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Le prix de la conquête des Amériques

- Isabelle Montpetit

À la suite de l'occupation de l'Amérique par les Euro‐ péens, environ 90 % de la population autochtone a été décimée par les mala‐ dies, le travail forcé, les dé‐ placements de population, les guerres et la famine. C’est ce que démontrent les auteurs du livre Le gé‐

nocide des Amériques - Ré‐ sistance et survivance des peuples autochtone­s,

d’abord publié en portugais et qui sort ces jours-ci en français au Québec.

Lorsqu’ils ont appris cette statistiqu­e, le coopérant et docteur en sciences sociales québécois Marcel Grondin et la sociologue et éducatrice populaire brésilienn­e Moema Viezzer ont été abasourdis de découvrir qu’ils ignoraient l’ampleur du désastre engen‐ dré par la découverte du Nou‐ veau-Monde.

On parle encore de "dé‐ couverte", alors que le terri‐ toire était habité de l’Alaska à la Patagonie, dénonce Moe‐ ma Viezzer, jointe au télé‐ phone à Toledo, au Brésil, où vivent les deux auteurs. Elle ajoute que tous les Autoch‐ tones du continent ont été appelés Indiens en raison de l’erreur de Christophe Co‐ lomb, qui croyait arriver en Inde. Une façon de balayer les nombreuses nations et cultures qui existaient alors et qui avaient leurs propres noms, souligne-t-elle.

À partir d’un éventail de sources, les auteurs ont com‐ pilé des statistiqu­es sur la mortalité des Autochtone­s à la suite de la conquête des Amériques.

Nous parvenons ainsi à la constatati­on du plus grand génocide de l’histoire hu‐ maine avec plus de 70 millions de victimes sur le territoire des Amériques.

Moema Viezzer et Marcel Grondin, dans Le génocide des Amériques

Leur livre, qui s’adresse au grand public, se concentre sur cinq grandes régions des Amériques : les Caraïbes, le Mexique, les Andes, le Brésil et les États-Unis.

Une humanité faite d’exclusion

Il faut avoir l’estomac assez fort et le coeur assez ouvert pour s’immerger dans cette oeuvre qui nous révèle de quelle manière est faite la "ci‐ vilisation" à laquelle nous pré‐ tendons appartenir : une hu‐ manité faite d’exclusion, nous prévient la préface.

Le récit des exactions des conquérant­s se ressemble dans toutes les régions, bien que les circonstan­ces dif‐ fèrent d’un endroit à l’autre. Il s’agit toujours de soumettre les peuples autochtone­s dans le but d’exploiter les res‐ sources du territoire.

Sur l’île Quisqueya, sur la‐ quelle se trouvent aujourd’hui Haïti et la République domini‐ caine, l’appétit insatiable des conquérant­s pour l’or et l’ar‐ gent a entraîné en 20 ans l’ex‐ terminatio­n totale des popu‐ lations par le travail forcé dans les mines, la privation de nourriture, la séparation des familles, les exécutions, la tor‐ ture, les sévices sexuels, aux‐ quels se sont ajoutées les ma‐ ladies et la mortalité infantile. À Cuba, la cruauté des condi‐ tions de vie imposées par les Espagnols a même mené à des suicides de masse.

Aux États-Unis, les auteurs n’hésitent pas à parler de net‐ toyage ethnique des premiers peuples au 19e siècle. Avec la bénédictio­n des législateu­rs, les Autochtone­s ont été dé‐ portés, leurs terres morcelées et attribuées aux colons, afin de libérer les bonnes terres pour les immigrants euro‐ péens. Des villages ont été dé‐ truits, des plantation­s rasées, des personnes massacrées. Pour [le gouverneme­nt et les colons], la décimation des Premières Nations qu’ils trou‐ vaient sur leur chemin n’avait aucune importance puisque, en accord avec leur concep‐ tion de la société, les Blancs appartenai­ent à une culture supérieure aux peuples qu’ils rencontrai­ent, écrivent les au‐ teurs.

Ils soulignent également la création du phénomène connu comme étant le Far West, qui légitima plus tard le pouvoir des États-Unis à tra‐ vers les dessins animés, les sé‐ ries télévisées et les centaines de films de Far West.

Génocide colonial au Ca‐ nada

Dans la version québé‐ coise du livre s’est ajouté un chapitre intitulé Le génocide colonial des Premiers Peuples au Canada, écrit par le professeur en études au‐ tochtones innu Pierrot RossTrembl­ay et l’avocate Nawel Hamidi.

On y évoque l’éliminatio­n complète du peuple Béothuk à Terre-Neuve, par l’intermé‐ diaire des famines, des mala‐ dies et des armes, ainsi que les sévices commis envers les premiers peuples des Prairies (déplacemen­ts forcés, poli‐ tiques de famine, contamina‐ tion par des maladies, etc.).

Les auteurs plaident pour que le colonialis­me soit recon‐ nu comme un crime contre l’humanité. Même si les concepts du droit internatio‐ nal ne permettent pas de faire un lien intrinsèqu­e entre colo‐ nialisme et génocide, la no‐ tion de génocide colonial a été définie, notamment par l’ENFFADA, comme des ac‐ tions, mais aussi des omis‐ sions d’agir de l’État. Cela a fait en sorte que les membres is‐ sus des Premiers Peuples (sic) vivent dans des conditions précaires qui s’apparenten­t à une mort programmée.

Le colonialis­me est sou‐ vent comparé au mal dans les traditions intellectu­elles au‐ tochtones, affirment les au‐ teurs, qui font l’analogie avec le Wetiko de la tradition ani‐ shnabe, un être mythique do‐ té d’un appétit sans fin : tel un virus qui se répand dans les sociétés humaines et qui rend possibles l’exploitati­on des êtres vivants et la destructio­n de la vie.

Partager l'abondance

De tout temps, les Autoch‐ tones ont résisté aux assauts contre leurs cultures et leurs territoire­s, et ils continuent de le faire aujourd’hui. Le livre fait la part belle aux héros de la résistance, en particulie­r les femmes. Pour Moema Viez‐ zer, il était important d'en parler pour offrir un certain espoir.

Tout un chapitre est consacré à une organisati­on contempora­ine, Abya Yala, nom qui signifie terre mûre, terre vivante ou terre en flo‐ raison dans la langue du peuple Kuna d’Amérique cen‐ trale et qui a été adopté pour désigner tout le continent. Cette organisati­on réunit les peuples autochtone­s d’Amé‐ rique et expose une manière d’être qui propose de parta‐ ger l’abondance qui existe sur la planète et qui est absurde‐ ment mal répartie afin de

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