Les villes canadiennes sont-elles prêtes pour les changements climatiques?
Deux ouragans majeurs en moins d’une semaine ont frappé le continent, coûté la vie à des résidents et causé des millions de dol‐ lars de dommage. Alors que ces événements extrêmes augmentent, les villes ca‐ nadiennes multiplient les initiatives pour s’y prépa‐ rer, mais en font-elles as‐ sez?
Les deux pieds dans la boue, Shannon Baker désigne d’un geste le vaste sillon de terre derrière elle, où four‐ millent grues et travailleurs.
Ce qu’on y construit, c’est une rivière d’un kilomètre, dit la directrice de projet pour les parcs et les lieux publics pour Waterfront Toronto avec un grand sourire.
Cette rivière, qui res‐ semble davantage à un canal, sera entourée de parcs et de marais et terres humides res‐ taurés. Des couches superpo‐ sées de bâches et de sol et vé‐ gétation ainsi que de grandes racines d’arbre seront imbri‐ quées dans ses berges pour les rendre plus résistantes à l’érosion.
C’est un projet de 1,25 mil‐ liard de dollars, qui réalignera l’embouchure de la rivière Don dans les Port Lands de Toronto. Lorsqu’il sera termi‐ né, il protégera 240 hectares de terres inondables à 20 mi‐ nutes de marche du centreville.
En termes de grosseur, c’est l’équivalent d’un quartier qui s’étendrait de la Tour CN jusqu’au Centre Eaton.
En améliorant la qualité des sols et en installant plus d’échappatoires pour l’eau, [...] l’eau pourra se jeter dans le lac, et ne pas déborder vers l’est vers les quartiers résiden‐ tiels.
Shannon Baker, directrice de projet pour les parcs et les terrains publics de Waterfront Toronto
Une transformation dé‐ jà entamée
C’est un exemple de classe mondiale d'adaptation aux changements climatiques!, af‐ firme l’ex-chef de la résilience de la Ville de Toronto, Elliott Cappell.
Construits sur un marais, les Port Lands ont certes tou‐ jours été très vulnérables aux inondations, mais il ne fait au‐ cun doute, selon lui, que ce risque augmente de jour en jour.
D’une part, il y a l’intensité et la fréquence des événe‐ ments de pluie intense, de l’autre, divers facteurs qui conduisent les rivières à dé‐ border : les deux s’empirent, dit-il.
En tant que chef de la rési‐ lience, M. Cappell avait pour mission d’analyser tous les risques liés aux facteurs clima‐ tiques pour la Ville Reine.
Chaque fois qu’il en parle, il résume la transformation du climat de Toronto de la même façon : plus chaud, plus mouillé et plus extrême.
C’est également vrai à l’échelle nationale.
Même en présumant que la planète serait capable de partiellement réduire ses émissions de carbone dans les prochaines années, les ex‐ perts climatiques prévoient que dans les grandes villes du pays, les jours de chaleur ex‐ trême seront deux fois plus fréquents au cours des trente prochaines années qu'ils ne l'étaient entre 1976 et 2005.
Les villes sont-elles prêtes pour ces changements?
La première question c’est : sommes-nous prêts pour gé‐ rer ce qui se passe en ce mo‐ ment? La réponse est claire‐ ment non.
Elliott Cappell, ex-chef de la résilience de la Ville de To‐ ronto
Fiona vient de ravager l'Est du pays. À l'Ouest, l'an der‐ nier, la Colombie-Britannique a connu la vague de chaleur la plus meurtrière de son his‐ toire suivie des inondations les plus coûteuses.
« Si vous avez grandi à To‐ ronto, vous n’avez pas grandi avec la brumasse que nous avons vue l’année dernière », note également Elliott Cap‐ pell.
Le Canada en mode rat‐ trapage
Toronto a été une des pre‐ mières villes canadiennes à adopter une stratégie d’adap‐ tation aux changements cli‐ matiques en 2008. Des di‐ zaines de municipalités ont fait la même chose depuis.
Une étude (en anglais seulement) publiée le mois dernier par l’Institut du risque climatique en Ontario indique que parmi les 400 municipali‐ tés ontariennes étudiées, la moitié avait adopté une telle stratégie. Les auteurs notent néanmoins que la plupart n’avaient pas les moyens de les mettre pleinement en exé‐ cution et que peu de suivis étaient faits.
Le progrès en matière d’adaptation demeure limité en Ontario, conclut ce rap‐ port.
Elliott Cappell affirme que ce n’est pas différent dans le reste du pays.
Dans certains domaines, comme les inondations, nous avons fait des progrès, mais ce n’est pas suffisant , estimet-il.
Le Canada a du retard en matière de résilience.
On n’est pas nécessaire‐ ment à l’avance à l'internatio‐ nal, juge aussi le chercheur de l’Institut climatique du Cana‐ da Julien Bourque.
Il souligne qu’Ottawa n’a pas encore publié sa première stratégie nationale de rési‐ lience aux changements cli‐ matiques. Le Royaume-Uni, par exemple, en a une depuis 2008, et il la met à jour tous les cinq ans.
Un nouveau rapport de l’Institut climatique du Cana‐ da souligne d’ailleurs que le temps presse.
Les coûts associés aux inondations, les dépenses en santé liées à la pollution at‐ mosphérique ou à la chaleur, et le raccourcissement de la durée de vie des routes et in‐ frastructures en raison du cli‐ mat coûtent déjà cher au Ca‐ nada, souligne Julien Bourque.
D’ici 2025, on parle de perte de croissance écono‐ mique de 25 milliards de dol‐ lars, ce qui représente environ la moitié de la croissance [du
PIB] pour cette année-là.
La publication promise d’une première stratégie na‐ tionale d’ici janvier lui donne tout de même espoir.
On est sur le bon chemin, c’est un bon premier pas, cette stratégie [nationale], mais il faudra l'opérationnali‐ ser rapidement.
Julien Bourque, associé de recherche pour l’Institut cli‐ matique du Canada.
Des exemples de succès encourageants
Julien Bourque estime d’ailleurs que si le Canada re‐ dresse sa trajectoire en termes de résilience clima‐ tique, il en verra des retom‐ bées très très rapidement.
Selon le rapport de l’Insti‐ tut, chaque dollar investi dans une telle mesure évite jusqu’à 13 $ ou 15 $ de perte.
Le chercheur cite d’ailleurs un exemple qui déjà donné des résultats à Montréal : un projet de cartographie des zones inondables grâce à de la technologie laser, mené par la Communauté métropoli‐ taine de Montréal.
On a vu clairement la diffé‐