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Québec a négocié de mauvaise foi avec un syndicat, conclut un tribunal

- Louis Gagné

Le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a agi de mauvaise foi en modifiant unilatéral­ement la portée d’une clause sala‐ riale contenue dans l’en‐ tente de principe visant à renouveler la convention collective de 700 ressources intermédia­ires et de type familial (RI-RTF).

C’est la conclusion à la‐ quelle est arrivé le Tribunal administra­tif du travail (TAT). Dans une décision rendue le 6 octobre, le juge Dominic Fi‐ set a tranché en faveur du Syndicat canadien de la fonc‐ tion publique (SCFP-FTQ), qui reprochait au MSSS de lui avoir imposé une modifica‐ tion au contenu d’une en‐ tente de principe intervenue le 15 octobre 2021.

L’entente portait sur le re‐ nouvelleme­nt du contrat de travail des RI-RTF représen‐ tées par le SCFP qui sont liées au CIUSSS de la Capitale-Na‐ tionale, au CIUSSS de l'Ouestde-l'Île-de-Montréal, au CIUSSS de la Mauricie-et-duCentre-du-Québec et au CISSS des Îles.

Les ressources intermé‐ diaires et de type familial sont des personnes physiques qui accueillen­t à leur lieu de rési‐ dence principale un maxi‐ mum de neuf usagers qui leur sont confiés par un établisse‐ ment public. Elles peuvent hé‐ berger des enfants et des adultes aux prises avec diffé‐ rents problèmes de santé mentale, de santé physique ou de comporteme­nt.

Rétroactio­n

L’entente de principe inter‐ venue entre le SCFP et le MSSS prévoyait notamment le versement rétroactif de montants forfaitair­es pour la période allant du 1er avril 2019 au 31 mars 2020, moment où la convention collective des RIRTF est arrivée à échéance.

Le 22 décembre 2021, une porte-parole du MSSS a infor‐ mé son vis-à-vis du SCFP que les montants forfaitair­es ne seraient versés qu’aux res‐ sources qui étaient toujours actives au 1er avril 2020, date correspond­ant au jour 1 de la nouvelle convention collec‐ tive.

Le Tribunal mentionne que la porte-parole savait pourtant depuis la fin du mois d’octobre que le Minis‐ tère souhaitait réserver le ver‐ sement des rétributio­ns addi‐ tionnelles aux ressources ac‐ tives. Elle a attendu environ deux mois pour aviser le re‐ présentant syndical.

Ajout inacceptab­le

Ce dernier qualifie l’ajout d’inacceptab­le puisque ja‐ mais, durant les négociatio­ns, il n’a été question d’exclure les RI-RTF qui avaient cessé d’être liées par contrat avec le Minis‐ tère au 1er avril 2020.

L’ajout est d’autant plus problémati­que que les RI-RTF ont ratifié l’entente de prin‐ cipe au cours d’assemblées te‐ nues dans les semaines précé‐ dentes sans qu’il ait été ques‐ tion de l’exception voulue par le MSSS.

Ces contrainte­s-là n'avaient jamais été négo‐ ciées ni même discutées à la table de négociatio­n et ça pri‐ vait un certain nombre de nos ressources de montants for‐ faitaires, raconte en entrevue à Radio-Canada Alexandre Prégent, conseiller syndical au SCFP.

Le SCFP ne réussit pas à convaincre le Ministère de re‐ venir sur sa décision. Pour ce dernier, l’acceptatio­n de l’ajout est une condition sine qua non à la signature de la nouvelle convention collec‐ tive. Le juge administra­tif Do‐ minic Fiset y voit une des ma‐ nifestatio­ns de la mauvaise foi du MSSS.

Le fait que le Ministère fasse un deal breaker de cette inopinée modificati­on à la portée d’une dispositio­n à in‐ cidence monétaire illustre sa mauvaise foi dans la négocia‐ tion en vue du renouvelle‐ ment de l’entente collective, note le magistrat. Cela est d’autant plus frappant que la porte-parole du ministère est au courant depuis la fin du mois d’octobre 2021 de la por‐ tée qu’il donnera à cette dis‐ position une fois que la nou‐ velle entente collective sera entrée en vigueur.

Le juge relève également le refus du Ministère d’accepter la propositio­n du syndicat de signer la nouvelle convention collective sous protêt, ou sous réserve, afin que sa si‐ gnature au bas de l’entente ne soit pas interprété­e comme un consenteme­nt à l’ajout liti‐ gieux.

Cela constitue une autre manifestat­ion de [la] mau‐ vaise foi [du Ministère]. À ce sujet, le Tribunal ne retient aucune faute de la part du

SCFP : le refus du Ministère de signer "sous protêt" justifiait le SCFP de ne pas signer en prenant le risque qu’on in‐ voque par la suite contre lui qu’il l’a signée sans réserve au‐ cune, souligne Dominic Fiset.

Ordonnance

Par conséquent, le juge or‐ donne au Ministère de sou‐ mettre sans délai au Conseil du Trésor la version adminis‐ trative, en date du 22 dé‐ cembre 2021, du texte décou‐ lant de l’entente de principe afin que celui-ci puisse déci‐ der s’il l’autorise ou non à conclure avec le SCFP une convention collective basée sur cette version.

À noter que le Tribunal ne peut contraindr­e le Conseil du Trésor à entériner la version administra­tive du texte puis‐ qu’il est souverain dans ce processus.

Sous réserve que le Conseil du Trésor l’autorise à conclure une nouvelle en‐ tente collective sur la base de la version administra­tive du 22 décembre 2021, le Tribunal ordonne également au MSSS d’indemniser les RI-RTF pour le retard que sa conduite a oc‐ casionné dans le versement de toutes les sommes qui leur sont dues en applicatio­n de la nouvelle entente collective.

Par souci de précision, soulignons que le retard dé‐ coulant de la mauvaise foi du Ministère couvre la période débutant le 22 dé‐ cembre 2021 et se terminant à la date de la présente déci‐ sion (6 octobre 2022), peut-on lire dans le jugement du TAT.

Il appartiend­ra aux parties de négocier pour tenter de convenir de la réparation la plus appropriée. En cas de mésentente, le Tribunal pour‐ rait être sollicité pour tran‐ cher le litige. À titre indicatif, il porte à l’attention des parties que les tribunaux sont géné‐ ralement enclins à ordonner le versement d’intérêts au taux légal lorsque des sommes dues sont versées en retard.

Le conseiller syndical Alexandre Prégent dit que la décision du Tribunal a été ac‐ cueillie avec une grande satis‐ faction au sein du SCFP.

Question de principe

À la fin de la journée, ça ne touchait pas tant de membres que ça puisque c'étaient des membres qui, de toute façon, étaient déjà à la retraite. Mais pour nous, c'était une question de prin‐ cipe. On devait aller faire ce combat-là, indique M. Pré‐ gent.

Il explique que le montant forfaitair­e prévu dans l’en‐ tente de principe peut varier d’une ressource à l’autre en fonction du nombre d’usagers hébergés, de leur classifica‐ tion et des mois au cours des‐ quels elle a travaillé. Pour cer‐ tains, cela peut représente­r une somme considérab­le.

Dans le cas d’une res‐ source qui a travaillé presque un an, qui a le maximum d'usagers et que ceux-ci sont classifiés au niveau supérieur, on peut parler de quelques milliers, voire une dizaine de milliers de dollars, précise M. Prégent.

Au moment d’écrire ces lignes, le MSSS n’avait pas en‐ core répondu aux questions de Radio-Canada.

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