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Repartir du bon pied avec l’ostéointég­ration

- Gaëlle Lussiaà-Berdou

Pierre Marinier avait déjà remisé sa moto pour l’hi‐ ver, le 7 novembre 2020, quand le soleil s’est remis à chauffer la région des Lau‐ rentides, où il vit avec sa conjointe.

Le couple décide alors de ressortir la Kawasaki pour une dernière balade dans les belles couleurs de l’automne.

Je l'avais toute collée en ar‐ rière, pis elle me tenait comme ça avec ses bras, pis je me sentais tellement bien, se souvient avec émotion M. Marinier.

Mais cette promenade en amoureux va virer au drame. Une camionnett­e arrivant en sens inverse va les percuter.

J'ai senti un impact sur mon côté gauche. Les lu‐ mières se sont fermées. Je me suis réveillé, je ne sais pas combien de temps après, sur le dos dans le fossé, raconte-til. J'ai enlevé mon casque, levé ma main droite, mon pied droit, ma jambe gauche et là j'ai vu que je n'avais plus de pied.

Pierre Marinier a été am‐ puté de la jambe gauche le soir même à l’Hôpital du Sa‐ cré-Coeur de Montréal, où le couple a été transporté après l’accident. Sa conjointe, en‐ core plus mal en point, a sé‐ journé un mois à l’hôpital, et a aussi été amputée d’une jambe.

Au cours des mois qui ont suivi, M. Marinier a dû repartir en quelque sorte à zéro. À l’aube de la soixantain­e, alors peintre aéronautiq­ue dans une entreprise de Mirabel, il a quitté le logement qu’il occu‐ pait depuis 26 ans pour s’ins‐ taller dans un appartemen­t plus approprié, au rez-dechaussée. Changé de voiture aussi, pour adapter sa conduite. Et surtout, réappris à marcher avec une prothèse.

Aucun défi ne semble lui résister. Pour rester actif mal‐ gré son handicap, il lave des voitures dans l'atelier de dé‐ bosselage d’un ami à SaintEusta­che. J’appelle pas ça tra‐ vailler, je m’amuse, plaisante celui qui voue manifestem­ent un intérêt marqué à tout ce qui roule.

Mais voilà : dès qu’il s’ac‐ tive, y compris avec un chiffon dans les mains, sa prothèse devient vite inconforta­ble.

Quand je fais beaucoup d'exercice, je sue beaucoup et mon moignon aussi devient tout en sueur. Et puis tout le silicone [de ma prothèse] de‐ vient trempé. Là je ne peux plus rien faire, il faut que je l'enlève, que je l'assèche, dé‐ crit-il, démonstrat­ion à l’ap‐ pui, en déversant plusieurs millilitre­s de sueur de l'emboî‐ ture qui entourait il y a quelques instants ce qui reste de sa cuisse.

Chez les amputés, les pro‐ blèmes liés aux prothèses peuvent se révéler dange‐ reux. Les membres artificiel­s deviennent instables, ou peuvent provoquer des plaies. Pour Pierre Marinier, c’est un handicap de plus dans la reprise de ses activi‐ tés.

Afin d'y remédier, une équipe de soignants de Mont‐ réal lui a proposé une option. Une chirurgie novatrice qui lui permettrai­t de se débarrasse­r pour de bon de l'emboîture de sa prothèse.

L’ostéointég­ration consiste à installer dans l’os du fémur un implant métallique perma‐ nent, au bout duquel les am‐ putés peuvent simplement attacher une jambe artificiel­le.

On met un bout de métal à travers un os qui va sortir au travers de la peau et qui va permettre d'accrocher une prothèse. On se sert de ça chez les amputés pour éviter le port d'une emboîture qui est une espèce de carcan qu'on met autour de la cuisse ou de la jambe pour contenir et tenir le membre sur la pro‐ thèse. C'est le même principe qu'un implant dentaire où on implante un petit morceau de métal au travers de la gencive, puis on met une dent en céra‐ mique par-dessus, explique l’orthopédis­te Robert Tur‐ cotte, du Centre universita­ire de santé McGill.

Pierre Marinier n’a pas hé‐ sité longtemps avant d’opter pour cette chirurgie. Le Dr Turcotte l’a opéré le 10 mai dernier. Une chirurgie sans complicati­ons. Durant l'opéra‐ tion, la complicati­on la plus fréquente, c'est une fracture. Comme c'est un implant ren‐ tré sous pression dans un os qui souvent est ostéoporo‐ tique parce que les amputés n'utilisent pas beaucoup leur os pour marcher, il y a des risques de fractures. Des frac‐ tures habituelle­ment qui sont mineures, qui retardent un peu la mise en charge mais qui ne nécessiten­t pas des traitement­s très compliqués, précise le chirurgien.

Les patients doivent en‐ suite recommence­r graduelle‐ ment, sur une période de quelques mois, à mettre du poids sur leur jambe. Dans le cas de Pierre Marinier, la ré‐ adaptation est allée ronde‐ ment.

Nous l’avons retrouvé quelques semaines après son opération, au Centre de ré‐ adaptation Gingras-Lindsay, à Montréal, où l’équipe de la cli‐ nique d’ostéointég­ration su‐ pervise sa remise sur pied.

La différence avec notre rencontre à l’atelier de débos‐ selage est frappante : débar‐ rassé de son emboîture, il peut désormais en un simple clic installer sa prothèse au bout de la tige qui sort de sa jambe, plutôt que de passer une dizaine de minutes à la fixer sur son moignon.

Le personnel de la clinique vérifie l’état de la plaie autour de son implant. Une tige de métal qui traverse la peau de la cuisse en permanence, ce n’est pas banal, et c’est le prin‐ cipal inconvénie­nt de cette technique.

Compte tenu qu'il y a une ouverture entre la tige, la peau et l'os, on peut avoir des bactéries qui s'infiltrent et qui vont conduire à une infection. Dans à peu près les deux tiers des cas, l'infection est mi‐ neure, explique le Dr Turcotte.

Il peut aussi arriver que les gens, plus rarement, fassent une infection plus sérieuse, plus profonde, comme un ab‐ cès par exemple, ou que l'in‐ fection soit plus sévère et né‐ cessite des antibiotiq­ues in‐ traveineux. L'ultime infection, c'est l'infection profonde de l'os qui nécessiter­ait de retirer l'implant, mais ça, ça arrive très rarement, ajoute l’ortho‐ pédiste, qui assure n’avoir en‐ core jamais rencontré ce cas de figure.

Les soignants de la cli‐ nique profitent aussi du pas‐ sage de Pierre Marinier pour vérifier un avantage potentiel de l’ostéointég­ration : l’ostéo‐ perception. Ils déposent par terre devant lui un objet de la taille d’un petit caillou. Ap‐ puyé sur des béquilles, M. Ma‐ rinier marche alors dessus avec son pied artificiel et dé‐ couvre, médusé, qu’il en res‐ sent le relief à travers l’os de sa jambe.

C’est fou, je sens vraiment la petite roche sous la plante du pied!, s’enthousias­me-t-il.

Pour des gens qui ne sen‐ taient plus leurs pieds depuis des années, ça va leur per‐ mettre de savoir mieux

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