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Éric Duhaime pourrait devenir le député de Wendake

- Delphine Jung

Dans les rues adjacentes à la communauté huronnewen­dat de Wendake, cer‐ taines pancartes électo‐ rales sont plus nombreuse que les autres : celles d’Éric Duhaime. Dans les jardins, sur les poteaux élec‐ triques, apposées aux fe‐ nêtres… elles sont partout.

Le chef du Parti conserva‐ teur du Québec brigue un mandat dans la circonscri­p‐ tion de Chauveau et espère prendre la place du caquiste Sylvain Lévesque.

Cette circonscri­ption com‐ prend la petite enclave hu‐ ronne-wendat de Wendake.

Alexane Picard, 23 ans, étudiante à la maîtrise en droit à l’Université Laval, est membre de la communauté et elle s’intéresse beaucoup à la politique.

La jeune femme ne chôme pas en ce moment. À deux jours des célébratio­ns du 30 septembre, elle porte fière‐ ment le chandail orange et or‐ ganise un événement sur le campus.

Elle est tiraillée : doit-elle voter avec son coeur ou stra‐ tégiquemen­t? Il faut dire que la candidatur­e du chef conser‐ vateur, Éric Duhaime, l’in‐ quiète. Elle est même convaincue qu’il va gagner.

Ce gars a du contenu, il est intelligen­t et charismati­que. Il est capable de défendre des positions qui, rationnell­e‐ ment, ne se tiennent pas et ses partisans ne vérifient pas ce qu’il dit. Il a une grande ca‐ pacité de convaincre, analyset-elle.

Je trouve ça plate que quelqu’un se présente dans une circonscri­ption où il y a une communauté autoch‐ tone, alors qu’il ne nous consi‐ dère pas du tout.

Alexane Picard

Selon elle, il y a une mai‐ son à Wendake qui affiche fiè‐ rement les couleurs du Parti conservate­ur. Ça me dépasse. J’ai le goût de l’arracher ou d’écrire dessus "what the fuck!".

Je ne m’inquiète pas juste pour les Autochtone­s, mais pour toutes les minorités sexuelles, ethniques et lin‐ guistiques. Je me demande si un jour on aura notre place ou si on va retourner en ar‐ rière, laisse-t-elle tomber.

Le chef conservate­ur in‐ quiète beaucoup moins Charles-Philippe Vincent, qui travaille pour le conseil de bande. Ce jeune de 26 ans ra‐ conte qu’il aime suivre la poli‐ tique. Mais je préfère la nôtre, lance-t-il en souriant et en af‐ firmant fièrement être pro First Nation.

S'il n’est pas un grand par‐ tisan du candidat conserva‐ teur, il lui reconnaît tout de même des idées intéres‐ santes. Il pose de bonnes questions sur le privé et re‐ met en cause certaines choses, mais en dehors de ça, il a toujours bashé les Autoch‐ tones, dit-il.

Les deux jeunes rappellent d'ailleurs que, lors du débat organisé par l’Assemblée des Premières Nations QuébecLabr­ador, seuls les conserva‐ teurs n’ont pas répondu à l’in‐ vitation.

On est a pain in the ass [des emmerdeurs] pour lui, croit le jeune homme.

Steeve Gros-Louis, un commerçant de 56 ans, ne porte pas non plus Éric Du‐ haime dans son coeur.

Je n’ai pas l’impression qu’il a un intérêt pour les Pre‐ mières Nations. Je n’ai pas senti qu’il transpirai­t la récon‐ ciliation ou le rapprochem­ent. Son discours ne va pas me convaincre et il ne se mettra jamais du côté des Autoch‐ tones, car cela risque de lui faire perdre sa base électorale, estime l’homme d’affaires.

Celui qui a vu son restau‐ rant, la Sagamité, en proie à un violent incendie en 2018, n’hésite pas à dire que son vote ira plutôt au candidat ca‐ quiste sortant, Sylvain Lé‐ vesque.

Il a été présent. Je ne re‐ garde pas le parti politique, mais l’homme, dit-il en recon‐ naissant que François Legault n’a pas été parfait avec les Au‐ tochtones. Oui, il y a encore du travail à faire, mais je crois qu’il a réussi à placer les bonnes personnes là où il faut, comme Ian Lafrenière [le ministre responsabl­e des Af‐ faires autochtone­s], poursuitil.

Fernande Gros-Louis penche aussi pour la CAQ, malgré sa position sur le ra‐ cisme systémique. François Legault commence à changer d’idée. Je veux l’essayer encore quatre ans et si ça ne marche pas, on ira voir ailleurs, ditelle.

L’aînée indique aussi ne pas détester Éric Duhaime, mais elle ne le voit pas comme premier ministre pour le moment.

Pas question pour Alexane de pencher de ce côté. Elle ne digère pas la position de la CAQ sur le racisme systé‐ mique.

La position de François Le‐ gault à ce sujet m’agace. Il ga‐ gnerait tellement à dire que ça existe, plaide de son côté Steeve Gros-Louis.

Voter ou ne pas voter?

Le vote de tous ces Hu‐ rons-Wendat aura-t-il une in‐ cidence sur le résultat?

Les derniers chiffres in‐ diquent que très peu d’Au‐ tochtones votent aux élec‐ tions provincial­es. Alexane, elle, a toujours voté, au fédé‐ ral comme au provincial. Ce qui n’est pas le cas de son grand-père, qui a toujours dit : c’est pas mon gouverne‐ ment.

Elle estime exercer [son] pouvoir de citoyenne.

Plus les Autochtone­s votent, plus notre voix comp‐ tera et on sera pris en consi‐ dération.

Elle raconte que même sa mère, qui n’a pas voté depuis longtemps, envisage de faire entendre sa voix pour contrer le chef conservate­ur.

Fernande Gros-Louis croit que, cette fois, plus d’Autoch‐ tones s’exprimeron­t dans les urnes, car il y a beaucoup de sujets qui nous concernent.

Ce n’est pas l’avis de Charles-Philippe. On repré‐ sente un poids politique de 2 %... Ce qui explique sûre‐ ment le désintérêt des partis politiques à notre encontre, dit-il.

Le jeune homme confie qu’il n’a jamais voté, mais qu'il considère que cette année est différente. Malheureus­ement, on n’est pas encore un conseil de bande autodéterm­iné et on le réalise de plus en plus, notamment à travers les en‐ jeux territoria­ux. On négocie encore avec le gouverneme­nt et pas entre nous, entre na‐ tions, poursuit-il.

Thèmes de prédilecti­on

Tous ont évidemment des sujets qui leur tiennent plus à coeur que d’autres. Fernande Gros-Louis, par exemple, est très attachée à la santé. On n’en parle pas beaucoup, je trouve. J’aimerais qu’on parle plus de Joyce. Cette histoire m’a fait une peine épouvan‐ table, dit-elle à propos du dé‐ cès de cette femme atika‐ mekw de 36 ans à l'hôpital de Joliette sous les insultes ra‐ cistes d'une infirmière.

Mais c’est surtout la ques‐ tion du territoire qui est sur toutes les lèvres. Le sujet est d’autant plus actuel que Fran‐ çois Legault vient d’annoncer un traité historique avec les Innus. Il viserait à reconnaîtr­e le territoire des Innus (Nitassi‐ nan) qui chevauche cepen‐ dant celui des Hurons-Wen‐ dat (Nionwentsï­o).

Charles-Philippe reconnaît des tensions entre les deux nations, mais souhaite que les deux parties trouvent une en‐ tente pour avancer ensemble.

Le jeune homme garde une certaine réserve, car le su‐ jet est brûlant. Il préfère insis‐ ter sur d’autres questions, no‐ tamment économique­s.

Alexane, pour sa part, n’hésite pas à donner son opi‐ nion.

Pour elle, ces conflits ac‐ tuels sont liés au colonialis­me qui tente depuis longtemps d’imposer une certaine vision d’un monde fait de frontières et de limites et qui ne corres‐ pond pas à celle des Autoch‐ tones.

Elle demande surtout à ce que chaque député élu lise les rapports réalisés sur les Au‐ tochtones, pour comprendre vraiment les enjeux qui les touchent. Ça serait quand même pas pire…, conclut-elle.

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