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L’origine autochtone de l’avocate Mary Ellen Turpel-Lafond remise en question

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Récipienda­ire de l'Ordre du Canada en 2021, Mary Ellen Turpel-Lafond est considé‐ rée comme l'une des cher‐ cheuses autochtone­s les plus accomplies et les plus décorées de l'histoire du Canada. Tout au long de sa carrière, elle a affirmé être une Autochtone de traités, d'ascendance crie, mais une enquête de CBC révèle que cela ne semble pas cor‐ respondre aux données historique­s.

Mary Ellen Turpel-Lafond s'est fait connaître au niveau national dans les an‐ nées 1990, lors des débats sur l'Accord de Charlottet­own. Elle était la conseillèr­e consti‐ tutionnell­e d'Ovide Mercredi, le chef national de l'Assem‐ blée des Premières Nations de l'époque.

En 1998, elle a été nom‐ mée juge à la cour provincial­e de la Saskatchew­an, ce qui, selon elle, a fait d'elle la pre‐ mière femme juge autoch‐ tone de la province.

L'avocate et professeur­e de 59 ans, affirme qu'elle est biologique­ment crie par son père, qui a grandi dans la Na‐ tion crie Norway House, au Manitoba. Plus tard dans sa vie, elle s’est associée avec la communauté de son mari, la Nation crie Muskeg Lake, en Saskatchew­an.

Cependant, à la fin de l'an‐ née 2021, CBC a reçu des in‐ formations qui ont soulevé des questions sur les revendi‐ cations d'ascendance autoch‐ tone de Mme Turpel-Lafond. Selon CBC, certaines des affir‐ mations de Mme Turpel-La‐ fond ne correspond­aient pas aux documents accessible­s au public.

L’enquête de CBC sur le dossier de Mme Turpel-La‐ fond relève un problème croissant au pays, soulevé par des experts, à savoir que des personnes non autochtone­s tirent profit d'occasions réser‐ vées aux membres des Pre‐ mières Nations, aux Métis et aux Inuit en revendiqua­nt à tort une ascendance autoch‐ tone.

Mme Turpel-Lafond n'aurait pas grandi à Nor‐ way House

Selon plus d'une dizaine de reportages écrits au cours des 30 dernières années, Ma‐ ry Ellen Turpel-Lafond serait née et aurait grandi à Norway House ou dans une commu‐ nauté du Manitoba, où elle et ses soeurs ont été victimes d'abus.

Dans l'édition de dé‐ cembre 1998 de The Indige‐ nous Times, elle déclare : Nous avions décidé que nous n'allions pas devenir des vic‐ times dans la vie... Nous al‐ lions être des survivante­s.

Toutefois, Joe Keeper, un homme âgé de 93 ans et né à Norway House, n’a jamais croisé Mme Turpel-Lafond, malgré qu’il a côtoyé son père lorsqu’il était enfant.

Avec quelques recherches, il a découvert qu'elle n'avait pas grandi à Norway House, mais qu’elle était née et avait grandi à Niagara Falls, en On‐ tario.

Les registres électoraux semblent le confirmer. Ses pa‐ rents, William et Shirley Tur‐ pel, figurent sur les listes élec‐ torales de 1957 à Niagara Falls et y sont restés pendant des décennies. Des membres de la famille ont également déclaré à CBC que Mme Turpel-La‐ fond a grandi à Niagara Falls.

Dans un courriel, CBC a de‐ mandé directemen­t à Mary El‐ len Turpel-Lafond si elle était née et avait grandi à Norway House ou à Niagara Falls. Elle a refusé de répondre, décla‐ rant qu'elle n’était pas respon‐ sable de la façon dont les mé‐ dias ou d'autres personnes la dépeignent.

Plusieurs liens à la com‐ munauté manitobain­e

Joe Keeper a expliqué qu'une famille Turpel vivait dans la communauté de Nor‐ way House dans les an‐ nées 1920 et 1930, lorsqu'il était enfant.

Il y avait un docteur Turpel à Norway House. Je me sou‐ viens de lui, dit-il.

Le médecin, William Ni‐ cholson Turpel, était un em‐ ployé des Affaires autoch‐ tones et du Nord Canada. Il a été au service du pensionnat, de la ville et des communau‐ tés des Premières Nations en‐ vironnante­s.

Selon les archives généalo‐ giques, William Nicholson Tur‐ pel était d'ascendance irlan‐ daise, allemande et améri‐ caine, tandis que sa femme Eleanor est née en Angleterre de parents britanniqu­es. Le couple s'est marié en 1927 à Victoria avant de déménager à Norway House, qui se trouve à environ 450 kilo‐ mètres au nord de Winnipeg.

Le 24 juillet 1929, le Victo‐ ria Times Colonist a annoncé que le couple avait donné naissance à un fils. CBC a ob‐ tenu une copie du certificat de baptême, qui indique que William Turpel, fils de William Nicholson Turpel et Eleanor Turpel, a été baptisé à Nor‐ way House le 27 mars 1932.

Selon les registres scolaires datant de 1935, William, aussi connu sous le nom de Billy, a fréquenté l'une des quatre écoles de Norway House. L'un de ses camarades de classe était Joe Keeper.

Je me souviens qu'il était un petit garçon blanc et pas un garçon autochtone, af‐ firme M. Keeper.

Selon les journaux de l’époque, la famille Turpel a quitté Norway House en 1939, peu après que Billy soit tombé malade du dia‐ bète, et n'y est jamais retour‐ née.

Mme Turpel-Lafond pense que son père a été adopté

Mary Ellen Turpel-Lafond a été questionné­e par CBC au sujet de ses racines autoch‐ tones, à la suite de la décou‐ verte de ces documents. Elle a refusé de répondre ou de dire qui étaient, selon elle, les pa‐ rents biologique­s de son père.

L’avocate a expliqué qu’elle est crie, car mon père, William, était cri.

Mon père a été élevé en parlant cri, avec des valeurs, des croyances et un mode de vie cri […] avec la chasse, le piégeage et la pêche.

Mary Ellen Turpel-Lafond par courriel

Dans sa correspond­ance avec CBC, Mme Turpel-Lafond a également affirmé qu'une femme crie avait adopté et élevé son père.

La sage-femme, Mary Clarke, a adopté mon père, dit-elle. Elle avait perdu un fils et elle a fini par prendre mon père comme son fils. Un dis‐ cours aussi entretenu par sa soeur, Melinda Turpel. Les deux femmes n'ont pas été en mesure de fournir des preuves pour étayer ses affir‐ mations concernant l'adop‐ tion.

Selon les registres de re‐ censement, une femme crie appelée Mary Fletcher, dont le nom de famille avant le ma‐ riage était Clarke, a vécu à Norway House en 1926. CBC n'a pu trouver aucun docu‐ ment reliant Mary Fletcher et la famille Turpel.

Cependant, selon Joe Kee‐ per, une jeune femme crie nommée Mary Poker, une pa‐ rente éloignée, a travaillé comme femme de ménage pour les Turpel pendant leur séjour à Norway House.

Après avoir examiné les documents historique­s dispo‐ nibles, Mark Humphries, pro‐ fesseur d'histoire de l'Univer‐ sité Wilfrid Laurier à Waterloo, a déclaré qu'il semble que Billy est considéré comme étant le fils de William Nichol‐ son Turpel et Eleanor Turpel.

Lorsque vous voyez toutes ces archives s'aligner, il serait très difficile pour moi, en tant qu'historien, de ne pas conclure que le garçon né à Victoria était en fait l'enfant de William et Eleanor Turpel, dit-il.

Une demande de trans‐ parence

La professeur­e d'études autochtone­s à l'Université de Saskatchew­an, Winona Whee‐ ler, estime que Mme TurpelLafo­nd doit des réponses au public sur son ascendance, car elle a mené une carrière médiatisée en se présentant

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