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Derrière le débat sur le serment au roi

- Hugo Lavallée

Depuis des jours déjà, on discute du serment d’allé‐ geance à Sa Majesté le roi. Le Parti québécois est-il bien avisé de remettre cette question à l’avantplan ? Paul St-Pierre Pla‐ mondon remportera-t-il son pari de pouvoir siéger sans avoir porté allé‐ geance ? La chose sera-telle jugée anticonsti­tution‐ nelle ?

Si on ne peut douter du désir sincère du chef péquiste de mettre fin à cette pratique ancienne, le débat qui fait rage aura surtout servi à lui donner de la visibilité. Paul StPierre

Plamondon a choisi de pousser l’Assemblée nationale dans ses derniers retranche‐ ments, ce qui ne peut qu’exci‐ ter juristes et politologu­es.

Il est vrai que le moment est particuliè­rement bien choisi ; au lendemain des élec‐ tions, chefs et députés rentrent habituelle­ment dans leurs terres, le temps de médi‐ ter sur le sort que les élec‐ teurs leur ont réservé. Le chef péquiste, lui, occupe l’espace laissé vacant. La mort de la reine Élisabeth II lui a aussi of‐ fert une occasion qu’il n’a pas tardé à saisir.

Après avoir envoyé la balle dans la cour du secrétaire gé‐ néral de l’Assemblée natio‐ nale, qui la lui a renvoyée, Paul St-Pierre Plamondon place maintenant son destin entre les mains des chefs des autres formations politiques. Il leur demande d’adopter une motion pour lui per‐ mettre de siéger comme si de rien n'était, mais il les met, ce faisant, dans une position dé‐ licate eux aussi.

Ayant fait inscrire dans son Nouveau projet pour les na‐ tionaliste­s du Québec l’aboli‐ tion de la fonction de lieute‐ nant-gouverneur – qui, rappe‐ lons-le, n’est nul autre que le représenta­nt du roi au Qué‐ bec –, la CAQ aura du mal à re‐ fuser à Paul St-Pierre Plamon‐ don si petite concession.

C’est que le gouverneme­nt a lui-même inclus dans son projet de réforme parlemen‐ taire – encore à l’étude – le ca‐ ractère facultatif du serment au roi. Si la CAQ maintient qu’elle veut toujours changer les règles, le message de Paul St-Pierre Plamondon à l’inten‐ tion de François Legault n’en est pas moins limpide : son nationalis­me sera mis à l’épreuve durant le mandat qui s’amorce.

Tous les partis forcés de réagir

Le cas de Québec solidaire est encore plus intéressan­t. En 2018, les dix députés de la formation politique ne vou‐ laient pas prêter serment à la Couronne britanniqu­e. Ils s’étaient toutefois résolus à le faire en privé, après s’être lais‐ sé dire par le secrétaire géné‐ ral qu’ils ne pourraient siéger autrement.

Le député Sol Zanetti avait été particuliè­rement affecté par la prestation de ce ser‐ ment, déclarant, dans les mois suivants, s’en être senti souillé à jamais. Il avait dépo‐ sé un projet de loi, mort au feuilleton, pour que plus au‐ cun député ne soit soumis à ce rituel de soumission idéo‐ logique.

Les députés de Québec so‐ lidaire oseront-ils cette fois-ci défier ouvertemen­t l’Assem‐ blée nationale ou abandonne‐ ront-ils ce terrain politique à leur homologue péquiste ? Dans tous les cas, ils devront plonger les premiers ; leur as‐ sermentati­on aura lieu mer‐ credi, tandis que celle des dé‐ putés du Parti québécois est prévue vendredi.

Quant au Parti libéral, il est responsabl­e d’avoir empêché l’adoption du projet de loi dé‐ posé par Sol Zanetti. Son dé‐ puté Marc Tanguay disait craindre qu’une telle législa‐ tion ne soit invalidée par les tribunaux, mais le PLQ sou‐ haite-t-il réellement jouer le rôle de défenseur de la mo‐ narchie britanniqu­e ?

Après avoir subi la pire dé‐ faite de son histoire, faire preuve de zèle sur la constitu‐ tionnalité d’un tel projet semble un pari risqué. Cela est d’autant plus vrai lors‐ qu’on consulte les nombreux sondages démontrant qu’une majorité de Québécois sou‐ haitent rompre définitive‐ ment les ponts avec le roi Charles III.

Au-delà des enjeux straté‐ giques, d’autres questions de‐ meurent sans réponse. Le chef St-Pierre Plamondon, et ses deux collègues députés, seront-ils réellement privés de salaire jusqu’à ce qu’ils aient prêté serment ? Et si jamais la situation perdure, la commis‐ saire à l’éthique et à la déon‐ tologie pourrait-elle ouvrir une enquête sur leur défaut de siéger sans motif valable ?

Conviction et diversion

Que Paul St-Pierre Pla‐ mondon finisse par prêter serment ou pas, que ses élec‐ teurs de Camille-Laurin soient contents ou non, il aura réussi à imposer sa présence dans l’actualité depuis près de deux semaines et à forcer ses ad‐ versaires à prendre position. C’est sans compter que cette saga est loin d’être finie, de nouveaux épisodes ayant dé‐ jà été annoncés.

Le chef péquiste sera sur‐ tout parvenu à faire oublier – l’espace de quelques jours du moins – que son parti a connu, le soir de l’élection du 3 octobre, la pire défaite de son histoire.

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