La boulimie des géants chinois pour les studios de jeu vidéo étrangers
Dans un marché du jeu vi‐ déo en pleine consolida‐ tion, les géants chinois comme NetEase et Tencent placent leurs pions à coups de prises de participation dans des stu‐ dios emblématiques en Eu‐ rope et en Amérique du Nord, alors que leur mar‐ ché domestique reste sou‐ mis à de fortes restrictions.
Coup sur coup, deux opé‐ rations ont ainsi eu lieu en France, révélatrices de cet ap‐ pétit : Tencent a annoncé dé‐ but septembre son renforce‐ ment au capital du géant Ubi‐ soft, bien implanté au Cana‐ da, et NetEase a racheté le studio Quantic Dream (Star Wars Eclipse) qui compte un studio à Montréal.
Numéro un mondial du secteur, Tencent règne en Asie – le marché le plus important de cette industrie – et tisse progressivement sa toile en Europe et en Amérique du Nord.
Ce géant chinois a par exemple acquis le studio fin‐ landais Supercell (Clash of Clans, Clash Royale, Brawl Stars) en 2016 pour 8,6 mil‐ liards de dollars américains (11,9 milliards de dollars cana‐ diens), un montant record à l’époque.
Cette opération a été lar‐ gement battue depuis : au dé‐ but de l’année 2022, Microsoft a par exemple mis 68,7 mil‐ liards de dollars américains (94,7 milliards de dollars cana‐ diens) sur la table pour s'em‐ parer d'Activision-Blizzard (Call of Duty), illustrant les grandes manoeuvres en cours.
Tencent investit énormé‐ ment. [Elle a] des centaines de participations dans des stu‐ dios, souligne auprès de l'AFP Cédric Lagarrigue, expert du marché et conseiller pour la banque d'affaires Alantra. [Elle fait] ça depuis longtemps et accélèrent ces dernières an‐ nées.
Parmi les récentes prises, on compte le studio danois Sybo Games, producteur du jeu mobile à succès Subway Surfers acquis en juin dernier, et le rachat du studio britan‐ nique Sumo en 2021 pour près d'un milliard de livres (1,5 milliard de dollars canadiens).
Un marché gnant en Chine contrai‐
Pourquoi une telle bouli‐ mie hors des frontières chi‐ noises? Les jeux vidéo sont dans le collimateur des autori‐ tés locales pour leur côté ad‐ dictif chez les jeunes, à l'image de l'interdiction aux moins de 18 ans de jouer plus de trois heures par semaine.
En juillet 2021, Pékin avait aussi gelé durant neuf mois toute licence permettant de nouvelles sorties, ce qui a pe‐ sé lourdement sur la rentabili‐ té du secteur, dans un contexte de reprise en main visant les entreprises de tech‐ nologies.
Si la Chine a fini par accor‐ der un de ces précieux sé‐ sames à NetEase, elle a boudé son concurrent Tencent, qui a enregistré début août le pre‐ mier recul de son chiffre d'af‐ faires trimestriel depuis 2004.
Il est de plus en plus diffi‐ cile de faire approuver un nouveau jeu et les restrictions de temps pour les jeunes joueurs et joueuses rendent la croissance plus difficile. Par conséquent, les grandes poin‐ tures comme Tencent et Ne‐ tEase comptent davantage sur les territoires internatio‐ naux pour leurs revenus, ex‐ plique à l'AFP Louise Shor‐ thouse, analyste senior du ca‐ binet d'études britannique Ampere Analysis.
Des partenariats inté‐ ressants pour l’Europe
Ces investissements sont plutôt bien perçus par les stu‐ dios européens, car les géants chinois, Tencent en tête, ont la réputation de ne pas s'im‐ miscer dans la création et de laisser une totale autonomie à leurs partenaires, selon ce que témoigne un dirigeant du domaine vidéoludique.
Nous croyons en un mo‐ dèle de partenariat qui per‐ met aux entreprises de fonc‐ tionner de manière indépen‐ dante et de conserver leur culture.
Un porte-parole de Tencent
Exemple des possibilités offertes par un tel partenariat : Ubisoft a annoncé, après la montée de Tencent à son ca‐ pital, le développement d'As‐ sassin's Creed Codename Jade, la première version mo‐ bile de sa série de jeux vidéo à succès créée à Montréal, et qui aura pour décor... la Chine impériale.
Ubisoft connaît un grand succès en Europe et aux États-Unis, régions dans les‐ quelles Tencent espère renfor‐ cer sa présence, et Tencent lui-même est très expérimen‐ té dans le secteur des jeux mobiles, une plateforme sur laquelle Ubisoft cherche à se développer davantage, sou‐ ligne ainsi l'analyste Louise Shorthouse.