Parti tout-puissant, Chine affaiblie?
Le 20e Congrès national du Parti communiste chinois, 101 ans après la fondation du PCC à Shanghai et 73 ans après sa prise du pouvoir à Pékin, se conclut ce samedi 22 octobre.
Il a donné au reste du monde le spectacle – théâtral et parfaitement huilé, d’une synchronisation parfaite, voire terrifiante, dans l’en‐ ceinte rouge et or du Palais du peuple – d’un retour aux sources totalitaires du régime fondé par Mao Zedong en oc‐ tobre 1949.
Tonalités belliqueuses
Le discours prononcé le 16 octobre par le président à vie (officieux, sinon officiel) qu’est devenu Xi Jinping, à l’aube d’un troisième mandat de cinq ans, avait des tonali‐ tés belliqueuses. Il a parlé de Taïwan en ces termes : Nous ne promettrons jamais de re‐ noncer à l’usage de la force, […] la réunification complète de notre pays doit être réali‐ sée; elle le sera sans aucun doute.
Xi a parlé d’un monde dan‐ gereux, où certains rêvent de nous éliminer. Mais ceux-ci trouveront sur leur chemin, assure-t-il, le mur d’acier for‐ mé par le peuple chinois. Ce mur le protégera contre les vents forts et les hautes vagues qui menacent à l’hori‐ zon. Nous devons être prêts au combat.
Toutes ces expressions évoquent Mao et ses fameux aphorismes d’un autre siècle.
Le changement d’orienta‐ tion de la dernière décennie, les années Xi Jinping, peut s’illustrer par l’évolution du vocabulaire et des mots-clés contenus dans son discours, comparé aux précédents (les siens en 2012 et 2017, et au‐ paravant ceux de ses prédé‐ cesseurs).
Certes, beaucoup d’élé‐ ments du langage commu‐ niste restent immuables, mar‐ qués par une langue de bois assommante, comme l’illustre ce passage du camarade Xi : Les politiques, principes, plans et décisions majeurs du Comité central du PCC se sont avérés en tous points cor‐ rects. La voie du socialisme à la chinoise est conforme aux réalités de la Chine, reflète la volonté du peuple chinois et répond à l’appel de l’époque.
Mais des spécialistes et des correspondants sur place, comme Guido Santevecchi, du Corriere della Sera, se sont donné le mal de faire des décomptes, analysant à la loupe le discours du cama‐ rade-président. Avec des sta‐ tistiques relatives à la pré‐ séance de certains mots ou expressions sur d’autres, qui naguère avaient davantage la cote.
Ainsi, dans ce discours de deux heures, prononcé par Xi le 16 octobre, l’expression dé‐ veloppement économique était en nette baisse, alors que l’usage de mots comme contrôle et sécurité (89 men‐ tions contre 40 en 2012) mon‐ tait en flèche.
Du pragmatisme au dog‐ matisme
Cette évolution du voca‐ bulaire peut sembler anodine, mais elle traduit le passage – accentué sous Xi Jinping – du pragmatisme, trait marquant des décennies 1990 et 2000, vers un retour en force, dans les années 2010, de l’idéologie comme moteur central du ré‐ gime.
Ce retour de l’idéologie va de pair avec la centralisation du pouvoir. Non seulement Xi Jinping concentre-t-il entre ses mains plus de pouvoirs que tous ses prédécesseurs, à l’ex‐ ception de Mao Zedong, mais il le fait en ramenant – même dans un contexte écono‐ mique très différent de celui des années Mao – l’idéologie marxiste et le rôle capital du contrôle de l’État.
Et ce, non seulement dans la société de surveillance tota‐ litaire et ultra-technologique qu’est devenue la Chine en 2022 (où les caméras omni‐ présentes et les téléphones portables sont des instru‐ ments privilégiés de contrôle), mais également dans l’écono‐
mie, où une reprise en main de l’entreprise privée, par le parti, est visible partout. Une ordonnance de 2018 stipule que toutes les entreprises sans exception doivent désor‐ mais avoir leur cellule du PCC.
De la direction collec‐ tive à celle d’un seul homme
Pendant les 20 années pré‐ cédant l'arrivée au pouvoir de Xi Jinping (1992-2012), la Chine avait eu des dirigeants plus ef‐ facés, qui ne faisaient pas l’ob‐ jet d’un culte de la personnali‐ té dans les médias. Au contraire de ce qu’on voit au‐ jourd’hui autour de Xi Jinping, dont les photos, vidéos, cita‐ tions, décrets, ordonnances, sont partout : à la télévision, sur les écrans géants des rues, sur votre portable dès que vous l’allumez.
Avant lui, les présidents apparaissaient plutôt comme des chefs d’équipe d’une di‐ rection autoritaire. Certes, la Chine communiste n’a jamais été démocratique : il n’y a pas d’élections libres, pas de dé‐ bats ouverts sur les grandes questions de société, ni de médias pluralistes ou de jus‐ tice indépendante.
Mais dans les années 1990 et 2000, c’était tout de même une direction collective, sous les présidents Jiang Zemin et Hu Jintao, avec un change‐ ment de garde obligatoire tous les dix ans (deux man‐ dats au maximum)… pour évi‐ ter justement les dérives du passé : totalitarisme, dogma‐ tisme communiste, culte de la personnalité, repli écono‐ mique et régression.
Au sommet du parti, il y a ce qu’on appelle le Comité permanent, comprenant sept ou neuf personnes selon les périodes. Avant Xi Jinping, c’était un vrai groupe délibéra‐ tif où s’affrontaient des inté‐ rêts (régionaux, par exemple) et des points de vue diffé‐ rents sur diverses questions : libéraliser l’économie ou pas; laisser aller le secteur privé (ce qui a été fait); tolérer ou non un peu de critique sociale.
Dans les années 1990 et 2000, il y a eu en Chine l’em‐ bryon d’une société civile au‐ tonome, avec quelques publi‐ cations (comme le fameux Nanfang Zhoumo ou Weekend du Sud ) qui critiquaient et enquêtaient, notamment sur la corruption et les scan‐ dales environnementaux. Et avec quelques cours de jus‐ tice qui pouvaient affirmer leur autonomie et y aller par‐ fois de jugements étonnants. Une certaine idée de l’État de droit, même dans un contexte autoritaire, faisait son chemin.
Aujourd’hui, tout cela est terminé.
Nouvelle glaciation communiste
Sous couvert de lutte contre la corruption (parfois réelle, souvent justifiée, mais aussi sélective selon les clans qui s’affrontaient, amis ou non du président), les années Xi Jinping ont vu une reprise en main impitoyable. Avec le refus affirmé des valeurs uni‐ verselles, un contrôle policier sans précédent, une répres‐ sion totale de la dissidence et des minorités régionales (Ouï‐ gours et Tibétains).
Cette nouvelle glaciation communiste se voit couron‐ née et illustrée par le troi‐ sième mandat octroyé à Xi en 2022. Mandat qui sera vrai‐ semblablement confirmé ce samedi 22 octobre (au mo‐ ment où ces lignes sont écrites) par le congrès du par‐ ti, puis confirmé dès le lende‐ main par le Comité central re‐ nouvelé qui se réunira dans la foulée.
Un congrès comme celui-là est une opération visant à convaincre tous les specta‐ teurs (1,3 milliard de Chinois et de Chinoises) que le contrôle est total. Donc, que tout va bien sous la gouverne bienveillante et éclairée du parti et de son guide sublime. Ou encore (pour ceux qui ose‐ raient penser autrement) que toute résistance est vaine.
Illusion de contrôle to‐ tal
Bien entendu, il y a là une illusion de contrôle total, que la dure réalité peut, un jour ou l’autre, venir contredire.
Dans les faits, le parti ne maîtrise pas tout. Son virage dogmatique et néototalitaire survient alors que, à l’interne comme à l’international, les nuages s’accumulent. L’écono‐ mie donne des signes de ra‐ lentissement marqué, au point où la publication des dernières statistiques, en oc‐ tobre, a été suspendue in ex‐ tremis. Les problèmes écolo‐ giques se multiplient dans ce pays aux fleuves archipollués, champion mondial de la consommation de charbon.
Quant à la politique zéro COVID, réaffirmée par Xi dans son discours, elle illustre jus‐ qu’à l’absurde la volonté de contrôle à tout prix, par une direction devenue plus idéo‐ logique et moins pragma‐ tique. Cette obsession du contrôle peut avoir pour prix un affaiblissement écono‐ mique. La Chine a des fragili‐ tés qui peuvent échapper aux moyens exorbitants du parti.
À l’international, la tension monte. Les États-Unis, et maintenant l’Europe, dési‐ gnent la Chine comme un ad‐ versaire, un défi qu’il faut af‐ fronter. Les années où le monde entier, Occident com‐ pris, allait faire des courbettes et signer des contrats à Pékin sont révolues. Quant à la guerre en Ukraine, elle s’avère, de plus en plus, une mauvaise surprise et un embarras pour la Chine, ce qui pourrait (peutêtre) conduire à des révisions sur Taïwan.
Donc un parti apparem‐ ment tout-puissant à l’heure de son 20e congrès, mais une Chine qui pourrait en sortir paradoxalement affaiblie. Ce qui n’est pas forcément rassu‐ rant.