Un pas de plus pour l’écriture inclusive au Canada grâce aux lignes directrices du fédéral
Le gouvernement fédéral vient de publier ses pre‐ mières directives sur l’écri‐ ture inclusive en français. Cette initiative est applau‐ die par plusieurs et on es‐ père même que l'applica‐ tion ira plus loin.
Loin d'être une nouvelle politique qui sera appliquée de manière rigide, ces direc‐ tives se veulent un outil, des pistes de solutions, explique Emmanuelle Samson, lin‐ guiste-conseil au sein du Por‐ tail linguistique du Canada du Bureau de la traduction. Ce ne sont pas des réponses toutes faites à appliquer dans toutes les circonstances.
On offre des procédés concrets qui permettent de désigner un groupe de per‐ sonne formé de personnes de différents genres, de per‐ sonnes dont on ne connait pas le genre et de personnes non-binaire, donne-t-elle en exemple.
Au final, ce sont les gens qui utilisent les outils qui vont choisir les options parmi l’éventail qui leur est proposé.
Emmanuelle Samson, lin‐ guiste-conseil au sein du Por‐ tail linguistique du Canada du Bureau de la traduction
De nombreuses demandes avaient été faites afin de pro‐ duire un document de réfé‐ rence pour l'écriture inclusive. Le produit fini est d'ailleurs le fruit d'un groupe de travail in‐ terministériel qui a été créé à cet effet.
On retrouve, dans l’écri‐ ture inclusive, plusieurs alter‐ natives à l’usage du langage genré. Sur le Portail linguis‐ tique du Canada, on propose diverses suggestions de for‐ mulation neutre. Mme Sam‐ son énumère d'ailleurs l'usage des mots épicènes, qui ne changent donc pas de forme au masculin ou au féminin et du pronom iel.
On sait que le pronom iel est le pronom le plus connu en français, il est d’ailleurs re‐ connu par le dictionnaire Le Petit Robert comme le pro‐ nom neutre à la troisième personne du singulier, ex‐ plique-t-elle.
Quelques alternatives au langage genré
Utiliser le pronom iel à la troisième personne du singu‐ lier Privilégier les mots épi‐ cènes (ex : parlementaire plu‐ tôt que député ou députée ) Choisir des temps de verbe qui ne portent pas la marque du genre Faire l'usage du point médiant dans les dou‐ blets abrégés (ex : ensei‐ gnant·es)
On ne retrouve pas de mots bannis dans ces direc‐ tives. On est dans une ap‐ proche d’ouverture, donc on est plus dans le fait de respec‐ ter les termes privilégiés par les personnes concernées, as‐ sure la linguiste.
Se donner le temps
Stéphanie Meunier, inter‐ venante et coordonnatrice à Jeunesse Idem dit apprécier qu'il y ait une pluralité de moyens proposés. Elle sou‐ ligne au passage l’utilisation du pronom iel pour parler des personnes non-binaires.
On vient, au Québec, de reconnaitre légalement l’exis‐ tence des personnes non-bi‐ naires avec le projet de loi 2, donc ça va dans le bon sens.
Stéphanie Meunier, inter‐ venante et coordonnatrice à Jeunesse Idem
C’est correct si ça prend du temps pour apprendre ces choses-là, c’est nouveau pour plusieurs, assure cependant l'intervenante. Elle suggère aux initiés de se lancer puis‐ qu'il est tout à fait normal de faire des erreurs. On peut tou‐ jours se reprendre, se corri‐ ger.
Le Bureau de la traduction envisage d’offrir prochaine‐ ment des séances d’informa‐ tion sur les Lignes directrices , confirme par courriel Services publics et approvisionnement Canada.
Ce n'est pas par manque de volonté qu’on n’a pas eu un français inclusif jusqu’à maintenant, c’est par un manque de connaissances, fait valoir Mme Meunier. D’avoir une ressource comme ça, qui vient d’une autorité fé‐
dérale, ça va permettre à beaucoup d’être abordé avec respect et compréhension.
Quant à l'accueil par le grand public, elle ne s'en fait pas trop. C’est certain qu’il y a des gens que ça va déranger un peu, mais ça vaut la peine, c’est pour le progrès, men‐ tionne-t-elle. Inclure la diversi‐ té de genre dans le langage, c'est un gage de reconnais‐ sance pour les personnes trans et non-binaire.
Enseigner l'écriture in‐ clusive
Nikita Kamblé-Bagal, doc‐ torante à l'Université d'Otta‐ wa, est ravie de cette percée en matière d'écriture inclu‐ sive. Sa thèse porte d'ailleurs sur l'usage de l'écriture inclu‐ sive dans les médias québé‐ cois et français de 1990 à au‐ jourd’hui.
J’ai été très impressionnée par les directives publiées par le gouvernement, indique-telle. Mme Kamblé-Bagal fait valoir que le Canada a beau‐ coup changé à travers les an‐ nées. Selon elle, la langue doit traduire cette évolution de la société canadienne.
Pour assurer la pérennité de ce type d'écriture, l'experte est catégorique : il faut en étendre l'usage au grand pu‐ blic. Je pense que c’est le seul moyen de répandre l’usage de l’écriture inclusive, soutientelle.
Si l’écriture inclusive n’est pas enseignée à l’école élé‐ mentaire, ça va poser pro‐ blème pendant longtemps.
Nikita Kamblé-Bagal, doc‐ torante à l'Université d'Otta‐ wa
On ne peut pas assumer que les gens vont faire ce changement par eux-mêmes, soutient cette dernière. C’est également une question d’ac‐ cessibilité.
Prudence et contradic‐ tions
« Prudence » et « contra‐ diction », ce sont les deux mots qu'a employés MarieAndrée Lamontagne, écri‐ vaine et journaliste, à l'égard de la démarche du gouverne‐ ment. Je constate une grande prudence de leur part, ce qui est très bien, commence Mme Lamontagne.
Cette dernière salue ces re‐ commandations, mais dé‐ nonce des visées contradic‐ toires au nom du respect dû à chacun.
On ne peut pas à la fois in‐ clure tous les gens avec un langage neutre et en même temps viser une communica‐ tion claire et agréable à lire, ce qui est le principe même de la communication, fait-elle va‐ loir.
C'est un aveu de torsion, de violence même ou certai‐ nement d'artifices qui est im‐ posé à la langue française au nom de l’inclusion d’une part, et de la prudence de l'autre.
Marie-Andrée Lamon‐ tagne, écrivaine et journaliste
Mme Lamontagne n'adhère pas au principe de consensus concernant les al‐ ternatives qui sont mises de l'avant dans le texte. Je pense que l’on confond le consensus et l’effet de mode, l’ère du temps. Il faut faire preuve de prudence, ce que font d’ailleurs les rédacteurs, lancet-elle. L'écrivaine et journaliste nuance toutefois son point de vue. Dans les communica‐ tions privées, il faut impérati‐ vement respecter les préfé‐ rences de l'interlocuteur, tranche-t-elle, mais dans la communication générale, je ne vois pas pourquoi il fau‐ drait étendre à l'ensemble de la population les règles qui s’appliquent à une minorité.
Cette dernière souligne qu'à peine 0,33 % de la popu‐ lation âgée de plus de 15 ans au Canada s'identifie comme personne trans. Ces lignes di‐ rectrices sont les bienvenus, mais elles ne vont pas ré‐ pondre à tout, conclut-elle.
Avec les informations de Maude Faucher et d’Alexan‐ dra Angers