Une campagne électorale sans éclat
Il y avait un véritable sus‐ pense en 2018. Après un mandat marqué par la ri‐ gueur budgétaire et quinze années de gouverne libé‐ rale quasi ininterrompue, la soif de changement était palpable. La question était de savoir si un parti réussi‐ rait à incarner ce change‐ ment jusque dans l’urne. Les sondages laissaient pré‐ sager une course serrée.
Rien de tel cette année. Même en multipliant les faux pas, la Coalition avenir Qué‐ bec (CAQ) aura été en tête des intentions de vote du début à la fin de la campagne électo‐ rale. Les partis d’opposition ont fait du surplace, excep‐ tion faite de la modeste re‐ montée du Parti québécois (PQ).
Au-delà des sondages et de la course à la première place, on ne peut pas dire que les engagements des divers partis aient soulevé les pas‐ sions.
On a bien sûr discuté pen‐ dant quelques jours de la pro‐ messe de la CAQ de construire de nouveaux bar‐ rages hydroélectriques, mais bien des électeurs doivent en‐ core se demander en quoi consiste exactement le pro‐ jet ÉCO du Parti libéral du Québec (PLQ).
Dès le début de la cam‐ pagne, la multiplication des promesses fiscales, toutes plus semblables les unes que les autres, a donné le ton. Se distinguer allait être dur pour tous les partis, engagés pour la première fois de l’histoire dans une vraie course à cinq.
Des sujets plus visibles que d’autres
Après avoir monopolisé l’actualité pendant plus de deux ans, on peut s’étonner que le thème de la santé ait occupé si peu de place. L’état lamentable du réseau est certes cause de lassitude, mais cela n’explique pas pour‐ quoi la promesse de la CAQ d’autoriser la construction de mini-hôpitaux privés n’ait presque pas causé de re‐ mous. Il y a quelques années, les esprits se seraient échauf‐ fés pour bien moins.
Les férus du débat sur le troisième lien ont en re‐ vanche été bien servis, chaque jour amenant son lot de nouvelles controverses. François Legault ne s’est sans doute pas aidé avec ses ré‐ ponses ambiguës, mais on peut se demander si les élec‐ teurs s’intéressent autant à cette question qu’on semble le croire, comme l’a récem‐ ment constaté une collègue sur le terrain.
Outre ce sujet, il a été abondamment question d’im‐ migration. Si les partis ont des visions bien différentes de cette question, ce sont sur‐ tout les gaffes de la CAQ sur ce thème qui ont retenu l’at‐ tention.
François Legault lui-même s’est mis les pieds dans les plats en associant violence et immigration, puis il s’est re‐ trouvé sur la défensive en rai‐ son des propos de son mi‐ nistre Jean Boulet, selon qui 80 % des immigrants ne tra‐ vaillent pas et ne parlent pas français. Le premier ministre sortant a beau avoir annoncé qu’il remplacerait son impru‐ dent ministre lors d'un éven‐ tuel deuxième mandat, l’image de la CAQ en sort ter‐ nie.
Après avoir été lancé dans la stratosphère de la populari‐ té politique par la pandémie, François Legault a dû trouver ardu le retour sur le plancher des vaches. L’absence mo‐ mentanée de débats à l’As‐ semblée nationale a pu lui of‐ frir un peu de répit au cours de son mandat, mais elle semble aussi avoir nui à sa ca‐ pacité de défendre ses idées.
Dans un contexte d’incerti‐ tude exacerbée, le chef de la CAQ a voulu faire de la com‐ pétence à gérer l’économie le thème clé de la campagne électorale, à l’instar de Jean Charest en 2008. Sur la défen‐ sive et peu enthousiaste, François Legault a toutefois eu du mal à expliquer concrè‐ tement ce qu’il compte faire d’un deuxième mandat.
Le fait qu’aucun des partis d’opposition n’ait vraiment su tirer parti de cette situation en dit tout aussi long sur eux que les erreurs du premier mi‐ nistre en disent sur lui-même.
Pas facile de s’illustrer
De fait, d’autres partis risquent eux aussi de sortir amochés de l’exercice électo‐ ral. Même si elle a retenu l’at‐ tention des électeurs le temps d’une danse sur TikTok, Domi‐ nique Anglade a connu une campagne des plus difficiles.
La cheffe libérale a assuré‐ ment fait preuve d’une rési‐ lience à toute épreuve, mais elle a trop souvent semblé seule, l’organisation libérale – jadis respectée et redoutée – ayant donné l’impression de l’avoir laissée tomber. On n’a qu’à penser aux nombreux problèmes de recrutement du parti ou au trou de 16,3 mil‐ liards de dollars relevé dans son cadre financier.
À l’opposé, le Parti québé‐ cois – qu’on disait mort – aura réussi à causer une certaine surprise. En recentrant son message sur les raisons d’être de sa formation politique, Paul St-Pierre Plamondon a ramené à lui une partie des électeurs souverainistes qui étaient allés voir ailleurs.
Alors que bien peu de per‐ sonnes le connaissaient, le chef péquiste a su se démar‐ quer grâce à de solides perfor‐ mances aux deux débats des chefs. Sa courtoisie et son af‐ fabilité ont visiblement fait re‐ cette, mais on ignore encore s'il obtiendra davantage qu’un succès d’estime.
Québec solidaire a lui aussi connu une bonne campagne, notamment grâce à la perfor‐ mance sans faille de son coporte-parole Gabriel NadeauDubois, toujours solide de‐ vant les médias. Il est cepen‐ dant loin d’être acquis que QS pourra en tirer quelque divi‐ dende électoral que ce soit.
En effet, cette formation politique ne semble pas avoir vu venir le tollé que suscite‐ rait sa proposition de taxer les successions et les actifs nets de plus d’un million de dollars ainsi que certains types de véhicules. Si l’expres‐ sion taxes orange – que Fran‐ çois Legault, rusé, a concoctée – a fait tache d’huile, c’est qu’elle a précisément mis le doigt là où ça fait mal.
Éric Duhaime en a fait énormément pour le Parti conservateur du Québec au cours des derniers mois en lui permettant de se tailler une vraie place sur l'échiquier poli‐ tique, comme en témoigne sa présence aux deux débats des chefs organisés durant la campagne. Ici s’arrêtent tou‐ tefois les miracles.
Même s’il a réussi à mobili‐ ser ses militants comme au‐ cun autre parti n’en a été ca‐ pable dans cette course, le PCQ paraît plafonner. Habile communicateur, Éric Duhaime a été décontenancé par la sa‐ ga des comptes de taxes im‐ payés. Les intentions de vote en sa faveur semblent se tas‐ ser, mais le moindre gain sera toutefois, pour lui, une grande victoire lundi soir.
Des prédictions avérées
Parmi les prévisions enten‐ dues au début de la cam‐ pagne, au moins deux se sont avérées justes : François Le‐ gault est souvent son propre pire ennemi et la course se joue pour la deuxième place.
Le chef de la CAQ a certes perdu des plumes ces der‐ nières semaines, mais aucun de ses quatre adversaires n’a réussi à se démarquer au point de fédérer le vote des électeurs insatisfaits.
Le simple fait qu’il soit tou‐ jours aussi difficile, après 36 jours, de savoir avec certi‐ tude qui formera l’opposition officielle en dit long sur le manque d’éclat de cette cam‐ pagne.