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25 ans de succès vidéoludiq­ues pour Ubisoft Montréal

- Stéphanie Dupuis

Lorsque Christophe De‐ rennes, aujourd’hui direc‐ teur général d’Ubisoft Montréal, s’est installé avec sa famille dans la mé‐ tropole québécoise en 1997, il était loin de se dou‐ ter que, 25 ans plus tard, le studio du quartier Mile-End deviendrai­t le plus impor‐ tant au monde, fort de ses 4000 personnes employées.

Au départ, la petite équipe de quelque 50 membres ca‐ ressait le rêve de quadrupler sa taille en cinq ans. La crois‐ sance s'est avérée bien au-de‐ là des espérances. Au bout de deux ans, le studio comptait 400 [personnes], se rappelle Christophe Derennes, qui a été aux premières loges de cette ascension fulgurante.

À la fin des années 90, De‐ rennes était le responsabl­e de la mise en place du studio français à Montréal, avec sa collègue Sabine Hamelin, au‐ jourd’hui de retour en Europe. Le duo a effectué plusieurs al‐ lers-retours entre la France et le Québec, à la recherche des bureaux parfaits où s’installer. Le choix s’est arrêté sur un quartier en pleine efferves‐ cence, le Mile-End, plus préci‐ sément dans l’ancienne usine de textile John W. Peck, qui ac‐ cueille toujours les locaux d’Ubisoft.

Tout a commencé au cin‐ quième étage de l’édifice his‐ torique, où des espaces étaient déjà loués à des entre‐ prises technologi­ques. Enchaî‐ nant les succès, l’équipe s’est vite sentie à l’étroit dans les locaux, poussant Ubisoft à s’installer également à d’autres étages, pour finale‐ ment occuper l’ensemble de la bâtisse.

Les bons coups du studio étaient coutumes dès ses dé‐ buts, à commencer avec le jeu Tom Clancy’s Splinter Cell, sorti en 2002, puis Prince of Persia: Sands of Time l’année suivante. En 2007, c’est la consécrati­on avec le lance‐ ment de la triomphant­e série Assassin’s Creed. Far Cry, Watch Dogs et Rainbow Six fi‐ gurent aussi parmi la grande liste des succès qui portent la signature du studio montréa‐ lais.

Montréal, un choix stra‐ tégique

En 1997, Montréal était un choix judicieux pour la pre‐ mière percée en Amérique du Nord d’Ubisoft.

Il y avait certes des incita‐ tifs financiers, comme les sub‐ ventions accordées par Ber‐ nard Landry, qui rêvait de faire du Québec un pôle mon‐ dial de l’industrie vidéolu‐ dique – mission accomplie 25 ans plus tard, la province figu‐ rant au troisième rang en la matière dans le monde.

À Montréal, il y avait cette énergie particuliè­re, [...] une riche diversité [...] et cette en‐ vie insatiable [de faire sa marque] dans l’industrie du jeu vidéo.

Christophe Derennes, di‐ recteur général d’Ubisoft Montréal

La ville aux 100 clochers était aussi un choix straté‐ gique pour Ubisoft : sa proxi‐ mité avec les États-Unis, un marché florissant, fait rougir la concurrenc­e, et c’est sans compter le fait qu’on y parle la même langue qu’en France. C’était le meilleur des deux mondes, estime le DG.

La province québécoise pouvait aussi compter sur plusieurs écoles d’ingénierie, dont l’Université de Sher‐ brooke, Polytechni­que Mont‐ réal et l’École de technologi­e supérieure (ÉTS).

Il y avait ici un hub univer‐ sitaire, un bassin d’étudiants avec une base solide, et pas qu’en développem­ent, aussi en art et en design. Nous vou‐ lions mettre l’accent sur ça [dans nos jeux].

Christophe Derennes Rappelons qu’à la fin des années 90, Internet faisait son entrée dans les foyers québé‐ cois et la 3D était en pleine as‐ cension, notamment avec les consoles Nintendo 64 et PlayStatio­n. La conception de jeux vidéo n’était pas encore enseignée dans les écoles.

Ébranler les colonnes du temple

Même s’il est présent de‐ puis les balbutieme­nts mont‐ réalais d’Ubisoft – à l’excep‐ tion d’un passage de deux ans au tournant du millénaire à la direction de Gameloft Mont‐ réal -- Christophe Derennes n’a pris la tête du studio qu'en 2020.

C’est lui qui a eu la lourde tâche de reprendre les rênes de l’entreprise après que des allégation­s de climat toxique et de sexisme ont fait tomber des têtes au sein du bureau, dont celle de Yannis Mallat, l’ancien directeur du studio.

Ça n’aurait jamais dû se passer, et on fait tout pour éviter que ça se reproduise. Christophe Derennes Quand je suis arrivé en poste, j’ai demandé à rencon‐ trer toutes les équipes, afin de comprendre ce qui pouvait être fait pour améliorer le [cli‐ mat de travail], raconte-t-il.

Parmi les récentes initia‐ tives, le directeur a embauché une ombudsman, a mis en place un processus de dénon‐ ciation indépendan­t, a établi un code de conduite et a créé un ensemble de formations à suivre par les gestionnai­res.

Je pense qu’on a réussi [à se relever de la crise], et [ces mesures] sont là pour rester. Christophe Derennes Le directeur admet égale‐ ment s’être tourné vers ses enfants – aujourd’hui âgés de 26 et 29 ans – afin de mieux comprendre les enjeux liés à la diversité et à l’inclusion.

J’ai compris que la diversi‐ té, par exemple, ce n’est pas juste un sujet, c’est eux. Ça fait partie des gens, de ce qu’ils sont en tant que per‐ sonne, reconnaît-il.

Les efforts du DG se trans‐ posent dans les jeux vidéo eux-mêmes. Par exemple, le jeu de tir Rainbow Six Siege a intégré ces deux dernières an‐ nées des agents et agentes is‐ sues de communauté­s margi‐ nalisées, une idée qui vient de l’équipe.

Le premier personnage au‐ tochtone, la médecin Thun‐ derbird, a fait son entrée dans le champ de bataille en 2021, suivi de Florès, le premier agent homosexuel. Le per‐ sonnage d’Osa a pour sa part brisé un plafond de verre en étant la première opératrice transgenre dans un jeu vidéo AAA (une superprodu­ction). La dernière recrue, Sens, est non binaire.

Et ça continue. On ne peut pas se reposer sur nos lau‐ riers, insiste Christophe De‐ rennes.

Ubisoft Montréal souhaite aussi attirer plus de dévelop‐ peuses dans ses rangs, un tra‐ vail de longue haleine qui se fait dès la petite école en ini‐ tiant les jeunes aux métiers du jeu vidéo. En contexte de pandémie et de pénurie de main-d'oeuvre, le défi est d'au‐ tant plus grand.

La nouvelle réalité

Du jour au lendemain, on est passé de 4000 au bureau à 0, pointe Derennes.

Bien que le studio estime s’être bien adapté à cette nou‐ velle réalité du travail, des sor‐ ties de jeux vidéo ont tout de même dû être reportées, dont celle de Rainbow Six Ex‐ traction, lancé finalement en janvier 2022. Cela s’ajoute à la jonglerie du recrutemen­t, par‐ ticulièrem­ent difficile en contexte de pénurie de per‐ sonnel.

L’entreprise s’en est tout de même bien sortie, selon Christophe Derennes, qui dit avoir recruté 700 personnes l’année dernière, un nombre record.

Maintenant que la pandé‐ mie s’essouffle et que le re‐ tour dans les bureaux est en‐ tamé, l’heure est à l’adapta‐ tion au travail hybride. Par ailleurs, le fameux cinquième étage où tout a commencé pour Ubisoft Montréal a été rénové en ce sens, afin de rappeler l’ambiance de la mai‐ son. On peut y trouver no‐ tamment un téléviseur géant, un sofa et des consoles de jeux vidéo, et des bureaux qui ne sont pas assignés à des membres de l’équipe en parti‐ culier.

Ubisoft a également plan‐ ché sur de nombreux incita‐ tifs pour accroître la rétention de personnel, dont l’ajout de semaines de congé et un meilleur équilibre travail-fa‐

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