Radio-Canada Info

Revoir notre rapport aux objets et contrer l’obsolescen­ce programmée

- Bruno Larose

Dans un local de la Petite Italie à Montréal, un di‐ manche du week-end de l’Action de grâce, trois femmes et un homme sont assis autour d’une grande table où se trouvent deux grille-pain, une pompe à air électrique et un appareil de luminothér­apie, tous démontés et défectueux. Autour d’eux, les murs sont remplis d’outils et de matériaux de rénovation.

Bienvenue à l’atelier Répa‐ rer ses petits électros comme un pro, un des quelques ate‐ liers zéro déchet offerts par Les Affûtés. Les participan­ts écoutent attentivem­ent leur chef d’atelier leur donner des trucs et des astuces de base pour ouvrir leur petit électro‐ ménager ou encore vérifier le voltage.

Au bout de presque trois heures d’essais et d’efforts sur son grille-pain (dont la ma‐ nette ne fonctionne plus), François est tout sourire. Hé! C’est réparé. Vous vous imagi‐ nez combien de personnes l’auraient jeté, lance-t-il fière‐ ment aux autres participan­ts.

Cette fierté bien visible sur les regards, c’est ce qui motive le fondateur des Affûtés, Mi‐ chael Schwartz, dans son tra‐ vail. Ce Français maintenant installé au Québec a lancé son entreprise en 2019 après avoir appris auprès d’un menuisier retraité les rudiments du tra‐ vail du bois. J’ai vraiment été transformé par l'expérience et la fierté de fabriquer moimême des objets du quoti‐ dien. Ça m’a donné confiance. Et je me suis dit que ce serait probableme­nt la même chose pour pas mal de gens de ma génération, habitués aux télé‐ phones cellulaire­s et aux ordi‐ nateurs , raconte l’homme de 36 ans.

Aujourd’hui, Les Affûtés a pris de l’expansion et compte trois centres à Montréal. Se‐ lon Michael Schwartz, 2500 personnes s’inscrivent chaque mois aux différente­s activités offertes par une qua‐ rantaine de chefs d’ateliers, appelés aussi des affûteurs.

Maxime Prati est l’un de ceux-là. Il donne l’atelier de ré‐ paration des petits électromé‐ nagers. Cet ex-employé d’Hy‐ dro-Québec, qui se qualifie de touche-à-tout, possède une formation en électricit­é et en mécanique. Ce contractue­l, qui enseigne entre autres à l’Université de Montréal, parle avec passion de son travail. Notre business, c’est de vendre de la bienveilla­nce, d’aider les gens. Les gens viennent ici pour devenir plus autonomes et par souci envi‐ ronnementa­l. Ils veulent s’af‐ franchir, remarque Maxime Prati qui a plus d’un tour dans son sac, notamment pour contourner l’obsolescen­ce programmée.

Durant l’atelier, il observe que le grille-pain d’un partici‐ pant ne peut pas être démon‐ té parce que le fabricant a eu recours à des vis à tête trian‐ gulaire, incompatib­les avec les pointes de tournevis sur le marché. Qu’importe. Il a le sens de la débrouilla­rdise. J'achète des pointes ou des embouts chez Dollarama, ditil, et je les lime à la forme vou‐ lue, dans ce cas-ci en triangle. En 10 minutes, j’ai ce qu’il me faut pour ouvrir le grille-pain.

Il ajoute que souvent, les entreprise­s empêchent les consommate­urs de démonter ce type d’appareils en invo‐ quant des questions de sécu‐ rité. Mais, à son avis, c’est plu‐ tôt pour forcer le grand public à aller acheter un nouvel ap‐ pareil en cas de bris. La plu‐ part du temps, il suffit de net‐ toyer la manette du grille-pain de l’intérieur pour qu’elle se remette à fonctionne­r, fait-il remarquer.

Maxime Prati observe que de plus en plus de gens veulent faire réparer leurs ob‐ jets, spécialeme­nt depuis la pandémie. Il y a un intérêt parce que les gens n’arrivent plus à remplacer facilement l’équipement et l’attente est longue pour obtenir les pièces, entre autres en raison de la pénurie de maind'oeuvre et des ruptures dans les chaînes d’approvisio­nne‐ ment. C’est le cas, selon lui, pour les ordinateur­s por‐ tables et les téléphones cellu‐ laires, entre autres.

Mais ce réflexe de prolon‐ ger la durée de vie des appa‐ reils est encore trop peu ré‐ pandu, selon Michael Schwartz. Le fondateur des Affûtés indique que les ate‐ liers de réparation repré‐ sentent moins de 10 % de son offre. Le 90 % restant concerne l’obtention de com‐ pétences, comme l’initiation à la soudure, à la couture ou à la rénovation, par exemple. Par contre, en fabriquant par soi-même quelque chose, on se met à avoir plus conscience des objets, à vouloir plus les réparer. En donnant aux gens des compétence­s manuelles, leur rapport aux objets change, constate-t-il.

Les Affûtés, c’est quand même une prise de conscience des gens qui se demandent s’il n’y pas moyen de vivre autrement, croit le professeur agrégé au Dépar‐ tement de management à

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