Les robots remplaceront-ils les artistes?
Si certains internautes et artistes applaudissent l’uti‐ lisation de l'intelligence ar‐ tificielle dans la création d'oeuvres d'art, d’autres craignent qu'elle ne soit que le précurseur d’une dé‐ rive technologique qui per‐ mettra aux robots de rem‐ placer les artistes. Seraitce la fin de l’art comme nous le connaissons?
En septembre dernier, Ja‐ son Allen, un concepteur de jeux vidéo américain, a rem‐ porté le premier prix de la ca‐ tégorie numérique d’une compétition d’art au Colora‐ do, grâce à une oeuvre intitu‐ lée Théâtre d’opéra spatial.
L'oeuvre a été créée à partir du logiciel Midjourney, un ou‐ til d’intelligence artificielle (IA) capable de générer des images à partir d’une série de mots clés suggérés par l’utili‐ sateur.
L'annonce de la victoire fait couler beaucoup d'encre et génère un véritable débat au sujet du rôle de l’intelli‐ gence artificielle dans le do‐ maine des arts.
Progrès ou risque de dé‐ rives?
Le gars a été smart
d’utili‐ ser l’intelligence artificielle, lance Vincent Isabel, un ar‐ tiste et étudiant à l’Université d’arts et design Emily Carr (ECU), à Vancouver.
Avec l’intelligence artifi‐ cielle [...], il y a un risque qu’il y ait une qualité d’art plus éle‐ vée, pense pour sa part Sean Arden, un artiste et assistant de recherche à l’ECU, qui se questionne sur la pertinence de mieux définir les catégo‐ ries dans les compétitions d’art.
Je suis peut-être plus conservateur, mais je trouve ça problématique, affirme Ré‐ mi Castonguay, commissaire des collections au départe‐ ment d’histoire de l'art à l’Uni‐ versité de la Colombie-Britan‐ nique (UBC), qui perçoit les risques reliés à une accéléra‐ tion de la commercialisation de l’art.
Quelle place pour l’ar‐ tiste?
Selon Rémi Castonguay, l’idée de transformer l’art en bien commercial et d’utiliser l’intelligence artificielle comme moyen d’augmenter sa production pourrait rapi‐ dement devenir une menace à la rareté de l’art.
Peut-être que tes 5000 oeuvres d’art vont être un peu différentes d’une à l’autre, mais il n’y a pas un cer‐ veau humain qui a vraiment pensé à chaque oeuvre comme une oeuvre indivi‐ duelle, explique-t-il.
Il n’y a pas la sensibilité de l’artiste qui vient derrière, dé‐
plore Vincent Isabel. Ce der‐ nier craint que l’intelligence artificielle engendre une limi‐ tation de l’imagination hu‐ maine et augmente notre dé‐ pendance aux technologies.
L’artiste reconnaît toute‐ fois certains bénéfices à l’utili‐ sation d’un tel outil, pour sim‐ plifier le processus de créa‐ tion et le rendre plus acces‐ sible à tous. Ça permet à n’im‐ porte qui de s’exprimer et d’avoir une représentation di‐ recte et visuelle de ton imagi‐ nation. Ça, je trouve ça vrai‐ ment cool.
Une vision que partage également Sean Arden, qui croit que l’IA peut être béné‐ fique, autant dans le proces‐ sus créatif individuel que dans la communication d’idées créatives entre deux per‐ sonnes. Ça peut être un outil qui est utilisé pour améliorer la discussion entre un client et un artiste, par exemple.
Il rappelle que sans les ar‐ tistes, les oeuvres créées de manière générative n’existe‐ raient pas.
La machine n’a pas créé ça par elle-même. Elle a regardé des milliards d’images qui ont été créées par les humains, partout. C’est comme un mi‐ roir de la culture globale.
Sean Arden, assistant de recherche à l'Université d'arts et design Emily Carr, à Van‐ couver.
Différencier l’art tradi‐ tionnel de l'art IA
Vincent Isabel pense que certains artistes pourraient opter pour la transparence en divulguant l’utilisation de l'in‐ telligence artificielle dans leur processus créatif. Il n’y a pas de honte à dire que tu as col‐ laboré avec une intelligence artificielle, comme quelqu’un utilise l’acrylique, croit-il.
Il ne croit toutefois pas que les artistes devraient être tenus de rendre leur proces‐ sus créatif public. Tu n'es pas obligé non plus. C’est le choix de l’artiste au final, poursuit-il, en précisant que l'artiste de‐ vrait pouvoir conserver un certain mystère, comme dans d’autres types de création.
L'artiste ajoute toutefois qu’il est possible pour lui de voir une différence entre une oeuvre créée de manière tradi‐ tionnelle et l’art génératif. En ce moment, sur Instagram, je suis abonné à plusieurs ar‐ tistes, et je peux voir quand c’est l’intelligence artificielle parce qu’il y a un style ou une façon de présenter qui est dif‐ férente.
Sean Arden partage son expérience. Il croit aussi que les gens seront de plus en plus capables de faire la dis‐ tinction entre les deux. C’est quand on ne sera pas capable de faire la différence qu’on va voir les choses les plus inté‐ ressantes.
L’avenir de l’IA dans les arts
Selon Sean Arden, la venue de l’intelligence artificielle dans le domaine des arts transformera le domaine et les emplois qui y sont reliés. Ça va enlever des jobs, mais ça va aussi créer beaucoup d’autres jobs.
Vincent Isabel est quant à lui impatient de voir com‐ ment la communauté artis‐ tique saura s’adapter à cette nouvelle réalité. Si vraiment l’intelligence artificielle rem‐ place l’artiste, ou l’illustrateur, je me demande comment l’illustrateur va réagir. Les ré‐ actions risquent d’être inté‐ ressantes.
Qu’est-ce que ça veut dire pour l’art, quand la rareté est éliminée? se questionne Rémi Castonguay. Il n’y a pas de ré‐ ponse facile…, conclut-il.