Radio-Canada Info

Des entreprise­s britanniqu­es misent sur la semaine de quatre jours

- Raphaël Bouvier-Auclair

« Aujourd’hui, c’est un ven‐ dredi », nous dit Laura Ro‐ thwell, directrice générale de l’agence de communica‐ tion Crystallis­ed.

En fait, notre entretien dans les locaux de la petite entreprise, basée à New‐ castle-Upon-Tyne, dans le nord-est de l’Angleterre, se dé‐ roule un jeudi. Mais ici, c’est la norme depuis un moment dé‐ jà : les bureaux sont fermés le vendredi.

Tout le monde est en congé le vendredi, et il n’y a pas de changement dans le salaire, précise Laura Roth‐ well, pour expliquer le modèle de semaine de travail de 32 heures sur quatre jours pri‐ vilégié par Crystallis­ed.

Elle reconnaît que la for‐ mule présente des défis. Quand un jour férié s’ajoute dans la semaine, cela peut être stressant et chaotique, en raison du besoin de réor‐ ganisation des tâches de tra‐ vail.

N’empêche, Laura Roth‐ well dresse un bilan positif de cette pratique mise en vi‐ gueur depuis quelques an‐ nées déjà. Les clients de la firme s’y sont habitués et les employés aussi.

Les employés sont occu‐ pés et fatigués. Nos horaires sont bien remplis. Mais avoir trois jours de congé permet de réellement se reposer et de se présenter au travail le lundi avec une énergie que l’on n’aurait pas nécessaire‐ ment eue avec une semaine de cinq jours.

Laura Rothwell, directrice générale de Crystallis­ed

Un constat que partage sa collègue, Jane Emery.

Au début, je me sentais mal de ne pas travailler le ven‐ dredi, mais j’ai pris l’habitude, et aujourd’hui je peux passer plus de temps avec ma famille et mes amis, explique-t-elle.

Un projet pilote à l’échelle du Royaume-Uni

L’exemple de Crystallis­ed est loin d’être unique au

Royaume-Uni. Depuis trois mois, plus de 70 entreprise­s à travers le pays participen­t à un projet qui fait l’objet d’un suivi par des chercheurs des université­s d’Oxford, de Cam‐ bridge et de Boston. Leurs employés travaillen­t une jour‐ née de moins, mais leur sa‐ laire n’est pas modifié.

Le portrait des groupes qui y participen­t est diversifié, allant de restaurant­s à des banques.

Fin septembre, à la mi-par‐ cours de cette période d’essai, des premiers résultats ont été rendus publics par 4 Days Week Global, l’organisme qui chapeaute l’initiative.

Ainsi, selon les données préliminai­res, 88 % de la qua‐ rantaine de répondants af‐ firment que la formule fonc‐ tionne bien pour leur entre‐ prise.

Sur le plan de la producti‐ vité, 95 % d’entre eux af‐ firment que le niveau s’est maintenu, voire amélioré.

Ailleurs en Europe :

En Espagne, le gouverne‐ ment offre une aide financière à des dizaines d’entreprise­s qui participen­t volontaire‐ ment à un projet pilote;

En Belgique, une loi qui permettra aux employés des secteurs publics et privés de condenser un horaire de 38 heures en quatre jours vient d’être adoptée.

La semaine de quatre jours, outil de compétitiv­i‐ té?

Ce premier bilan a même poussé un député du Parti travaillis­te, qui forme l’opposi‐ tion officielle à Westminste­r, à déposer un projet de loi en fa‐ veur d’une semaine de quatre jours dont les débats doivent avoir lieu ce mois-ci.

En février, l’économiste Ro‐ bert Skidelsky écrivait dans les pages du Daily Mail qu’à son avis passer à la semaine de quatre jours pour un sa‐ laire équivalent n’était pas lo‐ gique, compte tenu de la si‐ tuation économique du Royaume-Uni.

Après la pandémie, l’éco‐ nomie a besoin de croître; li‐ miter artificiel­lement les se‐ maines de travail serait catas‐ trophique, affirmait-il.

N’empêche, l’idée séduit même au-delà du secteur pri‐ vé.

Le district rural de South Cambridges­hire, à proximité de la ville de Cambridge, tes‐ tera la semaine de quatre jours auprès d’une partie de sa main-d'oeuvre de 700 tra‐ vailleurs à partir de janvier.

Selon la conseillèr­e et cheffe du district, Bridget Smith, l’idée d’un horaire de travail de 30 heures sur quatre jours pourrait séduire de futurs employés dont la municipali­té manque cruelle‐ ment en ce moment.

Ces dernières semaines nous avons affiché des em‐ plois très intéressan­ts, mais nous n’avons reçu aucune candidatur­e.

Bridget Smith, conseillèr­e du district de South Cambrid‐ geshire

L’élue reconnaît que pour pouvoir offrir les services es‐ sentiels aux citoyens, des ajustement­s seront néces‐ saires, d’où le besoin d’une pé‐ riode d’essai de quelques mois.

Ça ne veut pas dire que le bureau sera fermé le vendre‐ di. Nous devons être dispo‐ nibles pour nos résidents cinq jours par semaine, explique-telle.

Dans les locaux de Crystal‐ lised, à Newcastle, la formule adoptée il y a quelques an‐ nées est en tout cas là pour de bon.

Je ne pense pas qu’on pourrait retourner en arrière. Je me demande combien de temps il faudrait avant qu’il y ait une mutinerie, lance Laura Rothwell en riant.

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