Des véhicules blindés canadiens arrivent en Haïti
Des véhicules blindés cana‐ diens, commandés par le gouvernement haïtien pour soutenir la police na‐ tionale dans sa lutte contre les bandes crimi‐ nelles, sont arrivés à Portau-Prince.
L'acheminement de ces vé‐ hicules avait d'abord été rap‐ porté par le quotidien améri‐ cain The Miami Herald et le journal haïtien Le Nouvelliste. Ce dernier estime la valeur de la cargaison canadienne à 10 millions de dollars améri‐ cains.
Dans une déclaration com‐ mune avec le gouvernement américain, transmise en soi‐ rée, Ottawa indique que cette livraison de blindés et d'autres équipements per‐ mettra à la [police] de pour‐ suivre sa lutte contre les cri‐ minels qui fomentent la vio‐ lence et nuisent à la circula‐ tion de l'aide humanitaire es‐ sentielle.
En collaboration avec nos partenaires internationaux, nos gouvernements tra‐ vaillent avec des partenaires haïtiens pour renforcer la ca‐ pacité d'Haïti à former davan‐ tage de policiers et améliorer les activités en matière d'ap‐ plication de la loi, mentionne encore le communiqué publié par le département d'État américain.
Nous exhortons les parties au coeur du conflit à mettre en place les couloirs humani‐ taires afin de rétablir l'appro‐ visionnement en carburant, en eau et en nourriture pour répondre aux besoins fonda‐ mentaux de la population haï‐ tienne, et de permettre aux hôpitaux de répondre à l'aug‐ mentation des cas de choléra dans le pays.
Ministère canadien des Af‐ faires étrangères
Une situation très pré‐ caire
Sur le terrain, les forces de l'ordre haïtiennes sont débor‐ dées par les bandes crimi‐ nelles qui font régner la ter‐ reur dans la capitale et d'autres villes du pays.
Déjà ravagé par l’insécuri‐ té, Haïti est le théâtre de ma‐ nifestations, d’émeutes et de pillages depuis l’annonce en septembre d’une hausse sur le prix du carburant par le premier intérimaire, Ariel Hen‐ ry.
En entrevue à RDI, l'ancien ambassadeur canadien en Haïti Henri-Paul Normandin a précisé que ces blindés ne s'inscrivaient pas dans la fou‐ lée de la demande récente d'aide internationale présen‐ tée par le gouvernement haï‐ tien, mais qu'ils étaient plutôt liés à une opération planifiée depuis plusieurs mois pour permettre à la Police natio‐ nale haïtienne (PNH), à court d'hommes et de moyens, de renforcer ses capacités d'in‐ tervention sur le terrain.
Cela va permettre à la PNH d’effectuer des interventions plus efficaces, car malheureu‐ sement, les gangs armés sont vraiment très bien équipés, c’est très difficile d’effectuer des interventions. Je pense que c’est un appui qui fait lar‐ gement consensus.
Henri-Paul Normandin, an‐ cien ambassadeur canadien en Haïti
Crise multidimension‐ nelle
Au cours des dernières se‐ maines, de puissants groupes armés ont également bloqué les plus grands terminaux pé‐ troliers d’Haïti et coupé l'accès à des routes essentielles. Pri‐ vées de carburant, des entre‐
prises de distribution d’eau potable ont annoncé la sus‐ pension de leurs activités, ce qui contribue à une recrudes‐ cence des cas de choléra.
Face à cette crise multidi‐ mensionnelle, Ariel Henry a convenu de demander l’aide de militaires étrangers.
La demande a été relayée par le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres. Ce dernier a réclamé le déploie‐ ment d'une force armée spé‐ cialisée internationale en Haï‐ ti, suivie à moyen terme par une force dirigée par les Na‐ tions unies.
Selon le Miami Herald, les États-Unis auraient donné suite à cette demande d'aide en rédigeant un projet de ré‐ solution à l'intention du Conseil de sécurité des Na‐ tions unies qui encourage le déploiement immédiat d'une force multinationale d'action rapide.
Il y a quelques jours seule‐ ment, les États-Unis avaient pourtant exprimé des ré‐ serves quant à une présence sécuritaire américaine en sol haïtien. Le secrétaire d’État adjoint chargé de l’hémi‐ sphère Ouest, Brian Nichols, avait jugé de telles discus‐ sions prématurées.
L’appui de la Chine et de la Russie au projet de résolution américain demeure quant à lui incertain. À titre de membres permanents du Conseil de sécurité, elles pour‐ raient toutes les deux choisir de le rejeter en exerçant leur droit de veto. Ces derniers mois, la Chine a critiqué l'ap‐ proche de la communauté in‐ ternationale à l'égard d'Haïti et a appelé à un embargo plus fort sur les armes légères à destination de cet État des Caraïbes.
Dans sa forme actuelle, le projet de résolution des ÉtatsUnis ne précise pas quel rôle sera joué par les différents membres du Conseil de sécu‐ rité dans le cadre de cette mission.
L'organe de sécurité onu‐ sien doit se réunir jeudi pro‐ chain au sujet d'Haïti.
À l'intérieur même du pays, l'idée d'une nouvelle in‐ tervention étrangère est contestée par une partie de la population qui garde un mau‐ vais souvenir d'interventions passées. Des manifestants n'ont pas hésité à rappeler le rôle des Casques bleus dans le déclenchement d'une épi‐ démie de choléra qui a tué près de 10 000 personnes de 2010 à 2019.
Entre l'arbre et l'écorce
Ce n’est définitivement pas facile. D’une part, renforcer la PNH, on s’entend que c’est utile. D’autre part, il y a des discussions en cours pour une force d’intervention mul‐ tinationale en Haïti, pour allé‐ ger la crise humanitaire, a en‐ core souligné l'ex-ambassa‐ deur canadien Henri-Paul Normandin.
C’est aussi une crise sécuri‐ taire parce que les gangs em‐ pêchent les livraisons de car‐ burant. Cela a mis le pays à l’arrêt; une grande partie de la population n’a plus accès aux emplois, mais aussi à l’eau po‐ table, à de la nourriture et aux soins de santé. On a véritable‐ ment une crise humanitaire.
On est vraiment dans une situation où on veut choisir la moins pire des solutions.
Henri-Paul Normandin, an‐ cien ambassadeur canadien en Haïti
Toujours selon M. Nor‐ mandin, tenter de distribuer de l'aide humanitaire dans les rues de Port-au-Prince, alors que la situation sécuritaire y est très mauvaise, implique‐ rait nécessairement d'accom‐ pagner ces services d'inter‐ vention d'une escorte poli‐ cière ou militaire.
Ça vient avec des risques sécuritaires, ça vient avec des risques politiques et ce n’est pas garant de succès non plus, a-t-il rappelé.
Absence d'État en Haïti
De son côté, le sociologue Frédéric Boisrond ne mâche pas ses mots : avec la main‐ mise des gangs sur les res‐ sources naturelles et sur l'énergie, la Perle des Antilles est présentement aux prises avec une absence d'État, a-t-il déclaré lors d'une entrevue accordée à Radio-Canada.
Même ceux qui sont au pouvoir ne dirigent plus. L’État est dysfonctionnel. [...] Et même si cette intervention militaire étrangère faisait par‐ tie de la solution, ce ne serait que le début de quelque chose. Car oui, il faut rétablir l’ordre, mais il faut construire l’État de droit en Haïti, et on est loin de ça, a-t-il ajouté.
La force de police n’est pas seulement mal entraînée et sous-équipée, elle est aussi corrompue : c’est la commu‐ nauté internationale qui a en‐ traîné cette force de police, et on voit bien qu’elle est inca‐ pable de faire son travail et qu’elle fait partie du pro‐ blème, tout comme le gouver‐ nement d’Ariel Henry, a pour‐ suivi le spécialiste.
Il qualifie le parti du pre‐ mier ministre de parti néo-du‐ valiériste dans la foulée des dictatures des Duvalier.
Ce qu’on voit aujourd’hui, c’est l’échec de cette transition entre la dictature et la démo‐ cratie.
Frédéric Boisrond, socio‐ logue
Selon ce sociologue, le Ca‐ nada a certainement intérêt à ce que la situation revienne à la normale. Après tout, dit-il, l'instabilité en Haïti a un im‐ pact direct sur le nombre de migrants qui franchissent la frontière américano-cana‐ dienne par le chemin Rox‐ ham.