Le Canada sceptique à l’égard d’une force internationale en Haïti
Le premier ministre d'Haï‐ ti, Ariel Henry, présentera lundi au Conseil de sécuri‐ té des Nations unies une mise à jour de la situation dans son pays, tandis que les gangs criminels y terro‐ risent la population et poussent l’économie au bord du gouffre.
Ariel Henry réclame une force internationale pour sta‐ biliser le pays et rétablir la paix. Il a reçu jusqu’à mainte‐ nant l’appui du secrétaire gé‐ néral de l’ONU, Antonio Gu‐ terres.
Le Canada, pour sa part, croit qu’une partie du dé‐ nouement réside dans les mains du gouvernement. La solution durable au problème de sécurité en Haïti, c'est le renforcement de la Police na‐ tionale d'Haïti [PNH], a décla‐ ré Sébastien Carrière, en en‐ trevue aux Coulisses du pou‐ voir.
L’ambassadeur du Canada en Haïti constate, depuis son arrivée dans l’île des Caraïbes en novembre 2021, une dé‐ gradation des conditions de vie des citoyens. Les gangs cri‐ minels y ont étendu leur em‐ prise. Ils contrôlent les grandes routes entourant la capitale et le terminal pétro‐ lier de Varreux, qui alimente la quasi-totalité du pays.
Les commerces et les hôpi‐ taux ont été forcés de fermer leurs portes ou fonctionnent au ralenti. Le choléra, que les autorités sanitaires avaient réussi à juguler en 2019, est réapparu. L’ONU évalue que la moitié de la population, soit 5,5 millions d’habitants, souffre d’insécurité alimen‐ taire.
Le recours à une force ar‐ mée internationale sera dé‐ battu dans les prochains jours au Conseil de sécurité. Le Ca‐ nada examinera la proposi‐ tion qui sera élaborée par les Nations unies, mais n’est pas prêt pour le moment à l’en‐ dosser. Je pense qu'il faut ap‐ prendre des leçons du passé, a déclaré l’ambassadeur du Canada.
M. Carrière estime que le temps est venu d’envisager sérieusement le recours aux sanctions.
Des sanctions non seule‐ ment pour les chefs de gang, mais pour ceux qui facilitent leur travail, ceux qui les sou‐ tiennent, ceux qui les fi‐ nancent. Donc, il y a toute une infrastructure, il y a toute une constellation d'acteurs politiques, d'acteurs écono‐ miques corrompus.
Sébastien Carrière, ambas‐ sadeur du Canada en Haïti
L’ambassadeur prend soin de préciser que ce n’est pas toute la classe politique, ni celle du monde des affaires, qui est montrée du doigt, mais plutôt certaines per‐ sonnes aux intentions moins nobles.
Peu importe la décision qui sera prise par la commu‐ nauté internationale au sujet d'une force d’intervention, Sé‐ bastien Carrière considère qu’il faut s’attaquer aux pro‐ blèmes qui rongent Haïti de façon urgente.
Cela commence par l’élimi‐ nation du blocus au terminal de Varreux, pour que l’écono‐ mie reprenne une erre d’aller. Il prône aussi le renforcement de la PNH, par un apport fi‐ nancier ou logistique, par un approvisionnement en équi‐ pement ou par le prêt de for‐ mateurs.
Changer d'approche
Le Canada a investi 100 millions de dollars au cours des dix dernières an‐ nées pour soutenir la police nationale et a annoncé en 2022 une contribution ad‐ ditionnelle de 42 millions de dollars.
Parallèlement, le diplo‐ mate estime que le dialogue politique doit reprendre. J'ap‐ pelle aussi toute la classe poli‐ tique haïtienne à changer d'approche et à arrêter de faire de la politique as usual. La classe politique haïtienne doit comprendre l'urgence de la situation et doit s'unir dans un plan de transition.
C’est grâce à ce dialogue que des élections présiden‐ tielles et législatives pourront être organisées pour enfin ré‐ tablir la démocratie. Pour y ar‐ river, il faudra que bien des gens mettent de côté leurs in‐ térêts personnels, selon l’am‐ bassadeur. Comme le disait à une certaine époque notre ancien premier ministre [Jean] Chrétien : il y a beaucoup de gens qui sont peinturés dans le coin. Il va falloir que quel‐ qu'un marche sur la peinture.
Sébastien Carrière affirme que les millions d’Haïtiens qui vivent affamés dans des conditions difficilement imagi‐ nables pour la majorité des Canadiens méritent que tous les acteurs en présence re‐ doublent d’efforts pour trou‐ ver des solutions.