La crise du gaz en Europe, une occasion de réfléchir à la solidarité énergétique
Les étalages des magasins Canadian Tire à Montréal sont actuellement remplis de décorations lumineuses pour l'Halloween, qui ap‐ proche à grands pas. Les lu‐ mières colorées de Noël co‐ loniseront ensuite les mêmes étagères. De jolies décorations, certes, mais qui font augmenter la consommation d’énergie à des moments où le réseau de distribution est forte‐ ment sollicité.
Paradoxal, diront certains, alors que de l’autre côté de l’océan, les gouvernements doivent imposer des mesures draconiennes pour réduire la consommation d’énergie. Cer‐ tains pays d’Europe, comme la France et l’Allemagne, s’ap‐ prêtent en effet à passer un hiver bien singulier : lumières tamisées et thermostats ré‐ glés à 19 degrés Celsius, et ce, même en période de grands froids. Le tout à cause, no‐ tamment, du conflit en Ukraine.
Au Canada, l’heure est-elle à la solidarité énergétique? Cette question, loin d'être anodine, est au coeur des dé‐ bats en ce moment, dit le pro‐ fesseur Éric Pineault, membre de l’Institut des sciences de l’environnement de l'UQAM.
Les Canadiens peuvent-ils faire quelque chose dans l’im‐ médiat pour aider les Euro‐ péens? Non, précise le profes‐ seur Pineault.
La production canadienne de gaz naturel est dérisoire et l’essentiel du gaz transite par les États-Unis pour être en‐ suite liquéfié dans le golfe du Mexique. De son côté, l’Alber‐ ta est incapable d’acheminer son pétrole vers l'est, ce qui rend donc cette source d'énergie quasi impossible à livrer en Europe.
Pourtant, la question de l’équité et de la solidarité entre les sociétés à moyen et à long terme se pose dès maintenant, croit Éric Pi‐ neault.
La ruée aux minéraux
Les matériaux critiques pour la transition énergétique sont au coeur de cette ré‐ flexion. Qui pourra mettre le grappin sur les précieuses res‐ sources comme les terres rares, le cuivre et le lithium, in‐ dispensables à l’électrifica‐ tion?
Si certains pays ont les moyens de s’en procurer ou de prendre des options sur l’extraction de ces métaux, d’autres nations peinent à se positionner sur le marché en raison de leurs contextes éco‐ nomiques plus fragiles, pré‐ cise le professeur Pineault.
Est-ce que les pays riches comme le Canada, pour main‐ tenir leur niveau de consom‐ mation énergétique, qui est de quatre à cinq fois la moyenne planétaire, vont s'approprier les ressources cri‐ tiques pour la transition éner‐ gétique pour finalement ver‐ rouiller un niveau de vie ratta‐ ché à une certaine consom‐ mation d'énergie?
Éric Pineault, membre de l'Institut des sciences de l'en‐ vironnement de l'UQAM
C’est surtout dans ce contexte que se pose la ques‐ tion de la solidarité énergé‐ tique, croit M. Pineault. Le professeur est convaincu que les gouvernements ont le de‐ voir de réfléchir d'ores et déjà à une distribution juste et équitable de ces matières pre‐ mières essentielles à la transi‐ tion écologique afin d’éviter des clivages nuisibles qui pourraient fragiliser des peuples entiers.
La semaine dernière, dans un entretien accordé au jour‐ nal Le Monde, le directeur gé‐ néral de l’Agence internatio‐ nale de l’énergie, Fatih Birol, y est allé d’une mise en garde : il y a des risques réels de frac‐ tures à l’échelle mondiale.
M. Birol a rappelé un inci‐ dent qui s’est produit en août dernier : un méthanier en route pour le Pakistan, pays écrasé par des températures records de 52 degrés Celsius et qui avait besoin de gaz na‐ turel liquéfié pour éclairer et climatiser sa population, a été redirigé vers l’Union euro‐ péenne, qui a payé plus cher sa cargaison.
Résultat : le Pakistan a subi de nombreuses coupures de courant, ce qui causé de mul‐ tiples problèmes. De quoi en‐ flammer les esprits et raviver des tensions.
Autre source potentielle de conflits : l’espace requis pour la production d’énergie renouvelable, qui constitue un problème pour plusieurs pays, dont l’Allemagne. Ce pays d’Europe centrale a noué un partenariat avec la Nami‐ bie en vue d’un projet de pro‐ duction et de transport d’hy‐ drogène vert issu d’énergies renouvelables.
Selon le professeur Pi‐ neault, il faut se questionner dès maintenant sur l’appro‐ priation d’espace par les pays riches qui transforment ainsi les pays en développement en pays pourvoyeurs d’éner‐ gie propre.
Le danger, croit-il, est de contraindre les nations du