Radio-Canada Info

Peu de Canadiens font réparer leurs appareils électroniq­ues brisés

- Valérie Boisclair

Le local qui a pignon sur rue sur la Plaza Saint-Hu‐ bert a des airs de fourmi‐ lière. On s’y affaire à dé‐ monter un grille-pain, un mousseur à lait et un auto‐ cuiseur pour en révéler les labyrinthe­s de fils et de fu‐ sibles. À l’entrée, un homme s’apprête à partir, sa bouilloire rescapée sous le bras.

Chaque fois qu’on répare, on apprend, lance Gilles Pa‐ rent, qui prend le soin de ju‐ meler les nouveaux venus aux bénévoles disponible­s, électricie­ns de formation ou hommes à tout faire en quête de solutions.

Ce que dit Gilles vaut au‐ tant pour les réparateur­s que pour les citoyens qui frappent à la porte du Repair Café. Ces ateliers de réparation collabo‐ ratifs permettent à tout un chacun de redonner vie à un appareil défectueux grâce aux conseils avisés des membres de ce projet.

Mis à part les gros électro‐ ménagers et les téléphones cellulaire­s, à peu près tout peut y être réparé. Les bonnes journées, le taux de réussite s'élève à près de 80 %, selon Gilles Parent.

Un des réparateur­s, pen‐ ché au-dessus des entrailles d'un réchaud en compagnie d'un père et de son jeune fils curieux, explique que les ap‐ pareils reçus sont pour la plu‐ part récents. Venir au Re‐ pair Café, c’est faire un pied de nez à l’industrie qui appelle à acheter des appareils dont la durée de vie se fait de plus en plus courte.

Alors que le nombre de Re‐ pair Cafés au pays est passé de 15 en 2016 à plus de 50 au‐ jourd’hui, ils s’inscrivent à contre-courant des habitudes observées chez les Canadiens, qui se débarrasse­nt de leurs appareils plutôt que de les faire réparer.

La réparation, une op‐ tion peu envisagée

Selon la première étude pancanadie­nne sur l'accès à la réparation, menée par Équi‐ terre, 63,4 % des 2080 répon‐ dants ont affirmé qu'un de leurs appareils s'est brisé ou est tombé en panne au cours des deux dernières années. Or, seulement 18,6 % d'entre eux se sont tournés vers la ré‐ paration en 2020-2021.

En outre, la majorité (61,2 %) des répondants qui n’ont pas fait réparer leurs ap‐ pareils brisés ont indiqué n’avoir même pas envisagé cette option.

En comparant ces résul‐ tats avec des données de 2018 récoltées au cours d'une étude sur l'obsoles‐ cence programmée, Équiterre a constaté que le recours à la réparation a diminué au Ca‐ nada.

C’est une tendance préoc‐ cupante parce qu’on constate qu’il y a une perte du réflexe de la réparation, explique Amélie Côté, analyste en ré‐ duction à la source chez Équi‐ terre et cofondatri­ce de la Co‐ opérative zéro déchet Incita.

Parmi les répondants qui ont acquis de nouveaux ap‐ pareils, 55,9 % ont dit s'être procuré un appareil électro‐ ménager en 2020-2021, tandis que 44,1 % ont acheté un ap‐ pareil électroniq­ue.

Au nombre des raisons évoquées par les consomma‐ teurs pour justifier ce faible recours à la réparation, il y a l'idée selon laquelle les appa‐ reils sont conçus pour être ir‐ réparables.

Cette perception, obser‐ vée par les membres du Re‐ pair Café de Montréal auprès de leur clientèle, n’est pas tout à fait erronée. La concep‐ tion des appareils a changé, les nouveaux modèles dits in‐ telligents étant plus com‐ plexes que leurs prédéces‐ seurs. Les pièces et les outils nécessaire­s pour les réparer sont donc hyper variables, note Amélie Côté.

Un autre obstacle notable est le coût de la réparation. Si ça coûte 50 % du prix d’achat, voire le même prix, [les gens] vont acheter un appareil neuf plutôt que de le faire réparer, souligne-t-elle.

Les participan­ts à cette étude, qui démontrent mal‐ gré tout un appétit pour un accès plus facile à la répara‐ tion, ont répondu que la ré‐ duction des coûts pour les consommate­urs arrive en tête des solutions.

On a un peu perdu le pou‐ voir sur nos objets en ayant peu le réflexe de la réparation et en comprenant de moins en moins comment nos appa‐ reils fonctionne­nt.

Amélie Côté, analyste en réduction à la source chez Équiterre

Des ateliers comme ceux donnés par le Repair Café, qui font la promotion de l'autoré‐ paration, permettent de dé‐ velopper ce réflexe, ajoute Mme Côté, encouragée par le fait que 29 % des personnes qui ont fait réparer leurs ap‐ pareils brisés en 2020-2021 l'ont fait d'elles-mêmes.

La pointe de l'iceberg

Très populaires auprès des Canadiens, ces produits exa‐ cerbent les conséquenc­es en‐ vironnemen­tales et socioéco‐ nomiques liées à leur produc‐ tion, selon Équiterre.

On est dans un contexte d’inflation, de crise climatique, indique Mme Côté. Mais au Canada, on jette trois fois plus de déchets électroniq­ues que la moyenne mondiale. Beau‐ coup de pertes économique­s y sont liées.

Chaque Canadien génère en effet 20,2 kg de déchets d’équipement­s électrique­s et électroniq­ues par année, alors que la moyenne mondiale se situe à 7,3 kg par personne.

L’objet qu’on a entre les mains ou dans notre cuisine, il est la pointe de l’iceberg de la quantité de ressources utili‐ sées pour le produire, pour‐ suit l’analyste, qui appelle à repenser le système de pro‐ duction pour le rendre plus résilient et plus cohérent.

Les impacts environne‐ mentaux en chiffres

Le total des ressources né‐ cessaires à la production d’un électromén­ager est de 15 à

plus élevé que sa masse et de 50 à 350 fois plus élevé dans le cas d'un appareil électroniq­ue. Une exception : le téléphone intelligen­t, qui requiert jusqu’à 600 fois son poids en ressources natu‐ relles. Environ 12 760 litres

soit l’équivalent de

sont utilisés afin d’extraire les minéraux contenus dans un téléphone intelligen­t. L’extraction et la transforma­tion des res‐ sources représente­nt de 25 %

de l’ensemble des GES émis pendant le cycle de vie d’un électromén­ager et jus‐ qu’à 78 % dans le cas d'un ap‐ pareil électroniq­ue.

La forte demande en res‐ sources naturelles nécessaire­s à la production des appareils électroniq­ues et électromén­a‐ gers pourrait vider les ré‐ serves de certains minéraux critiques et stratégiqu­es contenus dans nos AEE d’ici 2050, indique Équiterre dans son rapport.

On arrivera éventuelle‐ ment à ces pénuries de maté‐ riaux [...], donc aussi bien agir dès maintenant plutôt que d’attendre de frapper un mur, estime Mme Côté.

100 fois d’eau, 85 baignoires, à 50 %

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada