR). Si j’ai un client qui fait de l’excès de zèle, qui rénove un condo et qui commande 50 éviers de cuisine, je dois les livrer.

Et si le volume de colis est trop gros pour un seul char‐ gement, elle doit effectuer plusieurs voyages. C’est notre responsabi­lité, chaque jour, de livrer tout ce que nous avons.

Tout comme Alain Robi‐ taille, du STTP, Sophie Grenier confirme qu’il y a beaucoup de roulement ces temps-ci.

On a de la misère à aller chercher de nouveaux em‐ ployés… surtout des jeunes! Je suis formatrice et la moyenne d’âge des gens que je forme est au-delà de 40 ans, dit-elle.

Pire encore, les nouveaux employés n’ont pas d’heures garanties lors de leur em‐ bauche à Postes Canada. Qui ira s’endetter de plusieurs di‐ zaines de milliers de dollars afin d’acheter un VUS sans travail garanti? se demande Mme Grenier.

Pas une panacée en ville non plus

Si la situation est en partie différente sur la Rive-Sud, les inquiétude­s, les frustratio­ns et les obstacles sont bien pré‐ sents là aussi.

Pierre Marc Allaire Daly, facteur à La Prairie, dit être appelé à faire le courrier, les circulaire­s, les petits et les gros colis sur sa route.

Et devant l’afflux de colis et d’autres objets à livrer, le tout étant combiné à un pro‐ blème de rétention du per‐

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