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Le prix Nobel de la paix, un coup de griffe contre Poutine?

- François Brousseau

Un prix Nobel de la paix sur fond de guerre. Des lau‐ réats venant de pays enne‐ mis : un empire perdu qui veut se reconstitu­er, une petite dictature voisine et leur ennemi commun, en‐ vahi et dépecé. Deux orga‐ nisations et un individu qui appartienn­ent tous au même espace géogra‐ phique : Russie-BélarusUkr­aine – le cercle mo‐ derne de l’enfer dans l’hé‐ misphère Nord.

L’organisati­on Memorial, interdite par le régime russe, le Centre pour les libertés ci‐ viles, organisme ukrainien qui traque les crimes de guerre, et un opposant du Bélarus em‐ prisonné se partagent donc ce prix Nobel 2022.

Est-ce un coup de griffe vo‐ lontaire contre l’autocrate de Moscou, le jour de ses 70 ans?

Les responsabl­es du comi‐ té Nobel, à qui on a posé la question le 7 octobre au ma‐ tin, ont répondu que le prix Nobel de la paix n’est pas contre [quelqu’un], mais pour [des individus, des groupes, une oeuvre exemplaire, des idées].

En l’occurrence, selon la déclaratio­n justificat­ive du co‐ mité, on a voulu souligner la lutte pour les droits et liber‐ tés, la démocratie, la coexis‐ tence pacifique, ainsi que le rôle capital de la société civile dans cette région du monde.

Contre la vision impéria‐ liste du Kremlin

C’est un prix Nobel dont la thématique est directemen­t liée à l’invasion russe que vit l’Ukraine depuis bientôt huit mois, et que vivent, par rico‐ chet, l’Europe et le reste du monde, angoissés par la me‐ nace nucléaire agitée par l’homme de Moscou. Une me‐ nace prise au sérieux à Wa‐ shington, où le président Joe Biden avait évoqué la veille le risque d’une apocalypse nu‐ cléaire.

Ces lauréats russe, biélo‐ russe et ukrainien ont en commun leur engagement pour les droits et libertés et leur refus de la vision impéria‐ liste du Kremlin.

Alors que certains prix No‐ bel vont chercher des causes oubliées ou n’ayant qu’un rap‐ port indirect avec la paix, ce‐ lui-ci est en prise sur l’actualité la plus chaude, en cette année de grande violence en Europe. Une récompense qui semble faire mouche par son à-pro‐ pos et par son sens apparent de l’équilibre… mais tous ne sont pas d’accord sur ce point.

Les libertés civiles en Ukraine

Côté ukrainien, qu’est-ce que ce Tsentr hromadians­kikh svobod [Centre pour les liber‐ tés civiles] aujourd’hui déco‐ ré? En quoi mérite-t-il le prix Nobel?

Il a été fondé à Kiev en 2007, bien avant les événe‐ ments actuels et même avant 2014, lorsque la Russie et ses sympathisa­nts [ou complices] en Ukraine avaient arraché à Kiev des territoire­s dans le Donbass et en Crimée, dans un prélude à la guerre qui fait rage.

Au départ, le Centre s’occu‐ pait de droits et libertés et pouvait se trouver en contra‐ diction avec le gouverneme­nt ukrainien – notamment celui, prorusse, de l’ancien pré‐ sident Viktor Ianoukovit­ch (2010-2014), dont il surveillai­t les actions, les législatio­ns, la répression… toujours à l’aune des droits et libertés et de l’éducation à la démocratie. Il lui était arrivé aussi d’égrati‐ gner son prédécesse­ur Viktor Iouchtchen­ko, pro-occidental.

Mais le groupe a pris son véritable envol au moment du siège du Maïdan, au centre de Kiev à l’hiver 2013-2014, puis plus tard en 2014 avec les événements de Crimée et du Donbass. En enregistra­nt scrupuleus­ement toutes les preuves de répression, avec l’idée d’administre­r un jour la justice contre les coupables d’abus et d’exactions, sans égard à leur camp.

Le rôle du Centre s’est am‐ plifié encore en 2022 après l’invasion par la Russie et la kyrielle de crimes de guerre qui s’en est suivie.

La responsabl­e de ce centre s’appelle Oleksandra Matviïtcho­uk. L’un de ses ob‐ jectifs déclarés, son rêve, se‐ rait d’amener un jour devant un tribunal internatio­nal, avec des preuves en béton, des personnage­s comme les pré‐ sidents Alexandre Loukachen‐ ko [Bélarus] et Vladimir Pou‐ tine. Un souhait qui paraît en‐ core lointain, comme l’a re‐ connu d’ailleurs la présidente du comité Nobel.

Russie, la mémoire me‐ nacée

L’organisati­on Memorial, pour sa part, est interdite de‐ puis décembre dernier par la justice russe.

Elle avait été fondée à Moscou en 1989, dans la grande période de la glasnost et de la perestroïk­a, alors que le vent de la liberté soufflait grâce au président Mikhaïl Gorbatchev. Organisati­on fondée entre autres par le physicien Andreï Sakharov, avec le soutien de Gorbat‐ chev… eux-mêmes Prix Nobel de la paix.

À la base, c’était une orga‐ nisation vouée d’abord à la mémoire des victimes du pouvoir en URSS, visant à

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