L’Ontario veut réduire les fouilles à nu dans ses prisons
Cinq ans après une en‐ quête indépendante dévas‐ tatrice sur le milieu carcé‐ ral et les fouilles à nu en Ontario, le gouvernement Ford propose des change‐ ments pour réduire leur fréquence dans les centres de détention de la pro‐ vince.
Quelques règles existent déjà, par exemple sur le lieu où elles peuvent être effec‐ tuées, mais la Loi sur le minis‐ tère des Services correction‐ nels donne pour l’instant aux surintendants des prisons on‐ tariennes de vastes pouvoirs pour effectuer ces fouilles.
L'enquête menée en 2017 avait trouvé que contrai‐ rement à d’autres provinces, l’Ontario oblige les prisons à effectuer ces manoeuvres deux fois par mois sur les quelque 7000 détenus de la province. Pour les détenus en isolement, ces fouilles peuvent être quotidiennes et certaines prisons en font plus que d'autres.
Une politique profondé‐ ment dégradante, ayant un impact disproportionné sur les Autochtones, qui sont sur‐ représentés dans les établis‐ sements carcéraux, souligne l’avocat Alain Bartleman, qui est membre de la Première Nation des Chippewas de Ra‐ ma.
On parle de quelqu’un qui est tenu d’enlever ses vête‐ ments, d’ouvrir son anus, de tousser pour expulser tout objet qui pourrait être à l’inté‐ rieur de son corps, de mani‐ puler ses parties génitales, et [le faire] devant un inconnu, déplore Me Bartleman.
Dans une proposition pu‐ bliée discrètement sur le Re‐ gistre de la réglementation à la fin septembre, le ministère du Solliciteur général dit vou‐ loir modifier les règlements de la Loi. Il soulève la possibili‐ té d’utiliser de nouvelles tech‐ nologies pour réduire la fré‐ quence des fouilles, notament des détecteurs de drones et de téléphones cellulaires.
Questionné à ce sujet, Za‐ chary Zarnett-Klein, l'attaché de presse du ministre, ne donne aucun autre détail. La contrebande n'a pas sa place dans les services correction‐ nels. Notre gouvernement modernise de manière proac‐ tive les services correctionnels pour assurer la sécurité des agents et des détenus.
Contestation judiciaire
La proposition de réforme survient alors que le gouver‐ nement ontarien est visé par une contestation judiciaire de sa loi par l’Association cana‐ dienne des libertés civiles (ACLC) ainsi que par une an‐ cienne détenue.
La mère de quatre enfants allègue avoir été traumatisée par beaucoup trop de fouilles à nu brutales [...] même im‐ médiatement après avoir fait une fausse couche. Dans sa requête déposée en juin, l’ACLC avance que la loi viole l'arrêt Golden de la Cour su‐ prême qui restreint cette pra‐ tique.
Une conclusion que faisait pourtant déjà, dès 2017, l'exa‐ men indépendant des ser‐ vices correctionnels comman‐ dé par le gouvernement libé‐ ral précédent. Cependant, plusieurs des 63 recomman‐ dations, incluant celle de ré‐ former la loi sur les fouilles à nu, n’ont pas été mises en place par Doug Ford, qui est arrivé au pouvoir l’année sui‐ vante.
Tout juste avant l'élection provinciale, au printemps 2018, le gouvernement Wynne avait fait adopter la Loi sur la transformation des services correctionnels, qui adressait plusieurs des préoc‐ cupations soulevées par l'en‐ quêteur Howard Sapers, no‐ tamment sur les fouilles à nu.
Mais le gouvernement Ford ne l'a jamais promulguée et a décidé de sabrer le poste de M. Sapers. Depuis, la stra‐ tégie de la province est sur‐ tout axée sur l'embauche d'agents correctionnels, même si elle s'est engagée à se conformer à ses obliga‐ tions en matière de recours à l'isolement, une autre grande préoccupation du rapport.
Comme l’a indiqué la Cour suprême en 2001, les fouilles à nu sont fondamentalement humiliantes et avilissantes pour les personnes détenues, peu importe la manière dont elles sont effectuées.
Howard Sapers, ancien conseiller indépendant sur la réforme des services correc‐ tionnels du gouvernement de l'Ontario
Dans son rapport, Howard
Sapers avait qualifié le cadre législatif existant de troublant et noté que la majorité des territoires de compétence du Canada ont mis en place des lois qui interdisent explicite‐ ment [le type de] fouilles à nu qui ont lieu régulièrement en Ontario.
En entrevue avec RadioCanada, Howard Sapers s'est dit encouragé par le fait que la province s’engage finalement à assouplir ses règles en la matière.
Il était grand temps que ça se fasse, dit l’ancien chien de garde du milieu carcéral en Ontario. J'espère qu'ils met‐ tront enfin en place ma re‐ commandation de moderni‐ ser la loi pour qu'elle respecte les balises établies par la Cour suprême, afin qu'on puisse mettre fin à ces abus.
Il note que les détenus sont particulièrement vulné‐ rables aux traumatismes en‐ gendrés par les fouilles systé‐ matiques. Au Canada, la moi‐ tié des personnes incarcérées ont été victimes de violence sexuelle et/ou physique dans leur enfance, selon une étude récente.
La fouille à nu est une vio‐ lence sexuelle, affirme la char‐ gée de cours de l’Université Laurier, Jessica Hutchison, qui a écrit une thèse sur les fouilles corporelles en Ontario et qui estime que la pratique devrait être bannie.
Dans tout autre contexte, le retrait forcé de vêtements et l'exécution d'actions liées avec des parties intimes du corps sous la menace de conséquences graves seraient considérés comme des vio‐ lences sexuelles. Cependant, parce que c'est effectué sous l'étiquette de la "fouille corpo‐ relle", elle n'est pas reconnue comme telle.
La fouille à nu se produit même lors de la menstrua‐ tion, ajoute-t-elle, ce qui oblige les femmes et les per‐ sonnes de genre varié à reti‐ rer leurs tampons, à s'accrou‐ pir et à tousser, ce qui en‐ traîne souvent des gouttes de sang sur le sol, qu'elles sont ensuite obligées de nettoyer.
Fouilles policières?
La province ne dit pas si les changements s’applique‐ raient aux corps policiers ni si elle entend modifier d’autres règlements pour qu’ils ré‐ duisent eux aussi le recours à cette pratique.
En 2019, un organisme in‐ dépendant de surveillance de