Le petit New York néerlandais
Moins connue, moins visi‐ tée qu'Amsterdam, Rotter‐ dam se développe de ma‐ nière spectaculaire. La ville, complètement dé‐ truite durant la Seconde Guerre mondiale, a été re‐ construite selon des stan‐ dards plus modernes que dans le reste du pays.
Ponts suspendus, tours imposantes, marché public fu‐ turiste… Son centre, traversé par la Meuse et ses canaux, offre une vue saisissante où se côtoient les péniches, les bateaux-taxis et les vélos. Beaucoup de vélos.
La croissance de cette ag‐ glomération de 600 000 habi‐ tants est énorme. Mais son territoire est petit, ce qui oblige les autorités à faire preuve de créativité.
À première vue, un visiteur nord-américain n’est pas sur‐ pris d’y trouver, en plein centre, un complexe immobi‐ lier constitué d’une quinzaine de tours de différentes hau‐ teurs. C’est le quartier Little C.
Mais quand on y regarde de plus près, on se rend compte que ces immeubles de briques rouges au look d’anciennes manufactures re‐ cyclées sont en fait tout neufs. Avec ses escaliers exté‐ rieurs de métal noir, l’endroit nous plonge en plein Tribeca ou à Chelsea, c’est-à-dire… à New York !
Oui, c’est en effet inspiré de New York, nous confie l’ar‐ chitecte principal du projet, Cor Geluk. Mais le résultat est bien plus écologique. Les tours sont reliées par des pas‐ serelles et groupées trois par trois, ce qui permet de réduire le nombre d'ascenseurs. Avec une terrasse extérieure pour chaque trio sur les toits.
Nous sommes une cin‐ quantaine de personnes à partager cette terrasse, ex‐ plique Jeroen Laven, un des 650 résidents, qui a accepté de nous faire visiter les lieux. Et il n’y a pas de querelles. Il y a des enfants, des personnes âgées, des gens de revenus et de milieux divers, et ça marche très bien, dit-il, tout sourire.
Lui et sa femme, Edith van Ewijk, ont quitté leur maison de banlieue il y a un peu plus d’un an pour venir vivre ici, en plein centre-ville. C’est un gros changement, mais j’en suis heureuse. J’aime bien l’appar‐ tement et notre nouveau mode de vie, dit-elle.
Je suis agréablement sur‐ pris parce que nous ne sommes pas dans une zone anonyme du centre-ville, ajoute Jeroen. Nous habitons dans une sorte de village au coeur de Rotterdam.
Tout le projet tient sur un hectare. Il y a 320 apparte‐ ments, 8000 mètres carrés de bureaux et des commerces, un café, un restaurant, des ateliers. Le tout est entouré de pistes cyclables, de trans‐ ports publics et d’un canal qui communique avec le port.
Il y a de la vie tout le temps, précise l’architecte Cor Geluk. La semaine, la fin de semaine, le jour, le soir. Pour la vie sociale, c'est important de faire un mélange.
L’endroit est aussi ouvert sur le reste de la ville. Les commerces attirent des rési‐ dents des vieux quartiers voi‐ sins.
La grande innovation de ce site : il est bâti au-dessus de garages et de tunnels et, donc, au-dessus du sol. Pour‐ tant, il y a de la végétation partout. C’est une des grandes caractéristiques de la densification à Rotterdam : l’aménagement d’espaces verts dans des lieux inhabi‐ tuels, en particulier sur les toits…
Il faut dire au départ que nous avons beaucoup de toits plats qui sont assez ré‐ sistants dans cette ville, ex‐ plique Paul van Roosmalen, grand manitou des toits verts à Rotterdam.
Il nous fait visiter un autre développement domiciliaire emblématique de Rotterdam, Groene Kaap, qui se traduit littéralement par Cap vert. C’est un ensemble de toits d’immeubles plats interreliés par des sentiers et des passe‐ relles et truffé d'îlots de ver‐ dure, de platebandes luxu‐ riantes et d’arbres matures.
On a construit une struc‐ ture étanche qui permet à toute la végétation de croître normalement tout en évitant les fuites d’eau sous les toits.
Paul van Roosmalen, direc‐ teur du Programme de toits verts de Rotterdam
Il y a, sous cette structure, un système de capture et de rétention d’eau qui permet d’alimenter les plantes, même par période de grande séche‐ resse. Le tout est relié aux ra‐ dars météorologiques de la ville. Quand, à l’inverse, une forte pluie est attendue, le système libère automatique‐ ment les réserves d’eau dans les égouts pour éviter les dé‐ bordements.
C’est devenu la norme de construction des nouveaux immeubles. Les entrepre‐ neurs acceptent de construire ces systèmes plus coûteux parce qu’ils voient bien que les acheteurs demandent ce type d’espaces verts, souligne fièrement Paul van Roosma‐ len.
Des programmes de sub‐ ventions provenant de la Ville, mais aussi du gouvernement néerlandais et même de l’Union européenne, sont dis‐ ponibles pour verdir les toits, anciens et nouveaux.
Autre ingrédient de la re‐ cette de densification néer‐ landaise : la promotion de modes de transports écolo‐ giques. Les nouveaux im‐ meubles de la ville sont conçus pour favoriser le contact avec la rue.
On ne peut pas se rendre directement d’un garage sou‐ terrain à son appartement, ici, nous explique Mattijs van Rui‐ jven, l’urbaniste en chef de la ville. Il n’y a pas de passage in‐ térieur. Il faut sortir dehors pour rester en contact avec la ville. Ça peut inciter les gens à marcher davantage et, idéale‐ ment, les amener à délaisser leur auto et à opter pour le vélo ou le transport en com‐ mun.
Ce mordu de développe‐ ment urbain est au centre de la politique de densification et de revitalisation de Rotter‐ dam. La ville est en forte crois‐ sance et on essaie de rendre tout cela positif, ajoute-t-il. Pas seulement en construi‐ sant des habitations, mais en créant de l’emploi, en ajoutant des espaces verts, des loisirs, etc. C’est la règle pour tout nouveau projet.
Les premiers programmes de densification de Rotter‐ dam visaient à attirer une clientèle aisée dans des ap‐ partements luxueux. Au‐ jourd’hui, on fait l’inverse. Chaque nouveau projet doit comporter au moins 20 % de logements sociaux et une bonne moitié de logements abordables.
On ne cherche pas à trans‐ former les quartiers. Nous voulons préserver leur carac‐ tère et même les améliorer tout en densifiant les espaces disponibles, dit Mattijs van Ruijven.
La politique de densifica‐ tion à Rotterdam est conçue pour faire face aux défis po‐ sés par les changements cli‐ matiques. Jeroen et sa femme Edith, résidents du complexe Little C, sont confiants. On