Iran : la sinistre prison d’Evine est la proie des flammes
Un incendie a éclaté same‐ di à la prison d'Evine, dans la région de Téhéran, en Iran. Des témoins ont indi‐ qué avoir entendu des coups de feu sur place.
Selon l'agence officielle IR‐ NA, huit personnes ont été blessées lors des événements survenus dans la prison, évé‐ nements décrits comme des « troubles » qui ont éclaté après un mois de manifesta‐ tions contre le régime au pou‐ voir.
D'après une déclaration transmise par le pouvoir judi‐ ciaire iranien, un atelier de la prison a été incendié après un affrontement entre plusieurs détenus reconnus coupables de crimes financiers et de vol.
Le service de pompiers de Téhéran a indiqué qu'une en‐ quête était en cours pour dé‐ terminer la cause du sinistre.
Les routes vers la prison ont été bloquées; il y a beau‐ coup d'ambulances, ici, a fait savoir un témoin rencontré par l'agence Reuters. On en‐ tend toujours des coups de feu.
Un autre témoin a indiqué que des familles de prison‐ niers s'étaient réunies devant la porte principale. Je peux voir des flammes et de la fu‐ mée. Il y a beaucoup de membres des forces spéciales, a-t-il dit.
Un responsable de la sécu‐ rité a assuré que le calme était revenu dans la prison, mais le premier témoin a soutenu qu'on entendait toujours les sirènes des ambulances et que de la fumée continuait de s'élever du site.
Les gens dans les bâti‐ ments voisins scandaient "Mort à Khamenei", a ajouté un témoin en parlant du guide suprême iranien.
La prison d'Evine détient entre autres des étrangers ou binationaux comme l'univer‐ sitaire franco-iranienne Fariba Adelkhah ou l'Américain Sia‐ mak Namazi, qui a été réincar‐ céré cette semaine après une libération temporaire, selon sa famille.
Celle-ci, via son avocat, a déclaré à l'AFP qu'elle était profondément inquiète et qu'elle n'avait aucune nou‐ velle de lui.
La soeur d'un autre ci‐ toyen américain détenu à Evine, l'homme d'affaires Emad Shargi, a tweeté que sa famille était tout autant morte d'inquiétude.
L'Iran est pleinement res‐ ponsable de la sûreté de nos citoyens détenus à tort, qui doivent être libérés immédia‐ tement, a averti sur Twitter Ned Price, porte-parole de la diplomatie des États-Unis, ajoutant que Washington sui‐ vait le développement de l'in‐ cident avec urgence.
Le célèbre réalisateur ira‐ nien Jafar Panahi, lauréat de plusieurs prix internationaux, et le politicien réformiste Mostafa Tajzadeh se trouve‐ raient eux aussi dans cet éta‐ blissement pénitentiaire.
Nouvelles manifesta‐ tions
Plus tôt dans la journée, des Iraniens sont de nouveau descendus dans la rue pour manifester contre le pouvoir un mois après le début du mouvement de contestation déclenché par la mort de Mahsa Amini et réprimé dans le sang, selon des médias et des ONG.
Le 16 septembre, cette jeune Kurde iranienne de 22 ans est décédée trois jours après son arrestation par la police des moeurs à Téhéran pour avoir, selon celle-ci, en‐ freint le code vestimentaire strict de la République isla‐ mique pour les femmes, qui prévoit notamment le port du voile.
Les autorités iraniennes af‐ firment que la jeune femme est morte des suites d'une maladie et non de coups, d'après un rapport médical re‐ jeté par son père. Son cousin a déclaré qu'elle était décédée après un violent coup à la tête.
Depuis, nombre de jeunes femmes ont été le fer de lance des manifestations, criant des slogans antigouvernemen‐ taux, enlevant et brûlant leur foulard et tenant tête aux forces de sécurité dans les rues.
Les mollahs doivent dé‐ guerpir! scandaient des femmes sans hidjab au Col‐ lège technique et profession‐ nel Shariati de Téhéran, qu'on peut voir dans une vidéo dif‐ fusée en ligne.
À l'ouest de Téhéran, des manifestants ont lancé des projectiles sur les forces de sé‐ curité près d'un rond-point important de la ville de Hame‐ dan, d'après des images véri‐ fiées par l'AFP.
Mobilisés malgré la ré‐ pression
En dépit des fortes pertur‐ bations d'Internet et du blo‐ cage par les autorités de l'ac‐ cès aux applications Insta‐ gram et WhatsApp, des Ira‐ niens, à l'appel en ligne de mi‐ litants, se sont rassemblés dans les rues de la ville d'Ar‐ dabil, selon des vidéos diffu‐ sées sur Twitter.
Des commerçants se sont mis en grève à Saghez, la ville natale de Mahsa Amini, dans la province du Kurdistan, ainsi qu'à Mahabad, d'après le mé‐ dia en ligne 1500tasvir, qui re‐ cense les violations des droits de la personne.
Des écolières dans le vil‐ lage de Ney, à Marivan, ont al‐ lumé des feux dans la rue et crié des chants antigouverne‐ mentaux, a rapporté Hengaw, un groupe de défense des droits des Kurdes d'Iran établi en Norvège.
Des jeunes ont également manifesté dans les universités de Téhéran, d'Ispahan et de Kermanshah, selon des images diffusées en ligne.
Les manifestants répon‐ daient à un appel de militants à des protestations massives sous le slogan Le début de la fin!, évoquant le départ du pouvoir en place.
Ces militants ont encoura‐ gé les Iraniens à manifester à des endroits où les forces de sécurité ne sont pas pré‐ sentes et à scander mort au dictateur! en allusion au guide suprême Ali Khamenei.
Colère contre les émeu‐ tiers et contre la sédition
Face à ces manifestations, le Conseil islamique de coordi‐ nation du développement, un organisme officiel, a invité les Iraniens à dire dans les mos‐ quées, après la prière du soir samedi, leur colère contre les émeutiers et contre la sédi‐ tion.
Des retraités des Gardiens de la révolution, l'armée idéo‐ logique de la République isla‐ mique, se sont par ailleurs rassemblés samedi, selon le journal réformateur Shargh.
Lors du rassemblement, un commandant des Gar‐ diens a déclaré que trois membres de sa milice parami‐ litaire Bassidj avaient été tués et 850 blessés à Téhéran de‐ puis le début de la sédition, a rapporté l'agence de presse officielle IRNA.
La contestation, entrée dans sa cinquième semaine, a suscité des rassemblements de solidarité à l'étranger, tan‐ dis que la répression, qui a fait de nombreux morts, a été condamnée par la commu‐ nauté internationale.
Au moins 108 personnes ont été tuées dans la répres‐ sion, selon l'ONG Iran Human Rights (IHR), basée à Oslo. Amnistie internationale a af‐ firmé qu'au moins 23 enfants de 11 à 17 ans avaient été tués par les forces de sécurité. Des centaines de personnes ont aussi été arrêtées.
Les Occidentaux conti‐ nuent d'apporter leur sou‐
tien aux manifestants
Vendredi, le président américain Joe Biden, dont le pays est l'ennemi juré de l'Iran, a dit se tenir aux côtés des courageuses femmes d'Iran et a prié le pouvoir de mettre fin à la violence contre ses citoyens.
Les dirigeants iraniens ac‐ cusent les États-Unis de dé‐ stabiliser leur pays en fomen‐ tant des émeutes.
Craignant les sanctions que l'Union européenne (UE) s'apprête à imposer à l'Iran lundi prochain, le chef de la di‐ plomatie iranienne, Hossein Amir-Abdollahian, a demandé à l'UE d'adopter une ap‐ proche réaliste.
Il a également fustigé ven‐ dredi une politique de deux poids, deux mesures : Qui au‐ rait cru que la mort d'une seule fille serait aussi impor‐ tante pour les Occidentaux? Qu'ont-ils fait en ce qui concerne les centaines de mil‐ liers de martyrs et de morts en Irak, en Afghanistan, en Sy‐ rie et au Liban?
Après une vaste campagne d'arrestations contre des ar‐ tistes, des dissidents, des journalistes et des sportifs, le réalisateur de cinéma iranien Mani Haghighi a affirmé ven‐ dredi dans une vidéo avoir re‐ çu l'interdiction de se rendre au Royaume-Uni en raison de son soutien aux manifesta‐ tions, qu'il a qualifiées de grand moment dans l'histoire.
Les manifestations ac‐ tuelles en Iran sont les plus importantes depuis celles de 2019 contre la hausse du prix de l'essence dans ce pays riche en pétrole.