Gorillaz : animation virtuelle et ferveur organique
Les enfants adorent les films d’animation et plu‐ sieurs vont en regarder avec leurs parents lors de la longue fin de semaine de l’Action de grâce. Quant aux adultes qui aiment l’animation et la musique, ma foi, certains d’entre eux étaient au Centre Bell, samedi soir, pour le concert de Gorillaz.
Je ne sais trop si Damon Al‐ barn et Jamie Hewlett ont cru que leur création commune mêlant musique et person‐ nages animés allait avoir une telle pérennité, mais il faut ad‐ mettre que ça fonctionne en‐ core comme n’en ont pas douté une seconde les 9500 spectateurs complète‐ ment survoltés.
Pensez-y… Mettre sur pied un groupe virtuel avec des personnages animés nommés 2-D (chant), Murdoc (basse), Noodle (guitare), Russel (bat‐ terie) et faire des tournées avec de vrais musiciens qui jouent en synchro avec les personnages? Novateur au possible. Mais ça n’allait durer qu’un temps, n’est-ce pas?
Nenni. Ça fait plus de vingt ans et sept albums studio que ça dure, le huitième, Craker Is‐ land, étant attendu en février. En définitive, Gorillaz aura dans quelques mois autant de disques studio que Blur, le premier grand groupe de Al‐ barn, né grosso modo dix ans plus tôt. Pas banal.
Avec Gorillaz, la part d’élé‐ ments visuels est largement supérieure à celle utilisée par ses contemporains. Une télé‐ vision d’un autre âge apparaît sur l’écran géant dès l’extinc‐ tion des feux et on voit alors défiler des images d’actualité de toutes les époques parmi lesquelles sont insérées celles des membres du groupe. On nous apprend que nous syn‐ tonisions The Static Channel, puis Albarn, ses musiciens et ses choristes (12 en tout) s’amènent sur scène quand un immense Bonjour appa‐ raît. Des Britanniques qui nous saluent en français. La classe.
D’entrée de jeu, Albarn laisse tomber sa veste et il se transforme en chanteur, gui‐ tariste et maître de cérémonie pour M1 A1 qui nous télé‐ porte instantanément en 2001, lors de la parution de l’homonyme Gorillaz. En dépit d’un faux départ, Last Living Souls mettra immédiatement le feu à l’aréna.
Albarn, en regardant les spectateurs des premières rangées dans les yeux, chante Are we the last living souls? avec une ferveur que je n’ai ja‐ mais vue. En 2018, lors du der‐ nier passage du collectif, cette phrase pouvait être prise au second degré. Après une pan‐ démie qui a tué des millions de personnes et qui a boule‐ versé le monde comme ja‐ mais, ça prenait un tout autre sens et les spectateurs l’ont bien senti.
La première demi-heure du concert avait des allures de rappel, tellement Albarn a constamment mis la pédale au plancher. Bains de foule durant Tranz - quand on a vu les personnages de Gorillaz sur l’écran pour la première fois – et pendant 19-2000, groovy et électro, tout à la fois. Complètement habité durant la pulsion irrésistible de White Light, Albarn a bou‐ clé Rhinestone Eyes en l’inter‐ prétant à genoux.
Il y a des groupes qui ont une section de cuivres. Go‐ rillaz mise sur les choristes. Pas deux ou trois, comme la plupart des artistes, mais rien de moins que cinq. Avec les spectateurs qui battaient la mesure, les choristes ont joli‐ ment coloré Every Planet We Reached Is Dead qui n’est pourtant pas une chanson jo‐ jo. N’empêche, ça préparait ef‐ ficacement Glitter Freeze et sa puissante rythmique mar‐ telée sur fond de clavier au moment où un trois-mâts en animation tente de garder les flots.
Tournée des grands suc‐ cès
D’emblée, Albarn et Hew‐ lett on fait preuve d’audace quand ils ont commencé à mettre sur pied ce qui allait être Gorillaz dès 1998. Près de 25 ans plus tard, avec un nou‐ vel album à paraître dans quelques mois, s’il y avait une chose à laquelle je ne m’atten‐ dais pas, c’était à une tournée qui allait ressembler à un en‐ chaînement de grands succès.
Plus de la moitié des chan‐ sons interprétées étaient ti‐ rées de Gorillaz (2001) et de Demon Days (2005), l’indiscu‐ table disque-phare (pas moins de neuf titres…). Cela dit, entendons-nous, per‐ sonne ne va se plaindre, moi le premier… Rayon nouveau‐ tés, nous avons eu droit à la chanson-titre de l’album à ve‐ nir (Craker Island) et le clip déjà produit – qui met aussi en vedette Thundercat. Convaincant.
Si ce clip nous a permis de voir les plus récentes versions animées du quatuor, les spec‐ tateurs ont eu l’occasion de revoir de plus anciennes ver‐ sions vu qu’une foule de vi‐ déos d’antan ont pu être re‐ vus. Le support visuel durant On Melancholly Hill (sur et sous la mer), El Manana (la destruction de l’îlot flottant dans le ciel par des avions) et Stylo (la course poursuite avec Bruce Willis), notam‐ ment, était le même que lors des précédentes tournées.
Ça ne gâche pas une se‐ conde le plaisir, mais à ce stade, la perception d’un spectateur qui voyait Gorillaz pour la première fois n’est pas la même que celui qui les a vus plusieurs fois. Lors de leur passage au Centre Bell en 2010, je me disais qu’il fallait que je cesse de regarder l’écran, tellement j’étais subju‐ gué. C’était moins vrai en 2018 et encore moins hier soir. Néanmoins, à en juger par l’accueil délirant de cette foule qu’Albarn a désignée comme étant la meilleure qu’on a eue en Amérique du Nord - j’ai tendance à le croire -, il y avait vraisemblablement peu d’amateurs qui en étaient à leur premier tour de piste avec Gorillaz.
Les invités
Dans un concert de Go‐ rillaz, on partage tout. Même le devant de la scène. Albarn ne se fait pas prier pour céder le plancher à l’une de ses cho‐ ristes ou à un invité. Durant la toujours pertinente Kids With Guns, Michelle Ndegwa a pris l’avant-scène, ce que Rebecca Freckleton et Petra Luke on fait durant l’explosive Dare! Mais parfois, la cavalerie ar‐ rive d’ailleurs.
Les gars de Earthgang, qui a assuré la première partie, sont venus faire la fête pour Opium. Bootie Brown s’est dé‐ chaîné pendant Dirty Harry, New Gold et Stylo. Grosse ré‐ action, mais peut-être quand même un cran en dessous de Feel Good Inc., qui a donné lieu à une collaboration de