Le metteur en scène André Brassard n’est plus
André Brassard, metteur en scène et bâtisseur du théâtre québécois mo‐ derne, s'est éteint à l'âge de 76 ans des suites d'une longue maladie.
Radio-Canada a confirmé la nouvelle auprès de ses amis Alice Ronfard et Michel Trem‐ blay. Le parcours d'André Brassard est d'ailleurs indisso‐ ciable de celui de Michel Tremblay
André Brassard, qui se pas‐ sionne pour le théâtre depuis qu'il est enfant, n'a que 22 ans quand la pièce Les bellessoeurs révolutionne le théâtre québécois en 1968. Avec Tremblay à ses côtés, il veut mettre en scène un milieu qu'il connaît, et comme il l'en‐ tend.
La collaboration des deux hommes s'étendra sur près de 40 ans : Brassard fera la mise en scène de presque toutes les pièces de Tremblay. Il travaille aussi d'autres au‐ teurs, tant les classiques, comme Euripide, que les contemporains, tels Jean Ge‐ net et Samuel Beckett.
Le metteur en scène est reconnu pour son extraordi‐ naire compréhension du texte.
L'homme de théâtre réali‐ sera aussi quatre films. En 1974, Il était une fois dans l'Est représente le Canada au Festival de Cannes.
En 1982, il accepte la direc‐ tion artistique du Théâtre français du Centre national des arts à Ottawa. Après huit ans à ce poste, il quitte la capitale canadienne, désabu‐ sé par le manque de soutien à ses projets.
De retour à Montréal, il forme ensuite toute une gé‐ nération de comédiens à l'École nationale de théâtre.
Il se met aussi lui-même en scène, notamment aux côtés de son interprète fétiche, Rita Lafontaine, dans Encore une fois si vous le permettez.
En 1999, un accident vas‐ culaire cérébral le laisse amoindri physiquement. Mais sa vivacité d'esprit demeure, comme le montre son travail sur Oh les beaux jours de Be‐ ckett et, en 2009, sur la pièce Une truite pour Ernestine Shuswap du dramaturge au‐ tochtone Tomson Highway. Ce sera sa dernière mise en scène.
L'année suivante, André Brassard fait de sa biographie une sorte de testament. Il y parle ouvertement de ses ex‐ cès passés, de sa consomma‐ tion de drogue et de sa condamnation pour détour‐ nement de mineurs. Au lance‐ ment, il en profitera pour sa‐ luer ceux avec qui il a partagé sa passion pour le théâtre.
Michel Tremblay, un
Son ami et complice Mi‐ chel Tremblay, avec qui il était en froid depuis des années, a raconté dans une entrevue accordée mercredi à l'émis‐ sion Tout un matin, sur les ondes d'ICI Première, que les deux hommes avaient en ef‐ fet eu un problème personnel en 2005, mais qu'ils n'avaient jamais complètement coupé les ponts.
Je continuais à lui envoyer mes textes. Chaque semaine je lui envoyais ce que j’avais écrit dans la semaine et il me répondait. On a eu des contacts par e-mail. Une chance qu’on avait le e-mail.
Lors d'une récente visite à l'Hôpital Notre-Dame, où An‐ dré Brassard était hospitalisé, Michel Tremblay a pu renouer avec son ami en compagnie de la metteure en scène et co‐ médienne Denise Filiatrault.
On avait l’impression de retourner plus de 50 ans en arrière. Ça a été une ren‐ contre formidable, a relaté Mi‐ chel Tremblay, pour qui André Brassard aura été une des personnes les plus impor‐ tantes de [sa] vie.
Le dramaturge, qui a confié à André Brassard la mise en scène de la vaste ma‐ jorité de ses oeuvres, se sou‐ vient d'un metteur en scène hors normes, unique dans sa façon de lire et de com‐ prendre ses pièces de théâtre.
C’est la personne que j’ai connue qui avait la plus grande intelligence du texte.
Michel Tremblay, écrivain, dramaturge et ami d'André Brassard
Quand il montait une pièce, avant de commencer à travailler avec les acteurs, avec les concepteurs, il fallait qu’il comprenne tout ce qui y avait dedans, de façon à pou‐ voir en parler avec les acteurs, relate Michel Tremblay.
Souvent, il y avait des ac‐ teurs qui se plaignaient qui di‐ saient : "Ha! Mon Dieu! Ça fait une semaine qu’on est autour de la table, qu’on parle de la pièce, qu’on décortique, mais on ne s’est pas levés encore et on n’a pas commencé la mise en place." Puis Brassard leur disait : "Non! Avant de com‐ mencer la mise en place, je veux qu’on fasse tous le même spectacle."
Pour écouter l'entrevue complète accordée par Michel Tremblay à l'animateur Pa‐ trick Masbourian à l'émission Tout un matin, cliquez ici.
Le père de la dramatur‐
gie québécoise contempo‐ raine
Le legs d'André Brassard est considérable, tant pour l'histoire du théâtre au Qué‐ bec que pour son avenir.
Au bout du fil, Denise Filia‐ trault, qui a longtemps tra‐ vaillé avec André Brassard, ne tarissait pas d'éloges pour ce metteur en scène qu'elle a dé‐ couvert avec Les bellessoeurs.
On
m'avait apporté
le texte des Belles-soeurs; j'ai ri, j'ai pleuré, j'ai eu toutes les sensations possibles au monde, a-t-elle mentionné.
Selon Mme Filiatrault, si M. Brassard avait un petit cô‐ té bum, il ne fallait pas non plus se laisser berner : Cela dépend de ce que l'on entend par bum. Il était très simple, il disait ce qu'il pensait, mais il était cultivé, attention!
C'était quelqu'un de très attachant. Sa culture, il ne te la garrochait pas en pleine face.
Denise Filiatrault
De fait, la grande artiste n'en démord pas : André Bras‐ sard est véritablement le père de la dramaturgie, du théâtre contemporain québécois.
C'est la vérité même incar‐ née! Ce titre ne peut pas mieux convenir à quelqu'un d'autre que lui, juge celle qui espère que les vastes connais‐ sances d'André Brassard se‐ ront léguées à la nouvelle gé‐ nération.
Pour le metteur en scène et dramaturge René Richard
Cyr, André Brassard a été un allumeur de conscience, rien de moins.
Il a eu un impact sur plu‐ sieurs générations d’artistes et a donné ses lettres de no‐ blesse à notre métier, en nous responsabilisant, en nous éveillant.
Yves Desgagnés, de son côté, a avoué que s'il est de‐ venu metteur en scène, c'est parce qu'il avait été inspiré par le travail d'André Bras‐ sard, qui fut son professeur.
Il a souligné le grand talent de l'homme de théâtre dans la direction d'acteurs.
Il a su mettre l'acteur au premier plan en lui montrant comment partir d'un texte jusqu'à l'aboutissement sur scène, a-t-il rappelé, ajoutant qu'il a été le chantre de la création québécoise.
C'était un immense met‐ teur en scène et un très grand pédagogue!