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La loi prévient la violence contre les prostituée­s, selon le gouverneme­nt fédéral

- Jean-Philippe Nadeau

À Toronto, le gouverne‐ ment fédéral affirme que la loi en matière de prosti‐ tution ne met pas en dan‐ ger les prostituée­s, puis‐ qu'elles sont immunisés contre toute poursuite cri‐ minelle depuis l'adoption du modèle scandinave en 2014. Un groupe de tra‐ vailleurs du sexe soutient au contraire que la législa‐ tion enfreint leurs droits à la sécurité et aux libertés d'expression et d'associa‐ tion, ce qui rend leur tra‐ vail plus dangereux.

Au deuxième jour des au‐ diences sur la constituti­onna‐ lité de la loi sur la prostituti­on, les avocats du gouverneme­nt fédéral reconnaiss­ent que la loi est sujette à l'interpréta‐ tion, que l'enjeu est complexe et qu'il faut l'interpréte­r dans son ensemble et non provi‐ sion par provision.

Les procureurs s'appuient largement sur la jurispru‐ dence que la Cour d'appel de l'Ontario a créée en débou‐ tant N.S., un travailleu­r du sexe de Newmarket qu'on ne peut identifier.

Le plus haut tribunal de la province avait statué que les trois articles contestés de la loi fédérale en matière de prostituti­on étaient bien constituti­onnels.

Ces articles portent sur l'offre publicitai­re de services sexuels, l'obtention d’un avantage pécuniaire contre de tels services et la participa‐ tion d'une tierce partie à des activités liées à la prostituti­on.

Me Joseph Cheng explique que la Loi sur la protection des collectivi­tés et des per‐ sonnes victimes d’exploita‐ tion permet d'immuniser les prostituée­s contre des pour‐ suites criminelle­s et de pénali‐ ser à leur place les clients.

Il souligne que le modèle dit scandinave est une ré‐ ponse du gouverneme­nt de 2014 à l'arrêt Bedford de la Cour suprême du Canada, qui avait statué que la loi anté‐ rieure était bien anticonsti­tu‐ tionnelle.

Aujourd'hui, la loi crimina‐ lise l'achat de services sexuels plutôt que l'offre de tels ser‐ vices, si bien que ce sont les clients qui sont poursuivis. Le proxénétis­me et toute publi‐ cité de services sexuels sont également prohibés.

Me Cheng explique que plusieurs versions de ce mo‐ dèle ont, depuis sa création en Suède, été intégrées à la loi sur la prostituti­on en Nor‐ vège, en Islande, en Irlande et en France.

Seuls la Nouvelle-Zélande et certains États d'Australie ont décriminal­isé la prostitu‐ tion sur leur territoire, dit-il.

Il ajoute que les Pays-Bas ont plutôt choisi la voie de la légalisati­on, qui permet de ré‐ guler les activités entourant la prostituti­on en en faisant un métier réglementé comme les autres.

Son collègue, Michael Mor‐ ris, rappelle que certaines pro‐ visions de la législatio­n sont des mesures de sécurité, qui permettent de limiter les acti‐ vités des travailleu­rs du sexe.

Les deux procureurs ex‐ pliquent que la loi doit rendre les communauté­s plus sûres en protégeant les victimes et les collectivi­tés contre ce qu'ils qualifient de tort social causé par la prostituti­on.

Ils affirment que la loi considère que les travailleu­rs du sexe sont des victimes, qu'ils sont vulnérable­s et qu'il faut briser la demande de ser‐ vices sexuels pour mieux les protéger.

Les femmes et les filles sont, selon eux, touchées de façon négative et dispropor‐ tionnée par le commerce du sexe.

Les avocats du gouverne‐ ment soutiennen­t par ailleurs que la prostituti­on perpétue des inégalités sociales et ne fait que marginalis­er davan‐ tage des personnes comme les Autochtone­s par exemple.

La loi ne cause toutefois aucun tort ni aucun préjudice aux travailleu­rs du sexe, dé‐ clare Me Cheng qui précise qu'il existe en revanche des dangers associés à l'achat de services sexuels, comme la violence et l'exploitati­on.

Les travailleu­rs du sexe ne peuvent toutefois évoquer leur droit à la sécurité inscrit à la Charte, puisque certaines de leurs activités demeurent illégales, comme la publicité ou l'embauche de tierces par‐ ties comme des gardes du corps.

L'interdicti­on de la publici‐ té doit par exemple per‐ mettre, selon eux, de réduire la sollicitat­ion de tels services et non rendre le travail des prostituée­s plus sécuritair­e.

Il n'existe en outre aucun refuge sécuritair­e pour les tra‐ vailleurs du sexe, ni dans la rue ni dans une maison close.

Les procureurs ajoutent que le fait de tirer profit de la demande de services sexuels présente en outre un risque d’exploitati­on trop élevé pour les prostituée­s.

Ils précisent que la prosti‐ tution n'est en fait qu'une forme d'exploitati­on et que l'objectif de la législatio­n est d'en décourager si possible la pratique.

La loi prévoit d'ailleurs que le gouverneme­nt s'engage à offrir à des organismes com‐ munautaire­s 20 millions de dollars sur cinq ans pour en‐ courager les travailleu­rs du sexe à sortir de leur situation.

À ce sujet, Me Cheng a d'ailleurs voulu soumettre, en vain, au juge un rapport du ministère fédéral de la Justice sur les compilatio­ns de don‐ nées concernant ces aides fi‐ nancières.

En vertu de la loi, ces orga‐ nismes doivent soumettre au ministère une étude faisant état de la façon dont ils ont utilisé cet argent pour détour‐ ner les travailleu­rs du sexe de leur commerce.

L'avocat de l'Alliance, Mi‐ chael Rosenburg, s'y est tou‐ tefois opposé en faisant valoir que ce rapport était incom‐ plet dans la mesure où les agences qui soutiennen­t les prostituée­s n'ont pu y présen‐ ter leurs avis sur l'insécurité de la profession.

Me Cheng a toutefois réus‐ si à faire accepter en preuve le rapport du Comité perma‐ nent de la justice et des droits de la personne sur la préven‐ tion des risques dans l'indus‐ trie canadienne du sexe, qui date de juin 2022.

Le procureur explique que rien n'indique dans ce rapport que la loi actuelle est anti‐ constituti­onnelle. Il suggère que le commerce du sexe est toujours matière à un débat polarisé et que le gouverne‐ ment continue de travailler sur la question.

Des organismes commu‐ nautaires, comme la Maison Stella de Montréal, avaient participé aux consultati­ons du comité, ainsi que d'autres organismes qui étaient en re‐ vanche contre la décriminal­i‐ sation de la prostituti­on.

Dans cette cause, les avo‐ cats des travailleu­rs du sexe (l'Alliance et 6 plaignante­s in‐ dividuelle­s) affirment que la loi est contre-productive, parce qu'elle favorise la stig‐ matisation des prostituée­s et encourage la violence à leur encontre plutôt que d'en ré‐ duire les risques.

Ils ajoutent que la législa‐ tion est contradict­oire, puis‐ qu'elle immunise les prosti‐ tuées contre des poursuites, mais criminalis­e dans le même temps certaines de leurs activités.

Selon eux, les travailleu­rs du sexe ont tout autant le droit d'être protégés par la loi, peu importe que leur occupa‐ tion soit illégale ou non. Or, rien ne les met à l'abri de la violence de leurs clients.

La directrice générale de la Maison Stella, Sandra Wesley, affirme que le gouverneme­nt ne se préoccupe pas en fait du sort des travailleu­rs du sexe contrairem­ent à ce que ses avocats avancent, parce que leurs activités restent illé‐ gales malgré l'adoption du modèle scandinave.

Les plaidoirie­s ont été ajournées à jeudi.

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